samedi 19 septembre 2009

Indécence de la conduite au sens du droit criminel - Test fondé sur le préjudice

R. c. Kouri, 2005 CSC 81 (CanLII)

9 Comme il est expliqué plus en détail dans l’arrêt connexe Labaye, le droit canadien ne réduit pas l’indécence à ce qu’un juge estime moralement corrompu. Le droit relatif à l’indécence a évolué vers un critère objectif fondé sur la norme de tolérance de la société qui, à son tour, dépend maintenant du risque de préjudice engendré par les activités contestées. Les sanctions pénales doivent servir à ce que seuls puissent être déclarés obscènes ou indécents le matériel ou les actes qui créent un risque appréciable de préjudice incompatible avec le bon fonctionnement de la société.

10 Les présents pourvois exigent que nous précisions la structure de l’examen à effectuer pour conclure à l’indécence criminelle. Compte tenu des principes directeurs dégagés dans l’arrêt R. c. Butler, 1992 CanLII 124 (C.S.C.), [1992] 1 R.C.S. 452, cette analyse devrait être effectuée en deux étapes. La conduite criminelle indécente sera établie si le ministère public prouve, hors de tout doute raisonnable, les deux éléments suivants :

1. De par sa nature, la conduite en litige cause ou présente un risque appréciable que soit causé, à des personnes ou à la société, un préjudice qui porte atteinte ou menace de porter atteinte à une valeur exprimée et donc reconnue officiellement dans la Constitution ou une autre loi fondamentale semblable, notamment :

a) en exposant les membres du public à une conduite qui entrave de façon appréciable leur autonomie et leur liberté;

b) en prédisposant autrui à adopter un comportement antisocial;

c) en causant un préjudice physique ou psychologique aux personnes qui participent aux activités.

2. Le préjudice ou le risque de préjudice atteint un degré tel qu’il est incompatible avec le bon fonctionnement de la société.

12 Comme il est expliqué plus en détail dans l’arrêt connexe Labaye, le préjudice que l’infraction d’indécence cherche avant tout à prévenir est l’entrave à l’autonomie et à la liberté des membres du public qui seraient exposés involontairement à la conduite litigieuse. Le risque qu’un tel préjudice survienne dépend de la mesure dans laquelle des personnes ont été involontairement spectateurs de cette conduite. Le lieu où les actes ont été accomplis, la manière dont ils ont été accomplis et la composition de l’auditoire sont des facteurs pertinents à prendre en compte : R. c. Tremblay, 1993 CanLII 115 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 932.

15 Il s’agit donc à cette étape de se demander si la preuve établit l’existence d’un risque appréciable d’atteinte à l’autonomie et à la liberté des membres du public. Cet exercice nécessite une appréciation contextuelle du risque de préjudice pour les personnes susceptibles d’être exposées involontairement à cette conduite. Les mécanismes de contrôle destinés à avertir les gens et à s’assurer que leur entrée dans les lieux procède d’un choix éclairé sont essentiels pour cette appréciation. Il s’agit de savoir si ces mécanismes limitaient adéquatement l’accès au lieu aux personnes informées de la nature de l’endroit et disposées à voir les activités qui s’y déroulaient ou à y participer. Pour prouver que des actes sont indécents, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que les mécanismes de contrôle étaient insuffisants pour prévenir les risques d’exposition involontaire. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la preuve soumise en l’espèce ne satisfait pas à la norme de preuve requise en matière pénale.

17 À l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, je suis convaincue que les mesures de contrôle appliquées à la porte, situées dans leur contexte, étaient assez claires et suffisantes. Seuls les couples étaient admis. La politique du club exigeait du portier qu’il demande à chaque couple s’il était « un couple libéré ». L’extérieur de l’établissement était placardé de grandes affiches montrant des danseurs partiellement dévêtus. Tout cela indiquait bien que l’on pouvait s’attendre à ce que des activités sexuellement explicites se déroulent à l’intérieur.

18 Le ministère public plaide l’absence d’avertissement précis quant à la nature et à l’étendue réelles des activités qui se déroulaient sur la piste de danse. Il est vrai qu’il n’y avait aucun avertissement exprès. Aucune affiche ne proclamait : « Attention, des activités sexuelles peuvent se dérouler à l’intérieur » et le portier ne faisait aucune mise en garde de la sorte. Il est cependant difficile de concevoir qu’un couple, après être passé devant les descriptions sexuellement explicites ornant les murs extérieurs des bâtiments et avoir répondu par l’affirmative à la question de savoir s’il était « un couple libéré », puisse ne pas comprendre qu’il entrait dans un endroit où il était possible que des activités sexuelles aient lieu.

22 Quant au deuxième type de préjudice, rien ne prouve qu’une personne ou un groupe ait subi un traitement dégradant, abusif ou humiliant qui aurait favorisé des attitudes antisociales. Comme dans l’affaire connexe Labaye, personne n’a été contraint de se livrer à des activités sexuelles, n’a été payé pour s’y livrer, ni n’a été traité comme un simple objet servant à la gratification sexuelle des autres. Compte tenu des faits de l’espèce, l’aspect commercial de l’entreprise de l’intimé n’est guère pertinent relativement à ce type de préjudice. Les frais d’entrée n’étaient pas acquittés par certaines personnes en vue d’obtenir des faveurs sexuelles d’autres personnes. Ils permettaient simplement à tous les clients d’accéder au bar et de participer d’égal à égal aux activités s’y déroulant. Comme tel, le paiement des frais d’entrée peut déprécier la valeur morale accordée aux activités en cause, mais ce fait n’est pas utile lorsqu’il s’agit de déterminer en quoi ces activités peuvent générer un préjudice consistant à encourager une attitude qui favorise des comportements antisociaux.

23 Enfin, rien n’indique que les participants aient subi un préjudice physique ou psychologique. De nouveau, il semble que la seule source de préoccupation à cet égard soit le risque que la participation à ces activités sans protection adéquate présente pour la santé. Or, comme il est expliqué dans Labaye, ce type de risque n’a pas de lien conceptuel ni causal avec l’indécence et ne saurait étayer de façon indépendante une conclusion d’indécence criminelle

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