jeudi 10 octobre 2024

Une preuve circonstancielle peut permettre de conclure qu’une arme non expertisée est une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte

R. c. Boivin, 2024 QCCQ 5477

Lien vers la décision


[22]      En somme, afin qu’une arme soit qualifiée d’arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte, la preuve doit établir, hors de tout doute raisonnable, les deux éléments qui suivent :

  L’arme est une arme à feu, en ce qu’elle est munie d’un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile et en ce qu’elle est susceptible d’infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne;

  L’arme est une arme de poing, en ce qu’elle est une arme à feu destinée, par sa construction ou ses modifications, à permettre de viser et tirer à l’aide d’une seule main.

[23]      En lien avec tous ces éléments, lorsque la qualification d’une arme non expertisée est l’objet d’un litige, comme en l’espèce, le test de l’œil de cochon ne s’applique pas. Dès lors, la jurisprudence et la doctrine enseignent qu’une preuve circonstancielle peut permettre de conclure qu’une arme non expertisée est une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte[12]. Voici le résumé de quelques décisions analysant une preuve circonstancielle au soutien de telles qualifications :

         Dans l’arrêt St-Pierre[13], notre Cour d’appel conclut que la preuve circonstancielle ne démontre pas la fonctionnalité d’une arme à titre d’arme à feu prohibée. Toutefois, elle réitère que le comportement d’un accusé à l’égard d’une arme à feu alléguée peut, en certaines circonstances, permettre de conclure qu’elle est fonctionnelle. Ainsi, dit-elle, la façon dont l’accusé manipule une arme lors de la commission d’une infraction, les propos qu’il tient en présence de témoins et sa participation à des activités criminelles sont autant d’éléments qui sont retenus par les tribunaux au moment de conclure au bon fonctionnement d’une arme à feu[14];

         Dans l’arrêt Robbie[15], la Cour d’appel d’Alberta renverse un verdict d’acquittement à l’égard d’une infraction reprochant l’utilisation d’une arme à feu durant la perpétration d’une autre infraction. Elle conclut que l’arme utilisée répond à la définition d’arme à feu, selon une preuve circonstancielle prima facie, non démentie, en recensant les indices qui suivent. L’accusé séquestre sa conjointe et place d’abord un couteau sous sa gorge. Il récupère ensuite un fusil, puis des munitions, et le charge. Laissant de côté le couteau, il utilise ensuite le fusil pour intimider sa conjointe, pendant plusieurs heures. Après avoir chargé l’arme, il discute de ses préarrangements funéraires, ce qui permet d’inférer que le fusil est fonctionnel;

         Dans l’arrêt Lay[16], la Cour d’appel d’Alberta conclut que l’arme pointée vers des agents correctionnels dans le contexte d’une extorsion est une arme de poing, s’agissant de la seule inférence logique émanant de la preuve, en raison des circonstances suivantes : d’abord, les agents croient avoir vu une véritable arme à feu; de plus, lors d’une conversation enregistrée entre l’accusé et sa conjointe pour planifier son évasion d’une prison, il lui demande si elle a vu son « boom stick »; sa conjointe répond positivement, ajoutant que l’arme est comme celle qu’elle a vue au club de tirs;

         Dans l’arrêt Abdoulkader[17], la Cour d’appel de l’Ontario conclut que l’arme braquée lors d’un vol qualifié dans une banque est une arme de poing véritable, et non une imitation, puisqu’une employée l’a cru, la décrivant comme étant noire lustrée et en métal, puis ayant entendu l’accusé charger l’arme (« rack the gun »);

         Dans l’affaire Alberts[18], une Cour de justice de l’Ontario conclut qu’une arme qui a toutes les apparences d’une arme à feu répond à la définition du Code, puisqu’elle est saisie en même temps que des munitions trouvées au même endroit, que l’accusée la décrit à un agent comme une petite arme à feu, et non comme une imitation ou une arme non fonctionnelle, qu’elle transporte pour sa protection. Le juge précise ceci : « Its protective value would be highly limited if it was not capable of discharging the ammunition that it was found in association with. »;

         Dans l’arrêt Carlson[19], la Cour d’appel de l’Ontario conclut que les éléments de la preuve supportent raisonnablement la qualification d’une arme de poing à titre d’arme à feu véritable, puisque durant le vol qualifié, l’accusé brandit l’arme, la braque derrière la tête du commis en criant « hold-up » et en demandant l’argent; plusieurs témoins la décrivent petite et noire, munie d’un canon de 6 à 8 pouces; enfin, selon un complice et son épouse, l’accusé avait accès à des armes;

         Dans l’arrêt Charbonneau[20], la Cour d’appel de l’Ontario conclut que l’arme utilisée par l’accusé est une arme à feu véritable, parce que la victime l’a cru, la décrit comme telle, en expliquant que l’accusé la tenait et se comportait comme s’il s’agissait d’une arme fonctionnelle, en la menaçant de tirer. De plus, la cour note l’absence d’une preuve contraire;

         Dans Ranieri[21], la Cour d’appel de l’Ontario conclut que l’arme pointée par l’accusé est une arme à feu, la preuve suffisant à l’inférer en raison de la description qu’en font les témoins, qui l’ont vu être chargée, de la violence de l’agression et des menaces proférées, dont celle voulant que l’accusé mentionne qu’il reviendra dans quelques jours les tuer dans leurs résidences;

         Dans l’arrêt O.A.[22], la Cour d’appel de l’Ontario, après avoir considéré une vidéo de surveillance montrant l’appelant pointer ce qui ressemble à une arme de poing vers un véhicule, la version d’un témoin qui affirme avoir entendu un bruit qui ressemble à un tir d’arme à feu, une vidéo montrant la foule se disperser rapidement par la suite et la découverte de marques sur le véhicule qui aurait été la cible du tir, cohérentes avec l’impact d’une balle de fusil, conclut que la seule inférence raisonnable possible dans les circonstances est la culpabilité de l’accusé au regard des infractions reliées aux armes à feu qui lui sont reprochées;

         Enfin, dans l’arrêt Gordon[23], la Cour d’appel de l’Ontario conclut que le juge peut inférer que l’accusé brandit une arme à feu lorsqu'au cours d’un vol qualifié, pour maîtriser les victimes, il pointe un objet qui ressemble à une arme à feu en leur direction et menace de tirer, puis que les victimes croient qu'il s'agit d'une vraie arme à feu et que les voleurs agissent comme si c'était le cas.

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