dimanche 26 juillet 2009

La responsabilité criminelle d’une compagnie

Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, 1985 CanLII 32 (C.S.C.)

En l'espèce, l'application de la théorie de l'identification permet de conclure à la responsabilité criminelle des appelantes. Cette théorie repose sur l'identité de l'âme dirigeante et de la compagnie en question; en effet, l'employé qui a commis l'infraction est l'incarnation de la compagnie qui est son employeur. Par conséquent, même dans le cas d'infractions qui exigent la mens rea, si la cour conclut que l'administrateur ou le cadre est un organe vital de la compagnie et qu'il en est en réalité l'âme dirigeante dans l'exercice de ses attributions, de sorte que ses actes et ses intentions deviennent ceux de la compagnie elle‑même, celle‑ci peut être déclarée responsable en droit criminel. L'imputation à la compagnie de l'acte illégal de son représentant principal crée une responsabilité directe plutôt qu'une responsabilité du fait d'autrui. La doctrine de l'identité réunit le conseil d'administration, le directeur général, le directeur, le gérant et toute autre personne à qui est déléguée l'autorité directrice de la compagnie et la conduite de l'une quelconque des entités ainsi réunies est alors attribuée à la compagnie. Une compagnie peut, de cette façon, avoir plus d'une âme dirigeante.

Pour que la théorie puisse s'appliquer, il faut que l'âme dirigeante agisse dans le cadre de ses pouvoirs, c'est‑à‑dire que ses actes doivent relever du secteur d'activités de la compagnie qui lui est attribué. Le secteur peut être fonctionnel, géographique ou peut englober toutes les activités de la compagnie. L'utilisation de l'expression "cadre de l'emploi" soulève des difficultés terminologiques.

On ne peut opposer à l'application de la doctrine de l'identification qu'un acte criminel d'un employé de la compagnie ne peut relever du cadre de son autorité à moins qu'on ne lui ait expréssement ordonné de commettre l'acte en question. Pareille condition rendrait la règle quasiment inutile. La responsabilité peut exister avec ou sans délégation formelle, connaissance du conseil d'administration ou interdiction expresse.

Une compagnie comprend en réalité les éléments suivants: l'entité juridique, la personne actionnaire et l'employé. Du fait de la théorie de l'identification, la sanction criminelle les frappera directement ou indirectement tous les trois, ce qui est très différent de la situation du propriétaire naturel pour qui seulement deux de ces éléments existent. L'imposition de la responsabilité criminelle est acceptable au sein d'une communauté où la réalité impose que les compagnies soient tenues de répondre d'actes criminels dans certaines circonstances.

Chacune des compagnies en cause avait une âme dirigeante et ce n'est pas parce que celle‑ci a pu agir frauduleusement envers la compagnie qui était son employeur, pour son propre avantage ou contrairement aux instructions qu'elle a reçues, que ladite société échappe à toute responsabilité criminelle dans les circonstances.

Le fait qu'il y a eu des instructions générales ou précises interdisant la conduite en question n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de fixer la portée de la théorie de l'identification. Puisque la compagnie et son âme dirigeante sont devenues une seule entité, l'interdiction que la société a pu adresser à d'autres personnes n'a, en droit, aucun effet sur la détermination de la responsabilité criminelle soit de son âme dirigeante soit de la compagnie elle‑même en raison des actes de son âme dirigeante.

Les limites de l'applicabilité de la doctrine de la délégation sont cependant atteintes et dépassées lorsque l'âme dirigeante cesse complètement d'agir, en fait ou pour l'essentiel, dans l'intérêt de la compagnie. La théorie de l'identification ne s'applique plus lorsqu'une âme dirigeante commet intentionnellement une fraude au détriment de la compagnie et que ses actes illégaux constituent une partie importante des fonctions normales de son poste. En pareil cas, si tous les efforts du directeur visent à détruire l'entreprise de la compagnie, il est alors irréaliste de conclure qu'il agit en sa qualité d'âme dirigeante de la compagnie en question. Le raisonnement est le même pour le concept de l'avantage. Toutefois, un avantage diffère d'une fraude parce qu'il peut être partiel. Le cas où l'âme dirigeante vise à priver la compagnie d'un avantage relié à l'exploitation de son entreprise commerciale est en réalité bien différent de celui où l'âme dirigeante obtient un avantage par suite d'opérations isolées ou dans l'exercice de ses fonctions secondaires.

Lorsque l'acte criminel est complètement frauduleux envers la compagnie employeur, que cet acte était censé profiter exclusivement au directeur employé qui l'a commis et que tel a été le résultat, l'employé, âme dirigeante, dès la conception et l'exécution de son plan criminel, cesse d'être l'âme dirigeante de la compagnie. Par conséquent, ses actes ne peuvent être imputés à la compagnie en vertu de la doctrine de l'identification. Ainsi la doctrine de l'identification ne joue que lorsque le ministère public établit que l'acte de l'âme dirigeante a) entrait dans le domaine d'attribution de ses fonctions; b) n'était pas complètement frauduleux envers la compagnie; et c) avait en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la compagnie.

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