vendredi 26 octobre 2012

Le droit sur la règle du ouï-dire

R. c. St-Jacques, 2008 QCCS 6817 (CanLII)

Lien vers la décision

[18] L'arrêt Khelawon, rendu par la Cour suprême en 2006, est l'arrêt de base sur cette question de fiabilité d'une déclaration, tel qu'interprété plus récemment par cette Cour dans Blackman en 2008, deux décisions sous la plume de l'honorable Louise Charron. Il faut immédiatement préciser que Khelawon vient réviser la jurisprudence antérieure, surtout une partie de l'arrêt Starr quant à la preuve qu'il faut considérer lorsqu'on détermine le seuil de fiabilité d'une preuve par ouï-dire au stade d'un voir dire, comme ici.

[19] Commençons donc avec Khelawon, qui concernait des plaintes de plusieurs résidents d'une maison de retraite d'avoir été agressés par l'accusé. Le juge du procès avait admis une partie de la preuve par ouï-dire, malgré le décès d'un certain nombre de ces plaignants, dans une large mesure en raison de la similitude frappante des déclarations. La Cour d'appel de l'Ontario avait exclu toutes les déclarations et avait acquitté l'accusé, une conclusion confirmée par la Cour suprême.

[20] Dans son opinion, la juge Charron commence avec un rappel des règles de base en matière d'ouï-dire, aux paragraphes 2 et 3 :

[2] En général, tout élément de preuve pertinent est admissible. La règle excluant le ouï-dire est une exception bien établie à ce principe général. […] l'exclusion […] tient essentiellement à l'incapacité générale d'en vérifier la fiabilité. Si le déclarant n'est pas présent en cour, il peut se révéler impossible de mettre à l'épreuve sa perception, sa mémoire, sa relation du fait en question ou sa sincérité. […] Des erreurs, des exagérations ou des faussetés délibérées peuvent passer inaperçues et mener à des verdicts injustes. […] Dans certains cas, cette preuve présente des dangers minimes et son exclusion au lieu de son admission gênerait la constatation exacte des faits. C'est ainsi que les tribunaux ont établi, au fil du temps, un certain nombre d'exceptions à la règle. […] Si la partie qui veut présenter la preuve ne peut satisfaire au double critère de la nécessité et de la fiabilité (lorsqu'on sort des règles générales d'exclusion de preuve par ouï-dire), la règle d'exclusion générale l'emporte. Le juge du procès joue le rôle de gardien en effectuant cette appréciation préliminaire du « seuil de fiabilité » de la déclaration relatée et laisse au juge des faits le soin d'en déterminer en fin de compte la valeur.

[3] […] En tranchant la question du seuil de fiabilité (threshold reliability), le juge du procès doit être conscient que la preuve par ouï-dire est présumée inadmissible. Son rôle est de prévenir l'admission d'une preuve par ouï-dire qui n'est pas nécessaire pour trancher la question en litige ou dont la fiabilité ne ressort pas clairement de la véracité de son contenu ou ne peut, en dernière analyse, être vérifiée utilement par le juge des faits. Dans une affaire criminelle, l'incapacité de l'accusé de vérifier la preuve risque de compromettre l'équité du procès […] guident l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel du juge du procès d'exclure des éléments de preuve même si leur nécessité et leur fiabilité peuvent être démontrées. […] le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d'exclure une preuve admissible lorsque son effet préjudiciable est disproportionné par rapport à sa valeur probante.

[21] Il s'agissait dans Khelawon (comme ici) d'une preuve par ouï-dire pour laquelle la nécessité était établie (le déclarant étant disparu ou mort). La Cour suprême a enseigné qu'il faut décider si la Couronne a établi qu'il s'agit d'une preuve pertinente - nécessaire pour trancher une question en litige - et si cette preuve a atteint le seuil de fiabilité, sur une balance des probabilités. Enfin, même s'il s'agit d'une preuve pertinente, nécessaire et fiable, il faut examiner son effet préjudiciable par rapport à sa valeur probante.

[22] Avant de quitter l'arrêt Khelawon, il faut préciser que la Cour suprême, aux paragraphes 93 et suivants, spécifie que les commentaires aux paragraphes 215 et 217 de l'arrêt Starr ne devraient plus être suivis, soit la limite imposée auparavant quant à la preuve soumise sur le seuil de fiabilité :

[93] […] Partant, certains des commentaires formulés aux par. 215 et 217 de l'arrêt Starr ne devraient plus être suivis. Les facteurs pertinents ne doivent plus être rangés dans des catégories de seuil de fiabilité et de fiabilité en dernière analyse. Le tribunal devrait plutôt adopter une approche plus fonctionnelle, comme nous l'avons vu précédemment, et se concentrer sur les dangers particuliers que comporte la preuve par ouï-dire qu'on cherche à présenter, de même que sur les caractéristiques ou circonstances que la partie qui veut présenter la preuve invoque pour écarter ces dangers. De plus, le juge du procès doit demeurer conscient du rôle limité qu'il joue lorsqu'il se prononce sur l'admissibilité – il est essentiel pour assurer l'intégrité du processus de constatation des faits que la question de la fiabilité en dernière analyse ne soit pas préjugée lors du voir-dire portant sur l'admissibilité.

[94] Je tiens à dire quelques mots sur un facteur décrit dans l'arrêt Starr, à savoir « la présence d'une preuve corroborante ou contradictoire ». […]

[100] Il s'est révélé difficile et parfois paradoxal de limiter l'enquête aux circonstances entourant la déclaration.

[23] Il faut toutefois souligner que la juge Charron dans Khelawon n'a aucunement rejeté l'approche ou la méthode de « principe » élaboré dans Starr et basé sur les arrêts Smith et Khan, tel qu'il appert des extraits suivants de Starr :

[192] Jusqu'à maintenant, l'application par notre Cour de la méthode fondée sur des principes en matière d'admissibilité de la preuve par ouï-dire s'est limitée, en pratique, à élargir la portée de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire au-delà des exceptions traditionnelles. L'analyse et les observations de la Cour ont été axées sur la nécessité d'accroître la souplesse des exceptions existantes, et non pas particulièrement sur la nécessité de réexaminer les exceptions elles-mêmes. […]

[…]

[215] À cet égard, lorsque la fiabilité d'une déclaration est examinée selon la méthode fondée sur des principes, il importe d'établir une distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité absolue. […] Le seuil de fiabilité ne concerne pas la question de savoir si la déclaration est véridique ou non; c'est une question de fiabilité absolue. Il concerne plutôt la question de savoir si les circonstances ayant entouré la déclaration elle-même offrent des garanties circonstancielles de fiabilité. Ces garanties pourraient découler du fait que le déclarant n'avait aucune raison de mentir (voir Khan et Smith, précités) […].
[24] En 2008, la juge Charron revient sur la question dans Blackman et répète que l'approche fonctionnelle et de « principe » élaborée, entre autre, dans Khelawon s'applique toujours. Elle souligne, aux paragraphes 30 et suivants, les critères de la pertinence de l'approche « raisonnée » en matière de ouï-dire (par. 33 et s.), la question d'un motif pour mentir de la part du déclarant lors de l'étude de fiabilité (par. 39 et s.) et les problèmes vis-à-vis du témoin qui rapporte des déclarations d'ouï-dire (par. 47 et s.), surtout lorsque la faible crédibilité ou fiabilité de la personne qui relate la déclaration extrajudiciaire prive la déclaration de toute valeur probante (par. 52). Dans ce cas (relativement rare précise-t-elle), le juge du procès pourrait conclure qu'en raison de la faible crédibilité ou fiabilité de la preuve fournie par le narrateur il doit, en vertu de son pouvoir discrétionnaire résiduel, écarter la déclaration relatée.

[25] Aux paragraphes 53 et suivants de Blackman, la juge Charron traite de la question de la corroboration, ou l'absence de corroboration - voire contradiction :

[53] Avant de terminer, j'aimerais dire quelques mots en réponse aux observations qui nous ont été soumises pendant l'audience sur la question de la corroboration. […] à la lumière des précisions apportées ultérieurement dans Khelawon sur la façon de tenir compte d'une preuve corroborante ou contradictoire lors du voir-dire sur l'admissibilité.

[54] Je tiens à souligner que Khelawon n'a pas élargi la portée de l'examen de l'admissibilité; il n'a fait que le mettre au point. La Cour a statué que les facteurs pertinents à considérer lors du voir-dire sur l'admissibilité ne devraient plus être rangés dans la catégorie du seuil de fiabilité ou celle de la fiabilité ultime. Elle a plutôt déclaré qu'il y avait lieu d'adopter une approche fonctionnelle.

[55] La Cour a donc précisé que, lorsque les circonstances s'y prêtent, il est possible de prendre en compte un élément de preuve corroborant pour apprécier le seuil de fiabilité d'une déclaration. Prenons l'exemple de la déclaration relatée d'une victime qui affirme avoir été poignardé à plusieurs reprises, mais qui ne porte aucune trace de blessure. L'absence de preuve corroborante pourrait jeter un doute sérieux quant à la véracité de la déclaration, voire porter un coup fatal à son admissibilité. À l'inverse, un élément de preuve corroborant peut aussi confirmer la véracité d'une déclaration.

[26] J'arrive donc maintenant à l'analyse des déclarations devant moi dans la présente cause. Selon l'approche de Khelawon et de Blackman, il faut répondre aux quatre questions suivantes :

1. Est-ce qu'il s'agit de ouï-dire? Ici, la réponse est oui.

2. Si oui, est-ce que cette preuve est pertinente aux accusations pour lesquelles l'accusé subit son procès?

3. Si oui, on applique l'approche « de principe », c'est-à-dire, on procède à l'analyse de chaque déclaration en se posant la question suivante : « Cette déclaration atteint-elle le seuil de fiabilité sur une balance des probabilités? », en appliquant l'approche fonctionnelle et en tenant compte de toute la preuve, non seulement des circonstances entourant la déclaration, mais également de la preuve corroborante ou contradictoire.

4. Enfin, et même si cette déclaration est jugée nécessaire, pertinente et fiable suite à ces analyses, il faut peser le risque de préjudice pour l'accusé si la déclaration est admise contre sa valeur probante, chaque déclaration étant prise de façon individuelle.

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