R. c. Trudel, 2020 QCCQ 7046
Privilège relatif au litige
[69] La jurisprudence reconnaît que des considérations relatives à une défense pleine et entière peuvent forcer la divulgation d'éléments couverts par le privilège du litige dans le cadre d'une requête en abus.[31]
[70] Sur cette question, la poursuite soutient qu'à ce stade des procédures, les allégations de la requête en arrêt des procédures ne constituent pas une preuve prima facie d'abus, notamment en tenant compte de sa réponse étoffée à cette requête. La défense est d'avis contraire.
[71] Ici, il y a lieu de souligner que l’invitation lancée par la poursuite au Tribunal de mettre fin aux multiples demandes de la défense semble faire fi du contexte qui prévaut actuellement.
[72] En effet, le Tribunal est d’avis que l’assise factuelle entourant un possible contournement des obligations constitutionnelles de l’État en matière de communication de la preuve est suffisamment étoffée et sérieuse pour ordonner la divulgation des communications entre les policiers et la poursuite au sujet du signalement concernant Richard Tessier.
[73] Dans la présente affaire, les faits établissent un début de preuve d'une violation de l'obligation de divulgation qui n'était sans inadvertance. Certes, la poursuite fait valoir des arguments au fond pour contrer les allégations d'abus. N'empêche que le seuil de preuve prima facie est peu élevé. En l'espèce, ce fardeau est rencontré à la lumière de l'assise factuelle soumise qui ne cesse d’exister au seul motif que la poursuite apporte des arguments pour contrer ces allégations. Cela dit, la question à savoir s'il y a eu conduite répréhensible flagrante ou abus de procédures visé par l'étroite catégorie résiduelle de nature à miner l'intégrité du processus judiciaire devra être déterminée au terme de l'audition de la requête en abus.
[74] En clair, la documentation recherchée sera pertinente pour les co-accusés afin de dresser le portrait complet relativement à divulgation de la preuve entourant le signalement concernant Richard Tessier et la conduite de l'État.
Privilège du secret professionnel
[75] À l'instar des procureurs, le Tribunal constate l’existence d’un certain débat jurisprudentiel sur la question de savoir si l’abus de procédures peut être considéré comme une exception permettant de lever le secret professionnel.
[76] Tout d'abord, il y a lieu de souligner que dans l'arrêt Campbell[32], la Cour suprême refuse de se prononcer sur la question de savoir si en l'absence de renonciation, des considérations relatives à défense pleine et entière peuvent elles-mêmes avoir pour effet de forcer la divulgation d’une communication protégée par le secret professionnel dans le cadre d'une action en abus de procédures.
[77] Dans l'arrêt Creswell, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique considère que le privilège avocat-client doit céder le pas au droit à une défense pleine et entière et que ce droit va au-delà de la démonstration de l'innocence pour y inclure celui d'établir une poursuite abusive.[33] La cour estime que la procédure à suivre est celle énoncée dans Leipert[34] en lien avec le privilège de l'informateur.
[78] Un an plus tard dans l'arrêt McClure[35], la Cour suprême constate la tension existante entre le droit à une défense pleine et entière et le secret professionnel. Elle s'attarde à l'importance de ce privilège afin d'éviter son érosion. C'est dans ce contexte qu'elle élabore le critère rigoureux de la démonstration de l'innocence en jeu en matière de secret professionnel.
[79] Par la suite, les tribunaux ont appliqué un test compatible avec celui de l'arrêt McClure afin de décider s'il y a lieu de faire exception au secret professionnel, en cas d’abus.[36]
[80] Le test peut s'énoncer comme suit:
1. Le requérant a-t-il établi que les renseignements ne peuvent être obtenus ailleurs et qu'il est du reste incapable de démontrer l'inconduite de la poursuite ou de la police?
2. Y a-t-il des éléments de preuve qui étayent la prétention qu'il existe une communication avocat-client qui pourrait établir le motif précis d'abus ou de conduite répréhensible flagrante qui est allégué?
3. Y a-t-il dans la communication avocat-client quelque chose qui susciterait probablement qu'il y a eu une conduite répréhensible flagrante?
[81] Le Tribunal estime donc que le test modifié de McClure peut tout à fait trouver application dans un contexte d'abus de procédures. D'autre part, à la lumière de la portée de l'arrêt Pearson, monsieur le juge Cournoyer, siégeant alors à la Cour supérieure, indique dans l'affaire Bordo[37] que l'étendue de la communication de la preuve doit tenir compte du contexte d'abus même lorsque le secret professionnel est en cause, référant ainsi aux arrêts Castro et Creswell.
[82] N’eut été de la renonciation sans équivoque, le Tribunal aurait conclu que les co-accusés rencontrent à ce stade des procédures le premier critère du test McClure modifié. En effet, certains renseignements ne peuvent être obtenus ailleurs en vue d’étayer les inconduites. Pour ce qui est des deux autres étapes, le Tribunal aurait sans doute déclaré qu’il était prématuré de conclure sans avoir d’abord entendu la preuve au soutien de la requête en abus et sans avoir examiner l’ensemble de la conduire étatique.[38]
[83] En guise de conclusion, le Tribunal détermine que même si plusieurs documents sont privilégiés, il y a eu renonciation. De plus, des considérations relatives à une défense pleine et entière force la divulgation des renseignements protégés par le privilège relatif au litige.
[84] Relativement à ceux protégés par le secret professionnel, bien que le premier critère du test de McClure soit rencontré, il serait prématuré de conclure que les deux autres sont satisfaits.
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