jeudi 25 juillet 2013

État du droit concernant la récusation d'un juge

R. c. Bourgoin, 2002 CanLII 42039 (QC CS)


[5]               Je comprends que la défense a intérêt à invoquer ce moyen dès qu’elle a connaissance d’une situation susceptible de faire naître une crainte de partialité. En effet, ne pas invoquer cette situation en temps opportun peut lui être opposable. L’appel sur la présente décision ne pouvant se faire avant que le jugement final soit porté en appel.
[6]               Les juges de nomination fédérale ne sont pas assujettis à un code de déontologie, contrairement à leurs collègues de nomination provinciale, mais ils sont néanmoins assujettis à un devoir général de réserve.
[7]               Un document intitulé Principes de déontologie Judiciaire, préparé en novembre 1998 pour le Conseil canadien de la magistrature et rédigé en collaboration avec la Conférence canadienne des juges, sans être un code de déontologie à proprement parler, se veut néanmoins un énoncé de principes sur les normes de déontologie judiciaire qu’il convient d’adopter.
[8]               Dans ce document, la partie 6, qui traite de l’impartialité comprend l’énoncé de principe suivant :
«Il n’est pas à propos de se récuser si, selon le cas : a) l’élément laissant croire à la possibilité de conflits est négligeable ou ne permettrait pas de soutenir de manière plausible que la récusation s’impose».
[9]               Au sens général, l’impartialité se définit comme : «Le terme "impartial" […] connote une absence de préjugé, réel ou apparent.». Comme le rapportaient avec justesse les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin, «La véritable impartialité n'exige pas que le juge n'ait ni sympathie ni opinion.  Elle exige que le juge soit libre d'accueillir et d'utiliser différents points de vue en gardant un esprit ouvert.» (je souligne).
[10]            Ainsi, l’impartialité est une condition essentielle pour assurer le bon fonctionnement de notre système de justice, puisqu’il y va de l’image de la fonction judiciaire. Une des raisons de cet état de fait est que l'allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l'intégrité personnelle du juge, mais celle de l'administration de la justice toute entière. Il est parfois difficile pour un justiciable de dissocier les propos qu’un juge a pu tenir personnellement de ceux qui peuvent être tenus par la magistrature. Ainsi, la participation d’un juge dans un débat public n’est pas souhaitable.
[11]            En l’absence de preuve convaincante à l’effet contraire, il existe une présomption d’impartialité à l’égard des juges, lesquels y sont tenus par leur serment d’office :
«While the presumption that a judge will carry out his oath of office to render justice impartially may be rendered inoperative by cogent evidence, it was not in this case».
[12]            L’article 234 du Code de procédure civile se lit comme suit :

«CHAPITRE V : DE LA RÉCUSATION

a. 234.  Un juge peut être récusé:

1.      S'il est parent ou allié de l'une des parties, jusqu'au degré de cousin germain inclusivement;
2.      S'il est lui-même partie à un procès portant sur une question pareille à celle dont il s'agit dans la cause;
3.      S'il a déjà donné conseil sur le différend, ou s'il en a précédemment connu comme arbitre; s'il a agi comme avocat pour l'une des parties, ou s'il a exprimé son avis extrajudiciairement;

[…]
____________
1965 (1re sess.), c. 80, a. 234.; 1992, c. 57, a. 246.»
    
       (je souligne)

ANALYSE
[13]            Dans le présent cas, il s’agit de déterminer s’il y a apparence de partialité et non de savoir s’il y a partialité matérielle. On doit évaluer cette apparence de partialité selon un double critère : la crainte de partialité doit être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire et l’allégation de partialité doit être évaluée selon ce qu’une personne normale, impartiale, raisonnable et bien informée, qui est placée dans une même situation déduirait ou aurait comme perception, dans le cas présent à la lecture de l’article (critère in abstracto) :
«Le test applicable à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 369.  Bien qu'il ait été dissident, le test qu'il a formulé a été adopté par la majorité et a été constamment repris par notre Cour au cours des deux décennies subséquentes:  voir par exemple Valente c. La Reine, 1985 CanLII 25 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Lippé, 1990 CanLII 18 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 114; Ruffo c. Conseil de la magistrature,1995 CanLII 49 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 267.  Le juge de Grandpré a déclaré, aux pp. 394 et 395:
[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet.  […] [C]e critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?"
Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je […] refuse d'admettre que le critère doit être celui d'"une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne"».

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