mardi 25 septembre 2012

L'actus reus & la mens rea de l'infraction d'utilisation non autorisée d'ordinateur

R. c. Parent, 2012 QCCA 1653 (CanLII)

Lien vers la décision

[28] Certaines des décisions auxquelles j'ai ci-dessus fait référence laissent entendre que l'intention malhonnête (moralement turpide) serait un élément essentiel de l'infraction contenue à l'article 342.1 (1) a) C.cr. C'est d'ailleurs l'idée à laquelle souscrit le juge de première instance. En matière de fraude, la jurisprudence a plutôt énoncé que le concept de la malhonnêteté se manifestait dans l'acte prohibé et non dans l'état d'esprit de son auteur.

[29] Je me permets ici de référer au crime de fraude (art. 380 C.cr.) puisque, à mon avis, il existe des ramifications suffisamment étroites entre cette infraction et celle de vol pour conclure qu'elles obéissent à des règles semblables ne serait-ce qu'en raison du fait que, dans les deux cas, l'acte reproché se distingue par son caractère malhonnête.

[30] C'est aussi l'avis des auteurs Manning, Mewett et Sankoff qui écrivent :

The decision [Théroux] approved of the obiter reasoning to the same effect in Lafrance, a theft case, and there is no logical reason to distinguish between instances of fraud and theft.

[31] En ce sens, les principes dégagés dans l'arrêt Théroux trouvent application en l'espèce.

[32] Or, la Cour suprême a décidé dans cet arrêt que l'actus reus du crime de fraude était établi par la preuve d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un quelque autre acte frauduleux ayant entraîné une privation ou un risque de privation.

[33] Commentant les motifs de la juge McLachlin (qui n'était pas encore Juge en chef) dans Théroux, l'auteure Brenda L. Nightingale s'est dite d'avis que le caractère malhonnête inhérent au crime de fraude relevait au premier plan de l'actus reus de cette infraction et non de la mens rea :

In the review of the development of the law relating to the actus reus of the offence, McLachlin J. raised the problem which existed in Canadian cases with respect to whether the actus reus of the offence was to be determined by use of an objective test and, in particular, whether the issue of "dishonesty" was to be determined objectively as part of the actus reus of the offence. She held:

Olan marked a broadening of the law of fraud in two respects. First it overrules previous authority which suggest that deceit was an essential element of the offence. Instead, it posited the general concept of dishonesty, which might manifest itself in deceit, falsehood or some other form of dishonesty. Just as what constitutes a lie or a deceitful act for the purpose of the actus reus is judged on the objective facts, so the "other fraudulent means" in the third category is determined objectively, by reference to what a reasonable person would consider to be a dishonest act.

It therefore appears clear from this statement that "dishonesty", as an ingredient of the offence, is to be analysed as an element of the actus reus of fraud and not as an element relating to the mens rea of fraud. "Dishonesty" in Canadian law can be said to be characterized as an act rather than a state of mind.

[Référence omise. Je souligne.]

[34] Cela dit, l'acte reproché, pour être rangé parmi les actes dits malhonnêtes, n'a à satisfaire qu'au test de la personne raisonnable. La juge McLachlin, parlant de la troisième catégorie des conduites malhonnêtes mentionnées à l'article 380 C.cr. (les autres moyens dolosifs), écrit au nom de la majorité dans Théroux que :

Le caractère « malhonnête » du moyen est pertinent pour déterminer si la conduite est du genre de celle visée par l'infraction de fraude; ce qu'une personne raisonnable considère malhonnête aide à déterminer si l'actus reus de l'infraction peut être établi en fonction de certains faits.

[35] Rien en principe ne s'oppose à ce que ces enseignements se reflètent dans l'analyse des infractions à l'étude.

[36] Il ne fait aucun doute que l'utilisation non autorisée d'ordinateur s'apparente à un acte dolosif puisqu'un usage volontaire à des fins prohibées constitue à l'évidence un acte malhonnête.

[37] En l'espèce, aux fins de prouver l'actus reus de l'infraction mentionnée à l'article 342.1 (1) a) C.cr., l'appelante devait établir que l'intimé avait obtenu des services d'ordinateur, que cette utilisation était interdite et qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait convenu qu'il s'agissait là d'une activité malhonnête. Elle devait aussi établir que ce détournement était fait « sans apparence de droit ». Ces éléments composent l'actus reus des infractions reprochées à l'intimé.

ii) La mens rea de l'infraction d'utilisation non autorisée d'ordinateur

[38] J'en viens maintenant à la mens rea de l'infraction d'utilisation illégale d'un ordinateur. Aux fins de déterminer qu'elle est l'intention coupable rattachée à cette infraction, il est inutile de considérer l'opinion que l'accusé entretient quant au caractère moral de son acte.

[39] S'engager dans cette voie serait une invitation à juger de la mens rea de l'accusé selon son propre schème de valeurs et le cas échéant de l'acquitter au motif qu'il estime n'avoir rien fait de mal.

[40] Certains ont vu dans le mot « frauduleusement » contenu à l'article 342.1 (1) C.cr. quelque chose de plus que la simple conscience subjective chez l'accusé d'avoir sciemment et volontairement posé un acte malhonnête. La jurisprudence en matière de vol et de fraude répond à cette prétention.

[41] Une première définition du terme « frauduleusement » nous vient de l'arrêt anglais R. v. Williams. Dans cette affaire, le mot « frauduleusement » avait été ainsi défini :

[…] We think that the word "fraudulently" in section 1 [of Larceny Act, 1916] must mean that the taking is done intentionally, under no mistake and with knowledge that the thing taken is property of another person

[42] La décision Williams a été reprise par la Cour suprême dans l'arrêt Lafrance. La Cour y énonce notamment les éléments constitutifs de l'infraction de vol en ces termes :

[…] tous les éléments du vol, définis à l’art. 269 [devenu 322], ont été établis en l’espèce. L’intention était présente, il n’y a pas eu de méprise et l’on savait que le véhicule à moteur appartenait à un tiers. À mon avis, en prenant la voiture dans ces circonstances, on a agi frauduleusement. (Voir R. v. Williams, [1953] 1 Q.B. 660 (C.A.) à la p. 666). L’appelant a pris le véhicule sans apparence de droit et en a temporairement privé son propriétaire.

[43] À la même époque, notre Cour, dans l'arrêt Boger, parvenait à une conclusion semblable :

Il semble donc que le terme frauduleusement se rattache à la prise délibérée de la chose par le prévenu, sachant qu'elle ne lui appartient pas, en toute connaissance d'un état de fait qui ne lui donne pas le droit de le prendre.

[44] En 1993, la Cour suprême confirmait dans l'arrêt Théroux l’autorité de l’arrêt Lafrance. Elle écrivait :

La perception de la mens rea proposée plus haut est conforme aux arrêts antérieurs de notre Cour où on a rejeté l'idée selon laquelle la conscience subjective de l'accusé de sa malhonnêteté est pertinente en ce qui concerne la mens rea de la fraude. Dans l'arrêt Lafrance c. La Reine, 1973 CanLII 35 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 201, l'accusé s'était emparé d'une automobile dans l'intention de la ramener plus tard. Notre Cour devait décider si cela constituait un vol. À la page 214, le juge Martland (s'exprimant au nom de la majorité) a conclu que oui et qu'on avait agi frauduleusement en prenant la voiture : « L'intention était présente, il n'y a pas eu de méprise et l'on savait que le véhicule à moteur appartenait à un tiers. À mon avis, en prenant la voiture dans ces circonstances, on a agi frauduleusement. »

[45] Puis, dans l'arrêt Skalbania, la Cour suprême réaffirme son adhésion à la définition du mot « frauduleusement » telle qu'énoncée dans les arrêts Williams et Lafrance :

6 […] Nous sommes d’accord avec le juge Rowles de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique pour dire qu’un détournement intentionnel, et non par erreur, est suffisant pour établir la mens rea requise en vertu du par. 332(1) : voir Lafrance c. La Reine, 1973 CanLII 35 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 201; R. c. Williams, [1953] 1 Q.B. 660 (C.A.). Le mot « frauduleusement » utilisé dans ce paragraphe ne connote rien de plus. La malhonnêteté inhérente à l’infraction réside dans l’affectation intentionnelle, et non par erreur, de fonds à une fin irrégulière.

[46] Notre Cour dans l'arrêt Investissements Contempra ltée a appliqué ces règles en affirmant que :

D'une part, l'actus reus du vol consiste dans la prise ou le détournement, acte qui doit être posé à la fois frauduleusement et sans apparence de droit. La mens rea du vol, d'autre part, se distingue par la volonté de poser l'acte constituant l'actus reus, mais en plus par l'intention spécifique ou additionnelle décrite à l'un des sous-paragraphes a), b), c) ou d) de cet article 322.

[Je souligne.]

[47] Il y a aussi la Cour d'appel de l'Alberta dans R. v. Neve qui a retenu la même interprétation de l'arrêt Skalbania :

30 […] we have concluded that for property to be taken "fraudulently", it is enough that the taking be done intentionally, under no mistake, and with knowledge that the thing taken is the property of another person. This will suffice to characterize the taking as fraudulent.

[48] Plusieurs auteurs se sont dits d'avis que l'arrêt Skalbania réglait définitivement la question de l’interprétation du mot « frauduleusement ». Par exemple, Annie-Claude Bergeron et Pierre Lapointe jugent que ce terme n’a pas pour effet de créer une intention supplémentaire. Ils indiquent que ce mot signifie seulement qu'il suffit pour le contrevenant de prendre quelque chose intentionnellement, sachant qu'il ne possède pas ce droit.

[49] Pour leur part, Manning, Mewett et Sankoff écrivent :

It follows that no special type of deceit or evil intent is required for a taking to be fraudulent; nor is secrecy or concealment necessary to prove the mens rea of this offence.

[Références omises.]

[50] La poursuite devait, aux fins de prouver l'infraction prévue à l'article 342.1 (1) a) C.cr., démontrer une obtention par l'intimé de manière consciente et volontaire des services d'ordinateur. Cela nécessitait la preuve de son intention de poser l'acte prohibé, sachant que son geste était interdit au regard des fins projetées par cet usage. Il s'agit à mon avis de la mens rea requise pour la commission des infractions visées par ce pourvoi.

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