mercredi 1 février 2012

Le droit de garder le silence et le droit de ne pas s’incriminer

Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 RCS 248

Lien vers la décision

69 (...) Cependant, dans le contexte de la présente affaire, le droit de garder le silence est inextricablement lié au droit de ne pas s’incriminer. Par conséquent, nous abordons l’argument sous l’angle du droit de ne pas s’incriminer que garantit l’art. 7. Pour les raisons qui suivent, nous concluons qu’il n’y a eu aucune atteinte aux droits que l’art. 7 garantit à l’appelant, que ce soit sous forme de protection contre l’auto‑incrimination ou de droit général de garder le silence.

70 La Cour a reconnu que le droit de ne pas s’incriminer est un principe de justice fondamentale : S. (R.J.), précité, par. 95; Branch, précité; R. c. Jarvis, 2002 CSC 73 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 757, 2002 CSC 73. Au paragraphe 67 de l’arrêt Jarvis, le droit de ne pas s’incriminer est décrit comme une « règle essentielle du système de justice criminelle au Canada ». Ce droit a en outre été associé au principe de la souveraineté de l’individu et défini comme une affirmation de la liberté humaine : S. (R.J.), précité, par. 81; R. c. Jones, 1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 229, p. 248‑249; R. c. White, 1999 CanLII 689 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 417, par. 43. Après avoir reconnu le rôle crucial de ce principe en droit canadien, la Cour a, dans sa jurisprudence, formulé des principes généraux au sujet du lien qui existe entre l’auto‑incrimination et le droit criminel en général. Ce faisant, elle a constamment relié la contrainte à témoigner à l’immunité relative à la preuve. À commencer par l’arrêt S. (R.J.), précité, jusqu’aux arrêts Branch, Phillips et Jarvis, précités, la jurisprudence la plus récente de la Cour en matière d’auto‑incrimination a évolué au point où trois garanties procédurales ont vu le jour : l’immunité contre l’utilisation de la preuve, l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée et l’exemption constitutionnelle.

71 L’immunité contre l’utilisation de la preuve empêche que le témoignage incriminant qu’un individu a été contraint de livrer soit utilisé directement contre lui dans une instance ultérieure. L’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée empêche que le témoignage incriminant qu’un individu a été contraint de livrer serve à obtenir d’autres éléments de preuve, sauf si ces éléments de preuve peuvent être découverts par d’autres moyens. L’exemption constitutionnelle confère une forme de droit absolu de ne pas témoigner lorsque les procédures engagées visent ou servent essentiellement à recueillir des éléments de preuve qui permettront de poursuivre le témoin. Ensemble, ces garanties nécessaires établissent les paramètres à l’intérieur desquels un témoignage incriminant peut être obtenu. C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier l’art. 83.28.

72 Le paragraphe 83.28(10) accorde à la personne visée par une ordonnance autorisant la recherche de renseignements l’immunité contre l’utilisation de la preuve ainsi que l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée. L’alinéa 83.28(10)a) prévoit que la réponse donnée ou la chose remise par une personne ne peut être utilisée ou admise contre elle dans des poursuites criminelles, sauf dans le cas de poursuites pour parjure ou pour témoignage contradictoire. L’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée est prévue à l’al. 83.28(10)b). En fait, la protection accordée par l’al. b) déborde les exigences de la jurisprudence et confère une immunité absolue contre l’utilisation de la preuve dérivée, de sorte que la preuve émanant du témoignage livré à l’investigation judiciaire ne peut être produite contre le témoin dans d’autres poursuites, même si le ministère public est en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il aurait inévitablement découvert cette preuve par d’autres moyens. L’exemption constitutionnelle découle en l’espèce de l’application normale du principe énoncé au par. 96 de l’arrêt Jarvis, précité, selon lequel la contrainte à témoigner est interdite lorsque l’audience projetée a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale. Rien ne permet de croire que l’investigation judiciaire dont il est question en l’espèce a pour objet prédominant d’obtenir des renseignements ou des éléments de preuve qui permettront de poursuivre l’appelant.

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