États-Unis d'Amérique c. Dynar, 1997 CanLII 359 (C.S.C.)
75. L’intimé allègue que, même en acceptant que la conformité avec la réalité de la croyance ne fasse pas partie intégrante de la mens rea, on ne peut affirmer qu’il avait la mens rea nécessaire. Plus particulièrement, l’intimé affirme que, pour déterminer si un accusé a la mens rea nécessaire à la tentative, le tribunal ne devrait prendre en considération que les états d’esprit qui ont poussé l’accusé à agir.
76. Cette affirmation est une façon de ne pas tenir compte des croyances erronées de l’accusé. Ainsi, l’intimé allègue qu’il n’avait pas la mens rea requise parce qu’il voulait seulement faire de l’argent en rendant service à Anthony, l’agent d’infiltration. Cela n’avait aucune importance pour M. Dynar que l’argent soit le produit de la criminalité ou non. Il aurait été tout aussi heureux de recycler des fonds pour le gouvernement américain que pour n’importe quel baron de la drogue. M. Dynar n’avait pas d’autres préoccupations que de recevoir une commission pour ses services.
77. Le fondement théorique de cette ligne de pensée apparaît dans l’argumentation présentée par le professeur George Fletcher au soutien de la distinction établie entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit (dans Rethinking Criminal Law (1978)). Fletcher, que l’intimé invoque, affirme que l’intention pertinente en droit comprend seulement les états d’esprit qui ont poussé l’accusé à agir comme il l’a fait (à la p. 161):
[traduction] [L]es croyances erronées sont pertinentes en ce qui concerne le but recherché par l’agent si elles l’ont incité à agir. On peut dire qu’elles l’incitent à agir dans les cas où, s’il avait su qu’il faisait erreur, il aurait changé ses plans.
Étant donné que la plupart des faits, du point de vue de l’accusé, n’ont pas d’importance, ce que l’accusé pense au sujet de la plupart des faits n’a pas de pertinence en droit.
78. Par conséquent, pour reprendre l’un des exemples que Fletcher donne, il importe peu que le criminel ait su quel jour c’était lorsqu’il a commis son crime, car il aurait agi de la même façon. Selon Fletcher, un raisonnement similaire explique pourquoi ce n’est pas un crime de faire le commerce d’un bien «légitimement acquis» en pensant qu’on utilise les produits de la criminalité (à la p. 162):
[traduction] [I]l semble assez clair que le fait que [les biens] ont été volés n’affecte pas la motivation du sujet de payer le prix auquel la police [les] lui a offert[s]. Le fait de savoir que les biens n’avaient pas été volés ne l’aurait pas incité à repousser l’offre. S’ils n’ont pas été volés, tant mieux. Il s’ensuit, par conséquent, qu’il est incorrect de qualifier sa conduite de tentative de recel de [biens] volé[s].
79. Mais ce point de vue confond mobile et intention. S’il fallait ne retenir que le premier, le nombre de crimes serait grandement réduit, même si ce n’est pas de façon très satisfaisante, parce que ce qui pousse de nombreux criminels à agir est un désir relativement plus anodin que le désir de commettre un crime. Nous croyons que seuls les criminels les plus endurcis commettent des crimes seulement pour le plaisir d’enfreindre la loi. Pour de nombreux malfaiteurs au moins, il doit être indifférent que leurs agissements constituent des crimes ou non. Probablement que la plupart des voleurs ne laisseraient pas filer l’occasion de piller une maison, simplement parce qu’elle a été abandonnée et que, par conséquent, elle n’appartient plus à personne. Le but est de s’enrichir vite, non de passer outre à la loi. Sur cette question, nous sommes à nouveau tout à fait d’accord avec Glanville Williams, qui affirme ce qui suit:
[traduction] Normalement, le mobile n’a pas d’incidence sur l’intention. Si on lui en donnait le choix, n’importe quel receleur de biens volés préférerait, pour le même prix, des biens qui n’ont pas été volés; mais s’il sait ou croit que les bien ont été volés, il a l’intention de receler des biens volés. Nous devons affirmer qu’une personne agit intentionnellement eu égard aux circonstances qu’elle sait ou croit exister. Ceci étant la règle pour les crimes consommés, aucune bonne raison ne justifie qu’il en soit différemment pour les tentatives.
(«The Lords and Impossible Attempts, or Quis Custodiet Ipsos Custodes?», [1986] Cambridge L.J. 33, à la p. 78.)
80. En l’espèce, il est presque certain que M. Dynar aurait été satisfait de recycler l’argent du gouvernement des États‑Unis même s’il avait su que cet argent n’était en rien lié au commerce de stupéfiants. On peut présumer qu’il n’avait pas d’autre préoccupation que de récolter sa commission. Pour lui, la provenance de l’argent devait être sans grande importance. Mais, du point de vue du droit pénal, ce qui est important, ce n’est pas ce qui a poussé M. Dynar à agir, mais ce que M. Dynar croyait qu’il faisait. [traduction] «Nous devons affirmer qu’une personne agit intentionnellement eu égard aux circonstances qu’elle sait ou croit exister.» Et il ressort clairement de la preuve que M. Dynar croyait participer à un projet de recyclage d’argent provenant du trafic de stupéfiants à New York.
81. Prendre en considération l’intention plutôt que le mobile concorde avec l’objectif du droit pénal en général et les règles de droit relatives à la tentative en particulier. La société impose des sanctions pénales afin de punir et de réprimer toute conduite indésirable. Dans son effort pour maintenir la paix sociale, la société ne se préoccupe pas du mobile de l’accusé, mais seulement de ce qu’il avait l’intention de faire. Pour qui s’est fait voler son automobile, ce n’est pas une consolation que de savoir que le voleur voulait la vendre en vue d’acheter de la nourriture pour une banque d’alimentation. De façon similaire, il est universellement reconnu que l’objet des règles de droit relatives à la tentative est de faire obstacle à la commission d’autres tentatives. Celui qui a eu l’intention d’accomplir un acte illicite et qui a pris effectivement les moyens pour y parvenir risque d’essayer à nouveau un jour; et il n’y a aucune assurance que la prochaine fois sa tentative échouera.
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