jeudi 7 octobre 2010

La notion criminelle d’arme prohibée et l’interprétation littérale; il faut apprécier le véritable objet de l’appareil par opposition à la désignation commerciale

R. c. Hodgky, 2006 QCCQ 6950 (CanLII)

[38] Le Tribunal n’a pu trouver de décisions de nos tribunaux du Québec statuant sur la nature de ces répulsifs au poivre de cayenne, eu égard à la notion criminelle d’arme prohibée. Certaines décisions de d’autres provinces canadiennes sont néanmoins intéressantes même si elles ne lient pas le présent Tribunal

[45] On ne peut dire qu’en soi, un répulsif à chien, ou un répulsif à l’encontre des ours, a été « conçu comme moyen de blesser une personne, de l’immobiliser ou de la rendre incapable » au sens du règlement. La version anglaise du texte impose la même conclusion : « Any device designed to be used for the purpose of injuring, immobilizing or otherwise incapacitating any person by… ». Ils ont en principe été conçus par leurs fabricants, manufacturiers, distributeurs, pour repousser ces animaux.

[46] Dans une intéressante décision de l’Honorable juge Reilly de la Cour de justice de l’Ontario (division générale) celui-ci empruntait également cette voie de l’interprétation littérale. Il laissait néanmoins place à l’ensemble de la preuve afin d’apprécier le véritable objet de l’appareil par opposition à la désignation commerciale.

R. c. Hutter, Ontario Court of Justice (General Division), décision du 29 juillet 1996, Docket : Kitchener SCA 3743, 1996 CarswellOnt 2888.

[55] Si l’objet en question est capable de blesser, immobiliser ou rendre incapable une personne, il peut avoir été « conçu comme moyen de blesser… », quoiqu’en dise l’étiquette et quelle que soit l’appellation donnée à l’appareil. Toutes les circonstances importent.

[56] La notion de « ce qui a été conçu », n’est pas exclusive au manufacturier, au fabriquant. Concevoir reçoit la définition suivante : Se représenter par la pensée; comprendre. Former, élaborer dans son esprit, son imagination. Le petit Larousse, Grand format, 2004.

[57] La notion « designed to be used », expression équivalente en langue anglaise, peut avoir le sens de créer, exécuter quelque chose, de construire selon un plan ou technique. Mais elle a également le sens beaucoup plus subjectif : « to conceive and plan out in the mind; to have as a purpose; intend… » Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, 10th edition, Springfield Massachusetts, U.S.A.

[58] Cette approche introduit bien sûr une certaine notion subjective et une recherche d’intention chez le possesseur. Malgré cette interprétation élargie de la disposition sur les armes prohibées, la notion demeure plus restrictive et étroite que celle définissant ce qu’est une arme à l’article 2 C.cr. On remarque que le même vocabulaire est employé savoir « conçu » en français, et « designed » en anglais aux deux définitions. La rédaction de la définition de l’article 2 restera néanmoins beaucoup plus généreuse.

[59] Or, dans l’affaire qui nous intéresse, il est en preuve que l’accusé a acheté ce produit en vente libre. Il s’est procuré la cannette plusieurs semaines auparavant d’un marchand Surplus d’armée. Rien ne laisse croire que ce dispositif a été fabriqué, mis en marché pour être utilisé afin de repousser une personne qui attaque le possesseur quoiqu’un utilisateur puisse en concevoir un usage bien différent. En l’occurrence rien non plus ne convainc que tel était l’usage que prévoyait en faire l’accusé. Au contraire.

[60] L’accusé explique qu’il circule en vélo ou à la marche de façon quotidienne ne possédant aucune automobile. Alors qu’il habitait un secteur rural de la municipalité, il avait fait l’objet d’une attaque par un gros chien. D’ailleurs il porta plainte en raison de cet incident. S’il craint les chiens, c’est aussi pour se protéger des ours lors de randonnées à la campagne qu’il a pris l’habitude de se munir d’un tel dispositif.

[61] Le produit en question fabriqué aux États-Unis est identifié comme étant « DOG D’FENSE ». Les instructions d’usage prévoient un scénario d’attaque par un canidé. Il n’est aucunement fait mention d’une attaque perpétrée par un humain, ni d’un usage à l’encontre d’une personne.

[62] Devant cette preuve, le Tribunal est satisfait que l’accusé possédait ce vaporisateur pour se protéger contre des animaux.

[63] Et, même s’il est raisonnable de penser qu’il peut immobiliser ou rendre incapable une personne puisque la preuve fait état des effets sur les deux victimes alléguées, de même que sur les deux agents de sécurité qui furent eux aussi incommodés par les vapeurs du produit, le Tribunal ne peut conclure que ce produit ait été conçu avec cet objectif en vue. Ainsi, ce ne serait pas une arme prohibée.

[64] Par ailleurs, rien dans la preuve ne démontre non plus que l’accusé entendait utiliser cet objet pour blesser, menacer ou intimider quelqu’un comme le veut l’article 2 C.cr. Au contraire, la preuve en défense est même convaincante qu’il destinait cet objet à une toute autre réalité.

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