Ivanov c. R., 2025 QCCA 301
i) Le risque de récidive
[34] Je considère que ce passage de l’arrêt Gagnon s’applique avec beaucoup de pertinence à la présente affaire :
[37] L’omission de la juge de considérer ces éléments pertinents ou de leur donner l’importance qu’ils revêtent constitue donc […] une erreur de principe qui, faut-il le dire, ne peut s’expliquer que par l’omission pure et simple d’analyser adéquatement le risque de récidive en soi au regard de l’ensemble de la preuve.[10]
[Soulignement ajouté]
Le risque de récidive ne peut être complètement écarté
[43] Rien dans ce qui précède ne remet en cause la capacité de l’appelant à réagir adéquatement devant une situation agressante. De plus, le rapport n’identifie aucun facteur ni ne soulève un élément de nature à douter de la volonté de l’appelant à se mobiliser devant l’adversité ou encore ne fait voir une faille dans sa détermination à maintenir ses acquis, et ce, même si le risque zéro n’existe pas en ce domaine.
[44] En somme, je considère que la lecture du rapport présentenciel ne soutient aucune autre idée que celle d’un risque de récidive faible.
[45] Cela dit, il n’entre pas dans la mission de l’agent de probation de prédire l’avenir. La conclusion hautement péremptoire selon laquelle un contrevenant ne présente aucun risque de récidive ne peut autrement que reposer sur une prévisibilité périlleuse, voire insoutenable, au regard des aléas de la vie.
[46] La juge commettait donc une erreur en fixant la barre au niveau du risque de récidive inexistant. Cette erreur l’a conduite à mettre en opposition les facteurs que sont le processus de réhabilitation de l’appelant et le véritable risque de récidive qu’il représente. Les passages suivants du jugement illustrent ce qui précède :
[47] Le processus de réhabilitation de l’accusé est donc bien amorcé, ce qui constitue certes une circonstance atténuante.
[…]
[69] Il s’est écoulé cinq ans depuis les événements et tout porte à croire que l’accusé a respecté les conditions auxquelles il est assujetti.
[…]
[71] Néanmoins, malgré le passage du temps, le risque de récidive ne peut être complètement écarté, comme nous l’avons vu précédemment.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[47] Même si la juge considère la réhabilitation de l’appelant comme étant un facteur atténuant, elle neutralise cette conclusion en estimant que le niveau d’avancement de la réhabilitation de l’appelant n’est rendu qu’au stade de l’amorce.
[48] À mon avis, près de cinq ans de paix sociale et de bonne conduite constituent plus qu’un simple point de départ marquant la réhabilitation de l’appelant. Lorsqu’on regarde son passé sans tache, outre bien entendu le geste isolé pour lequel il a plaidé coupable, auquel s’ajoutent les outils thérapeutiques acquis durant ses thérapies et la longue période de bonne conduite depuis son geste criminel, l’appelant a depuis longtemps franchi le stade de l’amorce. Il est maintenant partie prenante d’un processus de réhabilitation bien ancré dans une réalité quotidienne en dépit de tous les écueils et défis que comporte la vie en société.
[49] D’ailleurs, la réhabilitation de l’appelant n’avait pas à être complétée pour pleinement produire ses effets, car autrement « ce serait nier l’idée qu’une personne criminelle peut aspirer à se réhabiliter »[17].
[50] Le dossier d’appel fait aussi voir que l’appelant n’a pas de condamnation antérieure ni de cause pendante. Il ne souffre d’aucune dépendance à l’alcool ou à des drogues et il bénéficie du soutien de sa famille et de ses amis. Voilà autant de conditions gagnantes qui expliquent pourquoi la réhabilitation de l’appelant évolue toujours positivement.
[51] Cette stabilité de l’appelant n’est pas surprenante. Le COPATLA a inclus dans son cursus un programme de contrôle des tempéraments colériques auquel a participé l’appelant. Dans son bilan confectionné les 31 août et 26 novembre 2021, M. Sandro Leal, directeur de l’organisme et travailleur social, écrivait que l’appelant ne représentait pas un danger pour lui-même ou pour les autres. M. Leal précisait aussi ne pas être préoccupé par le risque de récidive puisque l’appelant ne manifeste aucun trait d’obsession ou désir de vengeance. Il faut bien admettre qu’à ce jour, le temps a donné raison à cet intervenant.
[52] En somme, le processus de réhabilitation soutenu et bien en place de l’appelant combiné à un risque de récidive faible sont des éléments positifs exempts de tout bémol.
L’appelant a reconnu avoir encore besoin d’encadrement
[53] La juge écrit :
[115] Par ailleurs, même si l’analyse met en relief plusieurs circonstances atténuantes, il n’en demeure pas moins que l’accusé nécessite encore à ce jour un encadrement, comme le plaident à bon droit les deux parties, lesquelles recommandent respectivement un suivi probatoire de 18 mois.
[Soulignement ajouté; renvois omis]
[54] En inférant un besoin d’encadrement pour l’appelant à partir de la suggestion des parties de le soumettre à un suivi probatoire, la juge erre en droit. Cette erreur est déterminante, en ce qu’une ordonnance de probation est de toute façon obligatoire si le juge de la peine choisit de surseoir à son prononcé ou de prescrire par ordonnance une absolution sous conditions. Quant au suivi probatoire, il devient incontournable si la probation est assortie de conditions facultatives, par exemple l’accomplissement de travaux communautaires ou encore l’ordonnance de paiement d’un montant quelconque à une victime.
[58] De plus, ce n’est pas parce qu’un contrevenant consent à l’avance à s’investir dans un programme à être identifié par le service de probation qu’il faille tirer l’inférence de son inhabilité à évoluer au sein de sa communauté sans l’aide d’un encadrement formel. Une démarche visant à rassurer le système de justice et à appuyer l’idée de s’amender ne signifie pas pour autant qu’un contrevenant a perdu confiance en sa capacité de s’intégrer harmonieusement dans la société.
[59] Bref, la question du besoin d’encadrement résulte d’une mauvaise application du droit. En conséquence, cette conclusion de la juge ne pouvait pas participer à l’appréciation du risque de récidive.
***
[60] Je note que la juge a reconnu l’intérêt de l’appelant à l’obtention d’une absolution sous conditions. Cette conclusion permet d’inférer que sa situation n’incite pas à une plus grande dissuasion spécifique, un objectif pénologique normalement centré sur le risque de récidive[18]. Il me semble pour le moins contradictoire de conclure, d’une part, que l’absolution est dans l’intérêt véritable de l’appelant, mais, d’autre part, que ce dernier présente tout de même un risque de récidive suffisant pour être apprécié au stade de l’analyse de l’intérêt public, une étape où le tribunal doit avant tout considérer le besoin de dissuasion générale.
[61] En somme, je suis d’avis que le faible risque de récidive représenté par l’appelant doit être rangé parmi les facteurs atténuants et non simplement considéré comme étant un facteur neutre. Cette omission de la juge a eu une incidence certaine sur sa décision de ne pas consentir à l’appelant une absolution sous conditions.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire