Ivanov c. R., 2025 QCCA 301
[62] Le contexte de cette affaire obligeait la juge à considérer les différents principes applicables lorsqu’une infraction relevant de la violence conjugale est commise par un jeune contrevenant primaire.
[63] Notre Cour n’a cessé de réitérer que les objectifs de dénonciation et d’exemplarité prennent une importance accrue en matière de violence conjugale. Cet enseignement a été rappelé encore tout dernièrement :
[83] Il est par ailleurs opportun de réitérer qu’en matière de violence conjugale, incluant dans le cas d’ex‑conjoints, les objectifs de dénonciation et de dissuasion revêtent une importance accrue, conformément à l’intention exprimée par le législateur.[19]
[Renvois omis]
[64] Ces considérations notées, il y a également la situation du jeune délinquant primaire qui nécessite d’accorder un poids certain, voire important, au principe de modération[20]. La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Bertrand Marchand, rappelle que « [l]a réinsertion sociale et la dissuasion spécifique sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[21]. Cette règle s’applique « même en présence d’une infraction violente »[22].
[65] Plusieurs années avant cet arrêt de la Cour suprême, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait dans l’arrêt R. c. Beauchamp que le jeune âge d’un contrevenant primaire commandait d’apporter un poids important à sa réhabilitation :
[379] It is well-established that rehabilitation and specific deterrence are the paramount considerations on the sentencing of a youthful first offender; undue weight should not be placed on general deterrence.[23]
[Soulignement ajouté; renvois omis]
[66] Ce n’est pas dire que les critères applicables à la détermination de la peine en matière de violence conjugale sont inconciliables avec ceux applicables à celle d’un jeune contrevenant primaire au point d’exclure les facteurs pertinents liés à la seconde situation pour ne retenir que ceux concernés par la première. En cette matière, tout est une question de pondération et non d’opposition.
[67] Ma collègue la juge Bich exprime avec clarté l’exercice de pondération applicable à la situation du jeune contrevenant primaire visé par une accusation dont la nature oblige d’apporter une attention particulière à la dénonciation et à la dissuasion :
[51] Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.[24]
[Soulignements ajoutés; renvoi omis; italique dans l’original]
[68] Si on applique ces enseignements à la situation de l’espèce, soit celle d’un jeune contrevenant primaire accusé de mauvais traitement à l’égard d’une partenaire intime, l’exercice de pondération auquel la juge devait se livrer consistait à porter « une attention particulière » aux objectifs d’exemplarité et de dissuasion générale tout en accordant « un poids important » aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.
[69] Au regard de ce qui précède, les passages suivants du jugement sur la peine s’éloignent de ces critères au point de constituer une erreur de principe :
[122] Dans les cas de violence conjugale, l’absolution ne sera donc imposée que dans les cas exceptionnels où il serait indiqué, par exemple, de mettre de côté les principes de dénonciation et de dissuasion qui doivent prédominer dans ce genre de dossier.
[…]
[125] Le Tribunal tire cette conclusion malgré le fait que la réinsertion sociale et la dissuasion spécifique soient les premiers objectifs lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction. Car en matière de violence conjugale, notre Cour d’appel nous enseigne que l’objectif de la réinsertion sociale ne devrait pas avoir préséance sur les objectifs de dissuasion et de dénonciation.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[70] Tout d’abord, la jurisprudence de notre Cour ne soutient pas l’idée selon laquelle, en matière de violence conjugale, seuls « les cas exceptionnels » pourront bénéficier d’une absolution sous conditions. Bien que les objectifs de dénonciation et de dissuasion prennent dans ce contexte une importance particulière et que l’absolution soit octroyée avec parcimonie, chaque cas doit être évalué à son mérite[25]. En l’espèce, la restriction invoquée par la juge est susceptible de heurter les enseignements de la Cour suprême concernant la réinsertion sociale du jeune contrevenant qui en est à sa première infraction[26].
[71] Ensuite, la juge oppose le contexte de violence conjugale à l’âge du contrevenant pour prioriser la première situation. Cette façon de faire a conduit à un déséquilibre entre le poids à accorder à un geste isolé posé en matière de violence conjugale et les chances élevées de réhabilitation de l’appelant.
[72] En ne considérant pas à leur juste valeur les facteurs que sont la réhabilitation et la dissuasion, la juge commet une erreur similaire à celle relevée dans l’arrêt M.P. c. R. :
[16] Enfin, le juge estime que l'octroi d'une absolution, conditionnelle ou inconditionnelle, ne pourra se faire sans nuire à l'intérêt public. Il s'appuie sur les dispositions du Code criminel prévoyant que la peine imposée pour mauvais traitement à un enfant par une personne en autorité doit privilégier les objectifs de dénonciation et de dissuasion.
[17] […] L'imposition d'une peine pour une infraction de cette nature commande au juge d'accorder une « attention particulière » à ces objectifs, mais il ne peut pour autant négliger de prendre en compte les autres objectifs de détermination de la peine. En insistant déraisonnablement sur les facteurs de dénonciation et de dissuasion, et en occultant les efforts considérables consentis par l'appelant pour se réhabiliter aux yeux de la société, le juge commet une erreur de principe justifiant l'intervention de la Cour.[27]
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[73] De plus, l’approche retenue par la juge a eu pour effet d’occulter la conséquence d’une condamnation sur le statut de l’appelant au Canada à titre de circonstance particulière (et non « exceptionnelle ») pouvant donner ouverture à une absolution sous conditions.
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