3.1 Le contexte
[20] Peu après le début du témoignage de la plaignante, l’avocate de la poursuite lui exhibe six courriels. Dès lors, elle les dépose en preuve[6], avec le consentement de l’avocat de la défense :
Me Emilie Desjardins-Bertrand
(…) Alors, je vous coterais tous les courriels sous P-1 en liasse et on va les passer un à un. Ça vous va, collègue?
Me Olivier Cusson
Ça me va[7]
(Notre soulignement)
[21] L’avocate de la poursuite questionne ensuite la plaignante sur chacun de ces courriels[8]. Notamment, elle la questionne sur :
▪ l’adresse courriel de l’expéditeur;
▪ ses propres adresses courriel;
▪ le fait que la copie déposée de ces courriels correspond à ceux qu’elle a reçus dans sa propre boîte courriel[9];
▪ le contenu de chacun;
▪ les raisons pour lesquelles elle les attribue à l’accusé; et
▪ les sentiments qu’ils provoquent chez elle.
[22] Jamais l’avocat de la défense ne formule quelque objection à leur égard, bien au contraire[10]. Il ne réagit pas lorsque la plaignante témoigne ne pas avoir imprimé elle‑même les copies déposées[11]. Il ne plaide pas leur inadmissibilité en preuve. Cet argument n’apparaît qu’en appel.
3.2 Le droit et la discussion
[23] Bien que le juge d’instance possède le pouvoir d’écarter une preuve inadmissible[12], il est de jurisprudence constante que, normalement, une partie doit formuler son objection à l’admissibilité d’une preuve au moment où l’autre partie la présente au Tribunal.
[24] Ainsi, dans une décision de 2008, la Cour d’appel de l’Ontario qualifie ce principe de banal (« trite law »)[13]. Elle l’exprime d’ailleurs dès 1992 dans R v Kutynec[14]. Elle y écrit qu’avant l’avènement de la Charte, aucune personne au courant des règles sur la conduite d’un procès criminel n’aurait suggéré qu’un accusé puisse s’objecter de façon routinière à l’admissibilité d’une preuve soumise par la poursuite après que celle‑ci ait déclaré sa preuve close. Elle ajoute qu’il s’avère évident que l’accusé doit formuler de telles objections avant ou au moment où la preuve est présentée. Elle conclut que cette proposition sensée s’applique même aux demandes d’exclusion de la preuve en vertu de la Charte[15].
[25] Si tant est que ce soit nécessaire, la Cour explique qu’une conduite ordonnée et juste des procès criminels exige que la poursuite sache si la preuve qu’elle soumet sera reçue et considérée avant de déclarer sa preuve close :
14 Litigants, including the Crown, are entitled to know when they tender evidence whether the other side takes objection to the reception of that evidence. The orderly and fair operation of the criminal trial process requires that the Crown know before it completes its case whether the evidence it has tendered will be received and considered in determining the guilt of an accused. The ex post facto exclusion of evidence, during the trial, would render the trial process unwieldy at a minimum. In jury trials it could render the process inoperative.
(Notre soulignement)
[26] Plus récemment, la Cour d’appel du Québec rappelait ce principe[16], qu’elle avait déjà souligné plusieurs années auparavant[17].
[27] En l’espèce, la poursuite produit les courriels litigieux sans objection de l’accusé, voire avec son consentement. Celui-ci ne peut s’en plaindre en appel. L’autoriser à le faire serait injuste. En effet, si l’accusé s’en était plaint en temps opportun, la poursuite aurait facilement pu pallier à la carence qu’il invoque maintenant[18].
3.3 L’admissibilité des courriels
[28] L’accusé soulève une série d’éléments dont la poursuite n’a pas fait la preuve et qui rendrait le dépôt en preuve des courriels inadmissibles. En l’espèce, il a tort.
[29] Le fardeau de démontrer l’authenticité d’un courriel ne s’avère pas lourd[19]. Il s’agit simplement de soumettre certains éléments de preuve qui permettent de conclure que le document est bien ce qu’il paraît être[20]. Or, à l’audience de première instance, la plaignante reconnaît l’impression des courriels qui lui sont présentés comme étant une copie de ceux qu’elle a reçus dans sa boîte courriel, sans modifications[21].
[30] En l’espèce, cela suffisait compte tenu de la nature des documents. Dans les circonstances, il ne s’avère pas utile d’élaborer davantage sur cette question.
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