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dimanche 16 mars 2025

Le privilège relatif au secret professionnel de l'avocat, le privilège relatif au litige & la renonciation à pareil privilège

R. c. Trudel, 2020 QCCQ 7046

Lien vers la décision


[35]      Les privilèges constituent, au nom de l'intérêt public, une immunité de divulgation de renseignements qui seraient par ailleurs utiles pour la solution du litige.[10] 

 

Privilège relatif au secret professionnel de l'avocat

[36]      Les critères pertinents permettant d'établir l'existence de ce privilège constituent:

1)         une communication entre un avocat et son client;

2)         qui comporte une consultation ou un avis juridique et;

 

3)         que les parties considèrent de nature confidentielle. [11]

[37]      Certes, ce privilège jouit d'une grande primauté et d'une existence quasi-absolue dans la mesure où les critères d'application sont réunis. [12]

[38]      Le privilège avocat-client s'applique également lorsqu'un avocat salarié de l'État donne un avis juridique à son client, l'organisme gouvernemental, ce qui comprend les policiers qui tentent d'obtenir un avis juridique.[13] 

[39]      La Cour suprême détermine que dans un tel contexte, le privilège s'applique lorsque l'avocat du gouvernement donne au ministère client des conseils juridiques qui seraient habituellement protégés.[14]  Il est utile de rappeler que dans l'arrêt Campbell[15] il était question d'une opinion juridique portant sur la légalité d'une opération de vente surveillée. 

[40]      Comme l'a énoncé la Cour suprême dans Maranda[16], ce n'est pas la qualité de l'interlocuteur qui donne naissance au privilège mais le contexte de la communication.

[41]      Ainsi, une distinction s'impose-t-elle lorsque l'opinion sollicitée est en lien avec l'obligation de divulgation de la preuve?

[42]      Sur ce point, la poursuite plaide que les questions de divulgation de la preuve peuvent s'avérer complexes et épineuses et que dans un tel contexte, l'avis juridique demandé par l'enquêteur au procureur de la poursuite remplit les conditions de l'existence du droit à la confidentialité du client et de l'avocat.

[43]      Quant à l'argumentaire de la défense, il peut se résumer comme suit :

         le secret professionnel (tout comme le privilège relatif au litige) ne s'appliquent pas compte tenu de l'objet de l'avis, à savoir une question en matière de divulgation;

         comme le ministère public et non la police prend la décision de divulguer ou non, il ne fournit pas une opinion à un client sur la manière dont ce dernier devrait agir.

[44]      Bien que la seconde portion de l'argumentaire soit attrayante, il y a lieu de rappeler qu'en matière de divulgation de la preuve, la police a une obligation corollaire de divulguer des renseignements pertinents au ministère public.  Or, il peut être difficile d'identifier les limites de cette obligation.[17] 

[45]      Il est donc loisible pour le policier de solliciter l’opinion d'un procureur afin de s'assurer du respect de son obligation corollaire ou bien vérifier si un élément de preuve est privilégié.

[46]      La preuve démontre que les conditions d'application relatives au secret professionnel sont rencontrées : une consultation de la part du sergent Dolbec-Lalonde auprès de Me Duquette.  Cette consultation est voulue confidentielle et elle vise l’obtention d’un avis juridique.

[47]      Par ailleurs, la décision de ne pas communiquer un élément de preuve pertinent n'est pas couverte par le secret professionnel.  À cet égard, la poursuite a l'obligation de divulguer l'existence d'une preuve pertinence privilégiée.[18]  Cette décision peut alors être contrôlée par le Tribunal.  Le cas échéant, la poursuite est tenue de justifier le refus de divulgation en motivant sa position au Tribunal.  Toutefois, les notes, correspondances, opinions aboutissant à la décision finale relèvent du privilège relatif au litige ou du secret professionnel.

[48]      En revanche, lorsque la poursuite omet sciemment de divulguer l'existence d'une preuve pertinente et que la défense l'apprend, elle s'expose à des allégations d'abus de procédures.  Le Tribunal reviendra plus loin sur la question à savoir s'il peut y avoir lieu de faire exception au secret professionnel ou au privilège du litige dans un tel cas.

 

Privilège relatif au litige

[49]      À tout le moins, la réponse de Me Duquette relève du privilège relatif au litige.  À cet égard, le Tribunal se permet de reprendre la définition du juge Mascia :

Le privilège relatif au litige s'applique au produit du travail accompli par la couronne dans le cadre d'une affaire pénale et comprend le travail produit par la police afin de préparer le procès.  Il inclut, généralement - mais non limitativement - les notes, mémorandum, correspondances, opinions et stratégie du procureur de la poursuite dans la préparation de son dossier.[19]

[50]      Les auteurs Hubbard, Magotiaux et Duncan dressent une liste d'exemples où le privilège s'applique en matière criminelle, incluant notamment :

         Notes or material that involves thought process or considerations of Crown counsel in the preparation of its.  Case - in other words, the product is the result of analysis of the mind;

         Any internal notes, memoranda, correspondence or other materials generated by the Crown in preparation of the case for trial unless the work product contains « material inconsistencies or additional facts not already disclosed to the defence ».  As a general rule work product applies to matters of opinion as opposed to matters of fact and the privilege does not exempt disclosure of medical, scientific and other expert's reporters.[20]

[51]      En revanche, le produit du travail dans le cadre de l'enquête n'est pas protégé par le privilège du litige.[21]

[52]      En l’espèce, certains courriels portent sur les mesures d'enquête suivant le signalement concernant Richard Tessier.  On ne saurait affirmer que ces courriels sont protégés par le privilège du litige.  De plus, dans le contexte de la requête en abus, ils sont tout à fait pertinents pour la défense.[22]  Que le signalement soit transféré ou pas au service des enquêtes de l'UPAC, n'empêche que les autorités policières effectuaient alors des démarches en vue de valider des informations reçues ce qui constitue des démarches d'enquête.

[53]      Par ailleurs, les autres documents rencontrent, selon la prépondérance des probabilités, les conditions d'application des privilèges relatifs au litige et au secret professionnel.

 

Renonciation

[58]      La renonciation explicite ne pose pas de problème.  Les difficultés peuvent survenir dans le cas de renonciation implicite.  Appelée à trancher la question de la renonciation au secret professionnel médical dans un contexte civil, la Cour suprême s'exprime comme suit sur la renonciation implicite :

Bien que la renonciation ne se présume pas, la jurisprudence et la doctrine admettent cette forme de renonciation et lui donnent effet. Elle s'infère des gestes posés par le titulaire du droit, qui se révèlent incompatibles avec la volonté de préserver le secret professionnel ou plutôt d'éviter la divulgation de l'information confidentielle que protège celui-ci.[24] 

[59]      Dans l'arrêt Campbell[25], la Cour statue qu'il y a eu renonciation implicite au secret professionnel :

Il n'est pas toujours nécessaire que le client divulgue effectivement une part du contenu de l'avis juridique pour qu'il y ait renonciation au privilège protégeant les communications pertinente dont l'avis fait partie.  En l'espèce, il était suffisant que la GRC appuie son argument de la bonne foi sur l'avis non divulgué de l'avocat alors que l'existence ou non-existence de la foi invoqué dépendait du contenu de cet avis.  L'impression que la GRC a tenté de transmettre à la cour était clairement que l'avis fourni par M. Leising lui avait assuré que l'opération proposée de vente surveillée était légale.

[60]      Appliquant les principes de l'arrêt Campbell, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique détermine qu'un policier qui mentionne uniquement l'opinion lors d'un contre-interrogatoire ne renonce pas au privilège.[26]

[61]      En l'espèce, l'affidavit du sergent Dolbec-Lalonde ne saurait être considéré comme une simple chronologie de la divulgation de la preuve comme le prétend la poursuite.  Au contraire, le contenu de cet affidavit démontre clairement que l'enquêteur invoque sa diligence en lien avec la divulgation étant donné l'avis sollicité auprès de Me Duquette.[27]

[62]      De plus, la renonciation implicite découle du fait que la poursuite contredit les allégations d'abus en se fondant notamment sur le fait que l'enquêteur a obtenu un avis juridique dans le but de démontrer sa bonne foi et sa diligence.

[63]      Au surplus, l'analyse de l'ensemble de la preuve, y compris celle produite sous scellés, permet au Tribunal d'affirmer que certains pans de l'affidavit de l'enquêteur constituent également une renonciation sélective en ce qu'ils ne donnent pas le portrait complet compte tenu de la nature de l'opinion reçue.[28] 

[64]      En effet, la  renonciation implicite côtoie de près la renonciation sélective comme le souligne l’auteur de l'ouvrage Sollicitor-Client privilege[29] :

Partial waiver is closely connected to implied waiver. Both are concerned with fairness and the inconsistency of the privilege-holder trying to use the privilege while also hiding behind it at the same time, i.e., using the privilege as both a “shield” and a “sword”.  Thus, Wigmore stated that “when his conduct touches a certain point of disclosure, fairness requires that his privilege shall cease whether he intended that result or not. He cannot be allowed, after disclosing as much as he pleases, to withhold the remainder. He may elect to withhold or to disclose, but after a certain point his election must remain final … Another way of putting it is that partial waiver prevents a party from engaging in selective and selfserving disclosure on a particular topic, disclosing only those privileged documents that support the position of the party and not disclosing those communications that do not

[65]      Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne retient pas l'argumentaire de la poursuite selon lequel les renseignements recherchés ne contiennent aucune information supplémentaire que celles décrites par l'enquêteur dans son affidavit.  Au contraire, les pièces déposées sous scellés contiennent des faits pertinents dont certains sont nouveaux.[30]  D'autre part, cet argument équivaut en soi à l'existence d'une renonciation puisque la poursuite affirme que les renseignements demandés sont déjà divulgués par le biais de l'affidavit du sergent Dolbec-Lalonde.

[66]      En alléguant avoir agi de façon diligente en sollicitant l'avis d'un procureur à deux reprises pour connaître l'obligation de divulgation relativement au signalement concernant Richard Tessier, et s'être fié à ses conseils juridiques, cet agissement constitue, de l'avis du Tribunal, une renonciation sans équivoque au secret professionnel.  En effet, la lecture de l'affidavit démontre clairement que les autorités policières se fondent sur l'avis juridique afin de démontrer la bonne foi et ainsi contredire les allégations d'abus.

[67]      Le Tribunal conclut donc que la poursuite et la police ont procédé à une renonciation aux deux privilèges invoqués.

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