mercredi 17 novembre 2010

La mens rea de la fraude

R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5

Ceci m'amène à la question de savoir si le critère applicable à la mens rea est subjectif ou objectif. La plupart des auteurs de doctrine et des juristes conviennent qu'à l'exception des infractions dont l'actus reus est la négligence ou l'inattention et des infractions de responsabilité absolue, le critère applicable à la mens rea est subjectif. Il s'agit non pas de savoir si une personne raisonnable aurait prévu les conséquences de l'acte prohibé, mais si l'accusé était subjectivement conscient que ces conséquences étaient à tout le moins possibles. Dans l'application du critère subjectif, le tribunal examine l'intention de l'accusé et les faits tels que ce dernier croyait qu'ils étaient: G. Williams, Textbook of Criminal Law (2e éd. 1983), aux pp. 727 et 728.

Il importe, à ce stade, de faire deux remarques accessoires. Premièrement, comme le souligne Williams, la présente analyse n'a rien à voir avec l'échelle des valeurs de l'accusé. Une personne n'échappe pas à une déclaration de culpabilité pour le motif qu'elle croit qu'elle ne fait rien de mal. Il s'agit de savoir si l'accusé était subjectivement conscient que certaines conséquences résulteraient de ses actes, et non pas s'il croyait que ses actes ou leurs conséquences étaient moraux. Tout comme un meurtrier pathologique ne serait pas acquitté pour le seul motif qu'il ne considérait pas que son acte était moralement répréhensible, le fraudeur ne sera pas acquitté pour le motif qu'il croyait que ce qu'il faisait était honnête.

Deuxièmement, il y a l'observation fréquente selon laquelle le ministère public n'a pas à démontrer précisément, dans tous les cas, ce que l'accusé avait à l'esprit au moment où il a commis l'acte criminel. Dans certains cas, la conscience subjective des conséquences peut être déduite de l'acte lui‑même, sous réserve de quelque explication qui vient mettre en doute cette déduction. Le fait qu'une telle déduction soit faite ne diminue en rien le caractère subjectif du critère.

Ces commentaires généraux sur la mens rea étant faits, je reviens à l'infraction de fraude. L'acte prohibé est la supercherie, le mensonge ou quelque autre acte malhonnête. La conséquence prohibée consiste à priver quelqu'un de ce qui est ou devrait être sien, ce qui peut, comme nous l'avons vu, consister simplement à mettre le bien d'autrui en péril. La mens rea serait alors la conscience subjective que l'on commettait un acte prohibé (la supercherie, le mensonge ou un autre acte malhonnête) qui pouvait causer une privation au sens de priver autrui d'un bien ou de mettre ce bien en péril. Une fois cela démontré, le crime est complet. Le fait que l'accusé ait pu espérer qu'il n'y aurait aucune privation ou qu'il ait pu croire qu'il ne faisait rien de mal ne constitue pas un moyen de défense. En d'autres termes, suivant le principe traditionnel de droit criminel qui veut que l'état d'esprit nécessaire à l'infraction soit déterminé en fonction des actes externes qui constituent l'actus de l'infraction (voir Williams, op. cit., ch. 3), il convient de se demander, lorsqu'on détermine la mens rea de la fraude, si l'accusé a intentionnellement accompli les actes prohibés (supercherie, mensonge ou un autre acte malhonnête) tout en connaissant ou en souhaitant les conséquences visées par l'infraction (soit la privation, y compris le risque de privation). Le sentiment personnel de l'accusé à l'égard du caractère moral ou honnête de l'acte ou de ses conséquences n'est pas plus pertinent quant à l'analyse que ne l'est la conscience de l'accusé que les actes commis constituent une infraction criminelle.

Cela s'applique autant à la troisième catégorie de fraude, soit un «autre moyen dolosif», qu'aux mensonges et à la supercherie. Bien que l'expression «autre moyen dolosif» ait été généralement définie comme un moyen «malhonnête», il n'est pas nécessaire qu'un accusé considère personnellement que ce moyen est malhonnête pour être déclaré coupable de fraude pour y avoir eu recours. Le caractère «malhonnête» du moyen est pertinent pour déterminer si la conduite est du genre de celle visée par l'infraction de fraude; ce qu'une personne raisonnable considère malhonnête aide à déterminer si l'actus reus de l'infraction peut être établi en fonction de certains faits. Une fois cela établi, il suffit de déterminer qu'un accusé a sciemment commis les actes en question et qu'il était conscient que la privation ou le risque de privation représentait une conséquence probable.

J'ai parlé de la connaissance des conséquences de l'acte frauduleux. Toutefois, rien ne paraît s'opposer à ce que l'insouciance quant aux conséquences entraîne également la responsabilité criminelle. L'insouciance présuppose la connaissance de la vraisemblance des conséquences prohibées. Elle est établie s'il est démontré que l'accusé, fort d'une telle connaissance, accomplit des actes qui risquent d'entraîner ces conséquences prohibées, tout en ne se souciant pas qu'elles s'ensuivent ou non.

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