dimanche 26 juillet 2009

Le principe d'inclusion de la preuve par le «n'eût été»

R. c. Auclair, 2004 CanLII 24201 (QC C.A.)

[52] C'est un truisme d'affirmer que le droit prétorien n'a pas créé une règle d'exclusion automatique de la preuve obtenue par suite d'une violation de la Charte. Depuis l'arrêt R. c. Collins, précité, il est acquis que le par. 24(2) introduit un processus de pondération en fonction de trois facteurs (1) l'équité du procès, (2) la gravité de la violation et (3) l'incidence de l'utilisation de la preuve sur la considération d'un jouit l'administration de la justice.

[53] Dans l'examen du premier facteur, la jurisprudence avait d'abord proposé que dans le cas d'une preuve autoincriminante sous forme de déclaration, obtenue en violation de la Charte, cela tendait généralement à rendre le procès inéquitable et par conséquent justifiait l'exclusion. Graduellement, cette interprétation a été modifiée: le procès ne serait pas inéquitable s'il est démontré que les aveux auraient été fournis même si les policiers avaient respecté leurs obligations de renseignement, d'où le principe du «n'eût été»: mais qui en a le fardeau?

[54] C'est au ministère public qu'incombe ce fardeau: R. c. Stillman, précité, p. 667, et auparavant R. c. Harper, 1994 CanLII 68 (C.S.C.), [1994] 3 R.C.S. 343, p. 354, 355. Ce fardeau ne doit pas être confondu avec celui de l'inculpé qui, dans le cadre d'une demande d'exclusion selon le par. 24(2), doit convaincre le tribunal que l'utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[55] L'arrêt Harper, précité, illustre avec clarté le principe du «n'eût été». On a estimé que l'omission de la police de renseigner adéquatement le détenu sur son droit à l'avocat n'a pas influencé la conduite de l'appelant, en raison d'un désir presque irrésistible de passer aux aveux et de la preuve qu'après chacune des mises en garde il avait clairement indiqué qu'il avait compris.

[56] Également dans R. v. Hieronymi, 1995 CanLII 1109 (ON C.A.), [1995] 25 O.R. (3d) 363 (C.A. Ont.), le même principe fut appliqué pour justifier l'inclusion d'aveux. Hieronymi est arrêté pour avoir commis un vol simple et les policiers l'informent de ses droits. Après avoir admis son crime et dans le but de négocier sa mise en liberté, il discute avec les policiers de sa toxicomanie, ce qui le mène à avouer des crimes pour lesquels il n'est pas soupçonné et sans que les policiers l'avisent de ses droits à chaque admission. La Cour d'appel se rangea de l'avis du premier juge qu'il s'agissait d'une violation plutôt «technique» de l'al. 10 b) de la Charte et que dans les circonstances il était évident qu'il aurait confessé ses crimes de toute façon:

These factors lead me to believe that Mr. Hieronymi was fully aware of his right to remain silent and also the extent of his jeopardy. I have gone into detail regarding the circumstances surrounding the statement and the conduct of Mr. Hieronymi because in my opinion on the particular facts of this case, I am satisfied beyond any doubt that Mr. Hieronymi would have confessed to the additional offences even if he had been re-advised of his rights to counsel.

[57] L'application de ce principe du «n'eût été» exige beaucoup de nuances.

[58] Il me paraît essentiel, pour éviter de diluer l'importance du respect de ces garanties fondamentales, de rappeler les avertissements formulés par la Cour suprême du Canada à propos du danger de conjecturer sur la question de savoir si des aveux auraient été faits même en l'absence d'une violation du droit à l'avocat et du droit au silence: R. c. Elshaw, 1991 CanLII 28 (C.S.C.), [1991] 3 R.C.S. 24; R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (C.S.C.), [1994] 3 R.C.S. 173 et R. c. Harper, précité, p. 353. Notamment, dans R. c. Elshaw, sous la plume du juge Iacobbucci, on a affirmé qu'on ne peut pas spéculer sur ce qu'un inculpé aurait fait ou dit si ses droits avaient été respectés: justifier ainsi l'inclusion minerait complètement l'importance des droits enchâssés dans la Charte.

[59] Ces avertissements peuvent être conciliés avec le principe du «n'eût été» même dans le cas d'aveux; le «n'eût été» a été appliqué dans des cas où le sujet a compris ses droits mais des accrocs d'ordre informationnel sont survenus. À titre d'exemple, dans l'affaire Elshaw, on ne pouvait se prêter à cet exercice quand les policiers obtiennent une admission avant même de mettre la personne en garde. Par contre, dans Harper, les policiers procèdent à l'arrestation en informant Harper de son droit à l'avocat et de son droit au silence; toutefois, la Cour suprême conclut qu'il y a violation du fait que les policiers n'ont pas en plus informé l'individu de l'existence d'un service d'avocats de garde. La Cour s'est refusée de se prêter à cet exercice du principe du «n'eût été» sur cette seule base: elle s'est plutôt fondée sur la preuve que l'individu éprouvait un désir presque irrésistible de passer aux aveux pour ne pas écarter la preuve.

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