R. c. Bal, 2009 QCCQ 2858 (CanLII)
[91] La Cour d’appel du Québec a donné certaines balises dans Lévesque c. Procureur général du Québec. Cette affaire concerne un entrepreneur qui avait frauduleusement obtenu d’un commerçant un acte de cautionnement dans le but de sauver une entreprise qui périclitait. Suite à une faillite, la victime fut contrainte de verser 270 000 $. Après un verdict de culpabilité devant jury, le premier juge impose une peine de quatre ans. En appel, la Cour retient la suggestion commune de deux ans moins un jour. Elle souligne que l'accusé, travailleur acharné, n’avait pas pour but de s’enrichir personnellement. Il s’agissait d’un acte criminel isolé. La Cour d’appel a alors développé les facteurs d’analyse suivants qui font toujours autorité :
1) La nature et l'étendue de la fraude se traduisant, notamment, par l'ampleur de la spoliation ainsi que la perte pécuniaire réelle subie par la victime.
2) Le degré de préméditation se retrouvant, notamment, dans la planification et la mise en oeuvre d'un système frauduleux.
3) Le comportement du contrevenant après la commission de l'infraction dont les facteurs de bonification pourraient résider dans le remboursement des sommes appropriées par la commission d'une fraude, la collaboration à l'enquête ainsi que l'aveu.
4) Les condamnations antérieures du contrevenant : proximité temporelle avec l'infraction reprochée et gravité des infractions antérieures.
5) Les bénéfices personnels retirés par le contrevenant.
6) Le caractère d'autorité et le lien de confiance présidant aux relations du contrevenant avec la victime
7) La motivation sous-jacente à la commission de l'infraction : cupidité, désordre physique ou psychologique, détresse financière, etc.
8) La fraude résultant de l'appropriation des deniers publics réservés à l'assistance des personnes en difficulté.
[92] Dans R. c. Savard, la Cour d’appel a imposé, en plus d’une amende de 200 000 $, une peine de 18 mois à un individu déclaré coupable d’une fraude commerciale de 1.4 M $ aux dépens d’une entreprise de crédit. Dans son analyse, la Cour d’appel réfère aux facteurs identifiés dans l’arrêt Lévesque. Lorsque ces derniers « se polarisent vers un comportement délictuel frauduleux qui ne laisse émerger aucune mesure d'atténuation, les tribunaux privilégient la mesure carcérale comme moyen de protection sociétale et de dissuasion générale en écartant, expressément, la réadaptation ». Par ailleurs, la Cour note que l'accusé ne s’est pas enrichi personnellement et qu’il ne possède aucun antécédent judiciaire. La Cour ajoute que l'accusé « ne jouissait pas d'une position d'autorité dans la société ni ne s'est servi de sa réputation et de sa qualité professionnelle pour abuser de la confiance de la collectivité auquel cas, la dissuasion individuelle et générale demeure l'objectif pénologique à privilégier ».
[93] Dans R. c. Juteau, l’accusée plaide coupable à divers chefs de fraude à l’égard de son employeur, totalisant plus de 400 000 $ sur une période de huit ans. Le premier juge impose une peine de d’emprisonnement de 23 mois à être purgés dans la collectivité plus 240 heures de travaux communautaires. Les juges Brossard et Proulx, proposent d’accueillir l’appel et de substituer une peine d’emprisonnement ferme de six mois, et ce, tenant compte du fait que la peine était en partie déjà exécutée. Pour sa part, le juge Fish aurait seulement ajouté des conditions à l’ordonnance de sursis. Dans son analyse, le juge Proulx examine les facteurs de l’arrêt Lévesque puis développe l’opinion suivante :
Quant à l'opportunité du sursis à l'emprisonnement dans ces matières, la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt R. v. Pierce, précise que dans les cas de malhonnêteté qui se distinguent particulièrement par un abus de confiance, la détermination de la peine doit souligner la gravité des infractions et le sursis doit être écarté. D'ailleurs, la même cour d'appel dans l'arrêt R. v. Wismayer, sous la plume du juge Rosenberg, a affirmé que la dissuasion générale, en tant que principe pouvant légitimer la décision de ne pas imposer l'emprisonnement avec sursis, doit primer dans le cas de ces infractions, notamment les fraudes systématiquement planifiées et structurées commises par des personnes qui abusent de la confiance de leur employeur, comme dans l'arrêt Pierce et celui qui prévaut en l'espèce. À mon avis, non seulement la dissuasion générale mais le juste dû et la dénonciation constituent également des objectifs prééminents. Néanmoins, ce principe ne saurait être absolu, puisque chaque cas doit être soumis à l'examen judiciaire à la lumière des éléments qui lui sont propres.
[94] Par ailleurs, les avocats réfèrent aux principes généraux développés dans l’arrêt de la Cour d’appel R. c. Coffin, tout en convenant qu’il existe des distinctions avec le présent cas. Dans Coffin, l'accusé a reconnu sa culpabilité à quinze chefs de fraude totalisant 1.5 M $, reliée à « l’Affaire des commandites ». Le 19 septembre 2005, le juge Boilard impose une peine de deux ans moins un jour dans la collectivité, en retenant les facteurs atténuants : la conduite post-délictuelle de l'accusé, le plaidoyer de culpabilité, le remboursement des sommes illégalement obtenues, les remords, l’engagement à prononcer des allocutions sur l'éthique en affaires, la réputation sans tache jusqu'au plaidoyer, l’âge (62 ans), les excuses publiques. Le 7 avril 2006, la Cour d’appel accueille l’appel de la poursuivante. Dans sa démarche, la Cour se livre à une étude de l’arrêt de la Cour suprême R. c. Proulx, et conclut que le premier juge n’a pas suffisamment accordé d’importance aux principes et objectifs suivants : la gravité du crime qui justifie une peine proportionnelle, les objectifs de dénonciation et de dissuasion, les peines généralement infligées pour ce type de crime selon le principe d'harmonisation des peines. La Cour reprend avec approbation l’argument du ministère public que le premier juge n’a pas souligné les facteurs reliés à la gravité du crime : la durée des fraudes (cinq ans), l'importance des montants subtilisés, la position privilégiée de l'accusé, la préméditation. Écartant le principe fallacieux « voler le gouvernement, ce n’est pas voler », la Cour souligne que l'accusé a préparé 373 factures frauduleuses, de sorte qu’on « ne peut pas parler ici d'égarement passager ». Toujours au chapitre de la dénonciation et de la dissuasion, la Cour d’appel reprend l’énoncé de la Cour suprême dans l’arrêt Proulx :
[106] […] Toutefois, il peut survenir des cas où la nécessité de dénoncer est si pressante que l'incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l'égard du comportement du délinquant.
[95] Concernant l’harmonisation des peines, la Cour d’appel exprime l’opinion suivante :
[60] En l'espèce, la poursuivante a raison de prétendre que les diverses cours d'appel du Canada ont généralement infligé des peines d'emprisonnement dans le cas de fraudes importantes et planifiées qui se sont déroulées sur des périodes plus ou moins prolongées.
[61] Les tribunaux ont alors reconnu que, pour atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, une peine d'incarcération s'imposait bien que le contrevenant 1) n'ait pas d'antécédents, 2) jouisse d'une bonne réputation dans son milieu, 3) ait parfois remboursé, en partie, les victimes, 4) manifeste des remords, 5) ne soit pas enclin à récidiver.
[96] Au passage, la Cour d’appel relativise le critère de la « réputation sans tache » puisque la fraude est souvent commise par ce type de personne. Soupesant l’ensemble des facteurs, notamment la gravité de la fraude « qui a pour effet de saper la confiance des citoyens à l'égard des institutions publiques », la Cour d’appel décide d’intervenir et de substituer à la peine dans la collectivité une peine d’emprisonnement ferme de 18 mois.
[97] Par ailleurs, tel que plus haut mentionné, la défense invoque au soutien de sa thèse certains jugements. Voici l’analyse du Tribunal :
Jurisprudence régionale :
1) R. c. Moquin : Le 10 septembre 2002, après 57 jours de procès, le juge Rosaire Larouche déclare l’huissier Pierre Moquin coupable de 137 chefs de fabrication et d’utilisation de faux. Essentiellement, l'accusé avait profité de ses fonctions pour facturer en double des montants variant entre 5 $ et 20 $, pour une fraude totale de 1 469 $. Dans le même verdict, le juge prononce un acquittement à l’égard de 44 chefs, dont certains de parjure et de corruption. Lors des représentations sur la détermination de la peine, le ministère public déclare soumettre le tout au Tribunal et n’avoir rien de particulier à plaider. Le 17 octobre 2002, le juge prononce une absolution conditionnelle, tenant compte des facteurs suivants : acquittement sur plusieurs chefs importants, lourdeur et complexité du procès, médiatisation, faible montant de la fraude, ordonnance de remboursement.
2) R. c. Ménard : Le 29 juin 2005, la juge Johanne Roy déclare Robert Ménard coupable d’une fraude de 317 000 $ commise à l’encontre de Microvel Technologies, ses créanciers et une firme de syndic. En outre, la responsabilité de Ménard est reconnue à l’égard de six infractions à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, essentiellement, l’omission de remettre certains biens. Le 16 décembre 2005, la juge impose une peine de deux ans moins un jour dans la collectivité. Dans son analyse, la juge retient que les gestes posés avaient pour objectif de permettre la survie du projet et d’indemniser les créanciers et les actionnaires de Microvel. De plus, même après le verdict de culpabilité, des investisseurs et partenaires d’affaire ont continué de supporter l'accusé. Au total, la juge conclut qu’il ne s’agit pas d’un cas où l'accusé était animé par la cupidité ou l’intérêt personnel. Ces éléments, combinés à l’absence d’antécédent judiciaire, l’âge de 70 ans, l’état de santé et l’absence de risque pour la société conduisent à une ordonnance de sursis.
3) R. c. Lea : Le conseiller financier John Lea a plaidé coupable à une accusation de fraude à l’encontre de religieuses. Lors de la perpétration du crime, il a empoché une commission secrète de 1 M $. Le 8 janvier 2007, le juge Rosaire Larouche, retenant une suggestion commune des avocats et prenant note d’un remboursement important, a imposé une peine de douze mois dans la collectivité.
Autre jurisprudence :
4) R. c. Cogger : Le 2 juin 1998, l’ex-sénateur Michel Cogger est trouvé coupable par le juge Sansfaçon d’avoir exigé ou accepté 212 000 $, en considération d'une collaboration concernant une demande de subvention gouvernementale. L'accusé avait continué d’exercer des activités de lobbyiste après sa nomination comme sénateur, pratique interdite par le Code criminel. Le 7 juillet 1998, le juge inflige une amende de 3 000 $ et prévoit 120 heures de travaux communautaires. Le 17 mai 2001, la Cour d’appel casse la sentence et prononce une absolution inconditionnelle. La Cour retient que l'accusé avait touché des honoraires dans l’ignorance de la loi, en toute bonne foi et sans corruption. Cet acte isolé a entaché de façon disproportionnée la réputation de l'accusé.
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