samedi 2 novembre 2024

La démarche que doivent suivre les tribunaux qui déterminent les peines en appliquant le principe de totalité

R. c. Peterson, 2017 NBCA 29 

Lien vers la décision


[14]                                                           Dans des cas comme celui qui nous occupe, où les délinquants sont condamnés à de multiples peines consécutives, le principe général de proportionnalité s’exprime dans le principe plus particulier de totalité. Les juges qui condamnent les délinquants à purger des peines consécutives pour des infractions multiples doivent s’assurer que la peine cumulative ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant.

 

[15]                                                           Dans l’arrêt R. c. Daye2010 NBCA 53362 R.N.‑B. (2e) 1, la juge d’appel Larlee explique la démarche que doivent suivre les tribunaux qui déterminent les peines en appliquant le principe de totalité :

 

Il ne faut pas oublier que, si une peine consécutive doit être infligée, le principe de totalité s’applique (al. 718.2c)). Dans Arbuthnot, le juge Chartier a fait les remarques suivantes au sujet de la démarche à adopter relativement au principe de totalité :

 

[TRADUCTION]
Compte tenu des nombreuses infractions en cause, je dois d’abord déterminer si certaines peines seront purgées de façon consécutive. Si tel est le cas, le principe de totalité énoncé à l’al. 718.2c) s’applique et la démarche globale de détermination de la peine exposée par la Cour suprême du Canada en 1996 dans l’arrêt M. (C.A.) doit être suivie (
voir également R. c. Reader (M.) 2008 MBCA 42225 Man.R. (2d) 118, aux par. 25 à 28Traverse, aux par. 33 à 35, et, plus récemment, Grant, au par. 98). Cette démarche s’applique comme suit :

 

1) Le juge chargé de la détermination de la peine doit d’abord déterminer si certaines peines ou si toutes les peines doivent être purgées consécutivement. Si toutes les peines doivent être purgées concurremment, il n’y a alors pas lieu de se préoccuper du principe de totalité et le juge chargé de la détermination de la peine n’a pas besoin de passer à l’étape suivante. Si toutes les peines ou si certaines d’entre elles doivent être purgées consécutivement, le juge chargé de la détermination de la peine doit alors fixer la peine appropriée pour chaque infraction ou groupe d’infractions à purger de manière consécutive conformément aux principes appropriés de détermination de la peine (y compris ceux applicables aux peines consécutives) et ensuite passer à l’étape suivante.

 

2) Le juge chargé de la détermination de la peine doit alors calculer le total des peines consécutives en considérant une dernière fois la peine totale. Ce faisant, il applique de manière plus précise le principe général de proportionnalité (voir M. (C.A.), au par. 42). Il n’est pas nécessaire de réexaminer les principes de détermination de la peine appliqués à la première étape. Au contraire, en examinant une dernière fois la peine totale, le juge s’assure d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction des peines. Pour prendre cette décision, le juge chargé de la détermination de la peine doit tenir compte de la gravité des infractions, de la culpabilité morale de l’accusé et du préjudice causé aux victimes et s’assurer que la peine n’a pas un effet « écrasant » et qu’elle est compatible avec les antécédents du contrevenant et ses perspectives de réadaptation (voir Traverse, aux par. 33 à 35 et 65). [par. 18]

[par. 16]

 

[16]                                                           Également dans l’arrêt Daye, notre Cour affirme que des peines consécutives doivent être infligées à moins qu’il n’existe un lien raisonnablement étroit dans le temps et dans l’espace entre les infractions commises à l’occasion d’une seule opération ou affaire criminelle continue. Les tribunaux doivent faire preuve de bon sens dans cette analyse. Par exemple, des peines concurrentes peuvent être appropriées lorsque les actes sont commis dans le cadre d’une opération criminelle continue qui a lieu pendant une période relativement brève.

 

[17]                                                           Toutefois, dans l’arrêt R. c. Howe2007 NBCA 84330 R.N.‑B. (2e) 204, le juge d’appel Richard fait remarquer que de nombreux tribunaux d’appel ont évité les peines concurrentes lorsque les infractions, quoique faisant partie de la même opération, constituent des atteintes à différents intérêts protégés par la loi (par. 29). Dans l’arrêt R. c. Skinner2016 NSCA 54[2016] N.S.J. No. 255 (QL), au par. 49, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a accueilli un appel de la peine interjeté par le ministère public pour le motif que l’erreur de la juge du procès dans l’application du principe de totalité [TRADUCTION] « a eu une incidence sur la peine infligée » au sens des toutes récentes observations de la Cour suprême dans l’arrêt Lacasse.

 

[18]                                                           En l’espèce, M. Peterson a déjà été condamné bon nombre de fois pour vol qualifié. La dernière fois remonte à 2013, quand il avait aussi été déclaré coupable d’autres vols, de fuite lorsqu’il avait été poursuivi par la police et de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur. Les principaux principes de l’art. 718 du Code criminel qu’il fallait appliquer pour déterminer sa peine étaient ceux de la dissuasion spécifique, de la dissuasion générale, de la dénonciation et du besoin d’isoler M. Peterson de la société. Le principe de la réadaptation était pratiquement inapplicable en raison du casier judiciaire chargé de M. Peterson. De fait, l’art. 718.02 exige que l’on considère surtout la dissuasion et la dénonciation dans le cas d’une agression armée à l’endroit d’agents de la paix.

 

[19]                                                           À l’audience de détermination de la peine, l’avocate de M. Peterson a suggéré une peine de 4 à 5 ans en raison du principe de la gradation des peines. Celui-ci devait être appliqué aux peines antérieures de partir de M. Peterson pour les mêmes infractions. À mon avis, ce principe devrait être appliqué seulement pour les délinquants dont la réadaptation est un facteur important pour déterminer la peine. Dans l’arrêt Frigault c. R.2012 NBCA 8383 R.N.‑B. (2e) 266, notre Cour a dit :

 

Le juge Saunders de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a fait l’analyse suivante du principe de la gradation des peines dans R. c. Bernard2011 NSCA 53[2011] N.S.J. No. 301 (QL) :

 

[TRADUCTION]
Dans certaines situations, il peut être nécessaire pour les juges de tenir compte de l’effet du « bond sentenciel » (ou « gradation des peines ») pour punir un comportement illégal. Cette démarche a pour but de prendre en compte le degré de sévérité des peines infligées à l’égard d’infractions antérieures par rapport à celui de la peine sur le point d’être infligée. En d’autres termes, ce principe reconnaît l’importance de comparer le degré de sévérité relatif des peines infligées pour des infractions passées et présentes.

 

[...]

 

Même si les facteurs dits du « bond sentenciel », de la « gradation des peines » et de l’« intervalle entre les déclarations de culpabilité » ne sont pas expressément codifiés à l’art. 718, leur application fait maintenant partie de la nomenclature de la détermination de la peine. Ces facteurs peuvent être déduits de ce que le Code criminel appelle le « principe fondamental » de la détermination de la peine prévu à l’art. 718.1, à savoir que la peine « est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». Je n’ai pas à décider si ces concepts sont devenus des principes reconnus de détermination de la peine ou s’il s’agit simplement d’étiquettes utilisées pour expliquer les caractéristiques logiques et pertinentes de la détermination de la peine. Il s’agit essentiellement de concepts ou de normes qui peuvent être appliqués pour s’assurer « d’éviter l’excès de nature ou de durée » lorsque des peines consécutives sont infligées (al. 718.2c)). […] [Par. 33 et 36]

 

Clayton Ruby, dans l’ouvrage intitulé Sentencing (7e éd.), (Markham, Ont. : LexisNexis, 2008), explique le raisonnement à la base de l’« effet du bond sentenciel », à partir de la page 389 :

 

[TRADUCTION]
Par. 8.79 L’une des caractéristiques souvent révélées par l’examen d’un casier judiciaire est le fait que la peine infligée ou à être infligée dans l’espèce est considérablement plus longue que les peines infligées antérieurement. Même lorsqu’il y a une augmentation marquée de la gravité du crime perpétré, il ne devrait pas y avoir un trop grand « bond » dans la durée de la peine infligée : [TRADUCTION] « les peines infligées à l’égard d’un récidiviste devraient augmenter graduellement, plutôt que radicalement ». Il ne s’agit vraisemblablement de rien de plus que le principe portant que si moins fera l’affaire, c’est que plus est superflu, dont il est fait état à l’al. 718d) du Code criminel. Ainsi, dans l’arrêt [Re Morand and Simpson[1959] S.J. No. 52 (C.A.) (QL)], la Cour d’appel de la Saskatchewan a donné comme l’un des motifs expliquant le fait que la peine était réduite de quatre ans à trois ans que la plus longue peine infligée antérieurement était de deux ans. Les peines seront également réduites si elles représentent une augmentation excessive par rapport à des peines antérieures. Ainsi, dans [R. c. Alfs[1974] O.J. No. 1046 (C.A.) (QL)], la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’appelant n’avait jamais reçu de peine d’incarcération auparavant et, notamment pour cette raison, elle a modifié une peine de quatre ans pour vol à main armée en y substituant une peine de temps déjà purgé d’environ dix mois suivie d’une période de probation d’un an. Un nouveau principe a vu le jour : dans [R. c. Sloane, [1973] 1 N.S.W.L.R. 202], une peine qui a fait un bond en passant d’une mesure non privative de liberté à un emprisonnement de huit ans a été décrite comme étant [TRADUCTION] « contraire aux principes ».

 

Par. 8.80 Ce principe ne permet pas de justifier une peine plus longue que celle qui avait été infligée antérieurement; il s’agit plutôt d’une règle qui tend à limiter l’augmentation – lorsqu’elle est par ailleurs justifiée et nécessaire – à une augmentation imposée de manière graduelle. Toutefois, la proportionnalité demeure le principe fondamental de la détermination de la peine et, par conséquent, le principe du bond sentenciel peut « atteindre un palier » lorsque le délinquant possède un très lourd casier judiciaire.

                                          [Citations omises.]

 

Tel que le juge Saunders l’a indiqué dans Bernard, dans certains cas, il peut être nécessaire pour les juges de tenir compte du principe de la gradation des peines dans la détermination de la peine. Mais ce n’est pas le cas en l’espèce.  M. Frigault possède un lourd casier judiciaire. Même s’il a été condamné précédemment à des peines d’un an à purger consécutivement à l’égard de deux accusations d’introduction par effraction et vol, il en est maintenant à sa cinquième accusation d’introduction par effraction et il a déjà été incarcéré. Dans Andrade c. R.2010 NBCA 62, 363 R.N.‑B. (2e) 159, le juge Robertson a discuté de l’importance des antécédents judiciaires de l’accusé :

 

Il ne fait aucun doute que la décision du juge du procès en ce qui concerne la peine a été influencée par la longueur des antécédents judiciaires de l’appelant (vingt-quatre déclarations de culpabilité antérieures). Il va sans dire que les antécédents judiciaires sont cruciaux en ce qui concerne la question de la « moralité » du délinquant et les objectifs de la détermination de la peine énoncés par le législateur fédéral. C’est au moyen des antécédents judiciaires du délinquant que l’on peut évaluer les possibilités de réinsertion sociale, de récidive et de dangerosité future. Cela explique pourquoi le droit se préoccupe souvent de la nature ou de la gravité des déclarations de culpabilité et en particulier des déclarations de culpabilité antérieures pour la même infraction. Le tribunal chargé de déterminer la peine recourt inévitablement à la peine infligée comme preuve de la gravité de l’infraction. Un casier judiciaire faisant état d’actes de « violence » est considéré comme « important ». [Par. 24]

 

S’il fallait considérer les peines infligées pour défaut de se conformer à une ordonnance de probation et pour introduction par effraction séparément, on pourrait se demander si le juge chargé de la détermination de la peine a omis de tenir compte du principe de la gradation des peines. Cependant, je suis d’avis que l’application du principe de la gradation des peines est utile dans l’examen de la détermination de la peine à l’égard d’une seule infraction et qu’elle est moins utile dans les cas où un juge est chargé de la détermination de la peine à l’égard d’un accusé ayant un lourd casier judiciaire avec de multiples condamnations. Dans ces cas, après avoir tenu compte des principes de détermination de la peine énoncés dans le Code, le juge se concentre bien entendu sur la détermination de la peine globale appropriée. Même si le juge n’a pas précisément indiqué pourquoi il infligeait la peine en question, il ressort clairement de la conversation avec M. Frigault qu’il a évalué objectivement la situation de M. Frigault et bien tenu compte des principes de détermination de la peine. Dans l’analyse de l’application du principe de la gradation des peines à la présente affaire, il faut considérer la norme de contrôle qui incite les cours d’appel à faire preuve de retenue à l’égard d’un appel de la peine. Dans R. c. LeBlanc2003 NBCA 75, 264 R.N.‑B. (2e) 341, le juge en chef Drapeau a clairement affirmé que les cours d’appel ne devraient pas intervenir lorsqu’il y a appel de la peine sauf si : (1) la peine est le résultat d’une erreur de droit; (2) le juge a commis une erreur de principe dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire; (3) la peine est manifestement déraisonnable compte tenu de l’art. 718 du Code (par. 17). Dans la présente affaire, aucun de ces trois facteurs n’existe. [par. 16 à 19]

 

[20]                                                           Dans l’arrêt R. c. Kory2009 BCCA 146[2009] B.C.J. No. 778 (QL), la juge d’appel Ryan traite du principe de la gradation des peines dans le cas d’une introduction par effraction dans une habitation où les résidents étaient présents. Comme en l’espèce, l’accusé avait de lourds antécédents d’activité criminelle. Son casier judiciaire, qui comptait 36 déclarations de culpabilité en tout, incluait huit introductions par effraction ainsi que quatorze déclarations de culpabilité pour vol et possession de biens volés (par. 4). En augmentant la peine de deux ans (avec réduction d’un an pour la détention préventive), la juge d’appel Ryan fait cette remarque : [TRADUCTION] « Dans une affaire comme la présente, où l’intimé a un casier judiciaire chargé et a constamment reçu des peines légères pour des infractions du même genre, le principe de la gradation des peines ne nous aide pas beaucoup. Il n’a pas fonctionné. » (Par. 7) En soulignant la gravité de l’infraction et l’absence de réadaptation ou de dissuasion que l’on constate dans le casier judiciaire de l’accusé, elle a reconnu que les tribunaux accordent moins de poids au principe de la gradation des peines dans de tels cas :

 

[TRADUCTION]
À mon avis, la peine est inappropriée. Elle ne correspond pas à la gravité de cette infraction : une introduction par effraction nocturne dans une résidence privée pendant que les occupants dormaient dans leurs lits, commise par un récidiviste endurci. En l’espèce, le juge du procès a convenu avec l’avocat de la défense qu’il devrait tenir compte du « principe de la gradation des peines ». Le « principe de la gradation des peines » n’est pas un principe ni un objectif énoncé dans le Code criminel. C’est une façon concise d’exprimer l’idée que la détermination des peines exige une démarche modérée, même pour les récidivistes. Voici ce qu’a dit le juge Lambert 
dans la décision R. c. Robitaille1993 CanLII 2561 (BC CA)[1993] B.C.J. No. 1404 :

 

[TRADUCTION]
[8] À propos de cet argument, je dis que la théorie selon laquelle les peines ne devraient augmenter que par étapes modérées est une théorie qui repose sur les principes de réadaptation de la détermination de la peine. Elle devrait s’appliquer seulement dans les cas où la réadaptation est un facteur important de la détermination de la peine. Alors, dans une affaire donnée, la conclusion voulant que l’augmentation de la peine ne doive pas être trop grande repose sur un examen de la situation particulière du délinquant et sur un désir de ne pas décourager toute tentative qu’il pourrait faire pour se réadapter en lui infligeant une peine qu’il pourrait percevoir comme un boulet à traîner dans sa vie future.

 

Le juge Smith a dit ceci dans l’arrêt R. c. L.D.W.2005 BCCA 404215 B.C.A.C. 6466 W.C.B. (2d) 499 :

 

[TRADUCTION]
[30] Je n’accepterais pas l’assertion de l’appelant selon laquelle la peine est contraire au principe de la gradation des peines. Ce principe constitue un frein en tendant à limiter les augmentations dépassant les peines infligées antérieurement, et il est particulièrement pertinent lorsque la réadaptation est un facteur important de détermination de la peine et lorsque la peine ne devrait pas être telle qu’elle découragerait les tentatives de réadaptation. J’estime que ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, ce principe n’est pas utile dans les situations où, comme en l’espèce, l’infraction dont il s’agit consiste en une conduite criminelle beaucoup plus coupable et plus grave que l’infraction précédente.

 

Alors, pour atteindre les objectifs de la dissuasion spécifique et de la réadaptation, il n’est souvent pas nécessaire de faire plus que d’augmenter la sanction de façon graduelle lorsqu’un délinquant commet des infractions à répétition. Toutefois, le principe de la gradation des peines devrait être appliqué lorsque les circonstances s’y prêtent. [par. 6]

 

La juge d’appel Ryan conclut que, dans cette affaire, [TRADUCTION] « la protection du public au moyen d’une peine exemplaire aurait dû avoir priorité » (par. 8).

[23]                                                           Le juge du procès n’a pas fait ce qu’il était tenu de faire, à savoir de totaliser toutes les peines à infliger, puis de jeter un « dernier coup d’œil » aux peines consécutives infligées pour s’assurer que la peine n’était pas exagérément longue ou rigoureuse, compte tenu de la gravité des infractions, de la culpabilité morale du délinquant, du préjudice causé aux victimes, du casier judiciaire et des perspectives d’avenir du délinquant, afin de s’assurer que l’effet de la peine ne serait pas « écrasant ».

 

[24]                                                           Ces erreurs ont abouti à l’infliction d’une peine « globale » qui était manifestement inappropriée compte tenu particulièrement de la culpabilité, du casier judiciaire et des perspectives d’avenir de M. Peterson. Il semble que le juge qui a déterminé la peine a fondé la peine globale sur le « principe de la gradation des peines » parce que le délinquant avait reçu auparavant un peu plus de trois ans d’emprisonnement pour des infractions semblables commises en Colombie-Britannique en 2013. Comme je l’ai dit, le « principe de la gradation des peines » n’est guère applicable en l’espèce en raison des perspectives de réadaptation limitées de M. Peterson.

 

[25]                                                           La peine globale infligée est à peine appropriée pour les seuls vols qualifiés et braquage de domicile. Quand on y ajoute la poursuite à grande vitesse et l’agression armée à l’endroit d’agents de la paix, qui ont eu lieu par la suite, ces infractions demeurent pratiquement impunies au nom du « principe de totalité ».

 

[26]                                                           Dans l’arrêt R. c. Hutchings2012 NLCA 2[2012] N.J. No. 12 (QL), la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a siégé comme formation de cinq membres parce que l’appel offrait une occasion d’éclaircir les circonstances dans lesquelles le principe de « totalité » pouvait être appliqué de manière différente. Il s’agissait d’un appel interjeté par un délinquant de la peine qui lui avait été infligée pour trois chefs de vol à main armée, deux chefs de déguisement dans un dessein criminel et deux chefs de défaut de se conformer à une ordonnance de probation. L’accusé et une autre personne ont commis un vol dans un dépanneur. Six jours plus tard, l’accusé a commis un vol dans une station-service. Les voleurs étaient armés de couteaux et leurs visages étaient couverts de mouchoirs. Aux deux occasions, des espèces, des cigarettes et des billets de loterie ont été pris. Pendant le vol dans le dépanneur, les deux hommes ont aussi réclamé le sac à main d’une cliente, mais la victime a affirmé qu’elle n’en avait pas. L’accusé a plaidé coupable. Le ministère public a demandé une peine globale de huit ans, alors que la défense en demandait cinq, avec réduction pour le temps purgé dans chaque cas. L’accusé a été condamné à une peine d’emprisonnement de 7 ans et 2 jours, moins une réduction de 141 jours pour la détention avant le procès. Le juge qui a déterminé la peine a infligé des peines consécutives, avec des peines concurrentes pour les infractions incidentes. Les peines pour chaque défaut de se conformer à une ordonnance de probation ont également été consécutives. L’accusé a soutenu que la peine globale était inappropriée.

 

[27]                                                           Dans l’affaire Hutchings, la question à trancher en appel était de savoir si le juge qui avait déterminé la peine avait appliqué correctement les principes relatifs aux peines consécutives et aux peines concurrentes, et en particulier le principe de totalité. L’appel a été accueilli. La Cour a conclu que le juge qui avait déterminé la peine avait eu raison de considérer les deux vols qualifiés comme deux entreprises criminelles distinctes. En conséquence, ce juge a considéré à bon droit que les deux vols qualifiés devaient donner lieu à des peines consécutives. Le juge qui a déterminé la peine avait également eu raison de traiter l’infraction de port d’un masque comme un élément de la même entreprise criminelle, élément qui faisait partie intégrante de chacun des vols qualifiés. De plus, le juge qui a déterminé la peine a eu raison d’infliger des peines consécutives pour le défaut de se conformer aux ordonnances de probation. Toutefois, la façon dont le juge a abordé la totalité était douteuse, car il a examiné la totalité dans le contexte de la détermination de la peine pour chaque infraction particulière dans le but de parvenir à une peine globale. Il aurait plutôt dû déterminer la peine pour chaque infraction isolément sans songer à la totalité. Après avoir examiné si les peines devaient être consécutives ou concurrentes, le juge aurait dû examiner ensuite si le principe de totalité exigeait une réduction de la peine globale. Le défaut d’adopter la démarche requise constituait une erreur de principe et a entraîné une peine inappropriée. Le recours à la bonne méthode a amené le remplacement de la peine par une peine de cinq ans et demi d’emprisonnement, moins une réduction pour le temps passé en détention. Le juge Green, juge en chef de Terre-Neuve-et-Labrador, explique la bonne méthode analytique à suivre pour déterminer la peine des auteurs d’infractions multiples :

 

[TRADUCTION]
L’analyse ci-dessus, ainsi que le fait que la formule de Ruby, à laquelle renvoyait l’arrêt M. (C.A.), était antérieure à l’adoption de l’art. 718.1 et de l’al. 718.2c), exige une reformulation de la méthode applicable. Je présenterais les lignes directrices suivantes comme méthode d’analyse à adopter à l’avenir :

 

1. En déterminant la peine pour des infractions multiples, le juge devrait commencer par déterminer une peine appropriée pour chaque infraction, en appliquant les principes appropriés de détermination de la peine.

 

2. Le juge devrait ensuite examiner si certaines des peines individuelles devraient être consécutives ou concurrentes pour le motif qu’elles constituent une seule entreprise criminelle, sans se soucier du principe de totalité à cette étape.

 

3. Chaque fois que, à la suite des conclusions tirées aux étapes 1 et 2, il est indiqué d’infliger deux peines ou plus à purger consécutivement, il peut y avoir lieu d’appliquer le principe de totalité. Le juge qui détermine la peine doit donc réfléchir à son application.

 

4. La méthode consiste à jeter un dernier coup d’œil à la peine globale pour déterminer si elle est exagérément longue ou rigoureuse, au sens où elle serait disproportionnée à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

 

5. Pour déterminer si la peine globale est exagérément longue ou rigoureuse et disproportionnée à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant, le tribunal qui détermine la peine devrait, dans la mesure où ils sont pertinents dans les circonstances particulières de l’espèce, tenir compte des facteurs suivants et les soupeser :

 

a) la durée de la peine globale comparativement à la durée normale de la peine pour la plus grave des infractions individuelles en question;

 

b) le nombre et la gravité des infractions en question;

 

c) le casier judiciaire du délinquant;

 

d) les incidences de la peine globale sur les perspectives de réadaptation du délinquant, au sens où elle pourrait être trop rigoureuse ou écrasante;

 

e) tout autre facteur qu’il pourrait être approprié de considérer pour assurer que la peine globale est proportionnée à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du délinquant.

 

6. Si le juge qui détermine la peine conclut, à la suite de l’application des facteurs énumérés à l’étape 5 qui sont considérés pertinents, que la peine globale est exagérément longue ou rigoureuse et disproportionnée à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du délinquant, il devrait ensuite déterminer dans quelle mesure la peine globale devrait être réduite pour atteindre une globalité appropriée. Si par contre le juge conclut que la peine globale n’est pas exagérément longue ou rigoureuse, la peine ne doit pas être modifiée.

 

7. Si le tribunal qui détermine la peine conclut qu’il est approprié de réduire la peine globale pour atteindre une totalité appropriée, il devrait d’abord tenter d’ajuster une ou plusieurs des peines en la ou les rendant concurrentes avec d’autres peines, mais, si cela n’atteint pas le résultat approprié, le tribunal peut en outre, ou à la place, ramener la durée d’une peine individuelle en deçà de ce qu’elle aurait par ailleurs été.

 

8. En infligeant les peines individuelles rajustées selon le principe de totalité, le juge devrait déterminer avec soin à la fois :

 

a) les peines qui sont considérées appropriées pour chaque infraction particulière quand on applique les principes appropriés de détermination de la peine sans songer à la totalité;

 

b) la mesure dans laquelle les peines ont été rendues concurrentes pour le motif que l’affaire constitue une seule entreprise criminelle;

 

c) la méthodologie appropriée qui est utilisée pour atteindre la totalité qui convient, laquelle méthodologie doit indiquer quelles peines individuelles doivent être rendues concurrentes ou réduites par d’autres moyens pour atteindre ce but.

 

9. Enfin, le juge qui détermine la peine devrait indiquer si une ou plusieurs des peines qui s’ensuivent devraient être réduites davantage pour tenir compte de la détention avant procès et, dans l’affirmative, de combien elles devraient être réduites.

[par. 84]

 

[28]                                                           J’adopterais la démarche suivie par la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador comme étant l’analyse appropriée des peines à infliger pour des infractions multiples. Dans l’affaire qui nous occupe, la méthode du juge qui a déterminé la peine ne constitue non seulement une erreur de principe, mais, de plus, elle a eu une incidence considérable sur le résultat et a abouti à une peine inappropriée.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire