vendredi 20 mai 2011

La défense du dernier verre qui ne remet pas en cause l'exactitude des résultats du test d'alcoolémie sera recevable à titre de preuve contraire pour contrer la présomption d'identité

R. c. Laforge, 2010 QCCQ 7718 (CanLII)

[186] La défense du dernier verre évoquée dans Powichrowski a fait l’objet d’une analyse par le juge Jean-François Dionne de la Cour du Québec dans l’affaire R. c. Néron rendue le 20 janvier 2010. Les faits se résument comme suit. Dans la nuit du 30 au 31 août 2008, l'accusé consomme quatre bières entre 22 h 30 et 2 h 30. Il « cale » une cinquième bière puis quitte le bar à 3 h. Vers 3 h 15, il est intercepté par les policiers lors d’un barrage routier. Après l’arrestation, les échantillons d’haleine prélevés 3 h 59 et 4 h 20 donnent les résultats suivants : 109 et 104 mg. Après analyse de la preuve, le juge acquitte l'accusé du chef de conduite avec capacité affaiblie. Quant au chef de 80 mg, l'accusé, sur la base d’un rapport d’expert, invoque la défense du dernier verre qui a été reconnue par la Cour d’appel en 1988 dans l’arrêt Piuze c. Québec (Procureur général). La défense ajoute que ce moyen est toujours d’actualité à la suite de l’arrêt Boucher et malgré les amendements C-2. Dans son analyse, le juge Dionne fait état d’une controverse. Selon un premier courant, la défense du dernier verre demeure recevable. Toutefois, certains auteurs expriment une opinion contraire : la défense doit également être accompagnée d’une preuve de mauvais fonctionnement de l’appareil ou d’une utilisation incorrecte. Après une analyse fouillée des anciennes et des nouvelles dispositions, le juge Dionne développe l’analyse suivante :

[89] Depuis les amendements apportés à l'article 258 C.cr., les sous-paragraphes (1)c) et d) de l'article 258 C.cr. comportent une présomption d'exactitude en plus de la présomption d'identité.

[90] Les modifications législatives apportées par ce projet de loi ont renforcé les présomptions de l'article 258 C.cr. et précisé le régime de preuve nécessaire pour les contrer en ajustant le fardeau de présentation de l'accusé, ce qui a pour effet de restreindre radicalement l'éventail de preuves contraires recevables en imposant qu'elle soit nécessairement accompagnées du volet établissant le mauvais fonctionnement de l'alcootest ou son utilisation incorrecte.

[91] Pour que les nouvelles dispositions prennent tout leur sens et ce, de façon conforme au but poursuivi par le législateur qui est de restreindre la preuve contraire à une défense scientifiquement valide, les sous-paragraphes c) ou d), d.1) d.01) et g) de l'article 258(1) C.cr. devraient se lire ensemble et de façon distincte en fonction de la présomption examinée.

[92] Ainsi, malgré que l'une des présomptions d'identité soit incluse au sous-paragraphe c) de l'article 258 (1) C.cr., pour que ces dispositions soient cohérentes la preuve contraire qui s'y trouve ne doit être applicable qu'au regard de la présomption d'exactitude également comprise dans cette disposition.

[93] En effet, la preuve contraire (preuve du dernier verre ou de la consommation postérieure) contrecarrant la présomption d'identité ne s'attaque pas à la preuve des résultats d'analyse et à leur fiabilité, élément majeur qui met en branle le processus décrit au paragraphe c) de l'article 258(1).

[94] Peu importe la présomption, si on ne met pas en cause les résultats des tests et leur fiabilité, les tests font donc preuve du taux d'alcoolémie de l'accusé et en conséquence le régime de preuve exigé par l'article 258 (1)c) C.cr. n'a pas à être suivi.

[95] Les restrictions qu'impose le sous-paragraphe d.01) de l'article 258 (1) du Code criminel ne sont applicables en réalité qu'à cette preuve contraire, c'est-à-dire à la preuve qui met en cause la présomption d'exactitude. C'est l'ajout de ce paragraphe qui soustrait de la preuve contraire la possibilité de recourir à la défense fondée sur un scénario de consommation (type Carter).

[96] Pour plus de compréhension et par souci de clarté et de précision, le législateur a également ajouté le sous-paragraphe (1)d.01) à l'article 258 C.cr. qui prévoit que le dysfonctionnement de l'appareil ou sa mauvaise utilisation doit être établie autrement qu'en démontrant que l'alcoolémie serait différente en raison des éléments tels que la quantité d'alcool consommée et le métabolisme de l'accusé qui y sont mentionnés:

[…]

[97] En éliminant la possibilité de recourir à une preuve contraire fondée sur le processus physiologique, le législateur faisait écho aux commentaires des juges de la Cour suprême dans l'arrêt St.Pierre et s'est assuré que la preuve contraire a un caractère probant et empêchant du même coup qu'elle ne s'attaque qu'au caractère fictif de la présomption, tel que suggéré par la Cour suprême dans certaines décisions.

[98] Les présomptions d'identité pour leur part peuvent être réfutées par une preuve contraire tendant à démontrer que la consommation d'alcool était compatible avec une alcoolémie qui n'excédait pas la limite permise au moment de l'infraction, mais également compatible avec l'alcoolémie testée conformément au paragraphe d.1) de l'article 258(1) du code qui était déjà la loi voulant, comme nous l'avons mentionné plus avant, contrecarrer les effets néfastes que pouvaient apporter l'arrêt St.Pierre.

[99] Conséquemment, la défense du dernier verre ou de la dernière consommation, qui ne remet pas en cause l'exactitude des résultats du test d'alcoolémie sera recevable à titre de preuve contraire pour contrer les présomptions d'identité dans la mesure où il est conforme aux exigences de preuve du sous-paragraphe d.1) de l'article 258(1) du Code criminel.

[…]

[101] In fine on constate que la nature de la preuve contraire est différente selon la présomption à réfuter et que l'analyse doit se faire différemment si le résultat d'analyse est remis en question ou non.

[102] Ajoutons qu'une preuve contraire qui possède les qualités requises pour contrer la présomption d'exactitude des sous-paragraphes (1)c) ou d) de l'article 258 C.cr. écartera nécessairement la présomption d'identité.

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