samedi 19 septembre 2009

La Charte s’applique-t-elle aux agents de sécurité du magasin ?

R. c. Huot, 2008 QCCQ 11158 (CanLII)

[6] La procureure aux poursuites criminelles et pénales soutient que la Charte ne s’applique pas dans la présente cause puisque les agents de sécurité ne sont pas des représentants de l’État. À l’appui de ses prétentions, elle cite l’arrêt Buhay.

[7] La requérante, pour sa part, soumet les arrêts Lerke et Meyers qui ont assimilé les actes d’un agent de sécurité à des actions gouvernementales pleinement assujetties à la Charte.

[8] Il faut bien noter que dans l’arrêt Lerke, on a statué que la Charte s’appliquait à toute action posée par un citoyen si elle constitue une arrestation. Lorsqu’il s’agit d’un cas autre qu’une arrestation, la Charte ne s’applique que lorsqu’un simple citoyen pose des actes qui peuvent être qualifiés d’actions gouvernementales ou encore lorsque ce dernier exerce une fonction reliée à l’État ou agit comme un agent de l’État.

[9] Dans l’arrêt Meyers, un employé d’un hôpital était soupçonné de garder dans un casier des objets appartenant à son employeur. Avant de fouiller le casier de l’accusé, les représentants de l’hôpital ont contacté les policiers. Sachant que des accusations criminelles seraient inévitablement portées contre le suspect, les administrateurs de l’hôpital ont décidé, de concert avec les policiers, d’ouvrir en leur présence le casier sans avoir obtenu de mandat. Il n’y avait aucune urgence justifiant une saisie sans mandat. La Cour d’appel d’Alberta a jugé que les administrateurs étaient des représentants de l’État.

[10] Dans l’arrêt Caucci, la Cour d’appel du Québec a statué que des agents de sécurité ayant intercepté et fouillé le véhicule d’un employé au sortir de son lieu de travail n’agissaient pas à titre de mandataires du gouvernement.

[11] Dans l’arrêt Broyles où la Cour suprême s’est penchée sur une affaire d’informateur, l’honorable juge Iacobucci a adopté le critère suivant :

« L’échange entre l’accusé et l’indicateur aurait-il eu lieu de la même façon et sous la même forme, n’eût été l’intervention de l’État ou de ses représentants? »

[12] C’est le critère qu’a appliqué l’honorable juge Arbour dans l’arrêt Buhay où il s’agissait de la fouille par des gardes de sécurité d’un casier dans une gare routière. Elle s’exprimait ainsi :

« Les gardes de sécurité ne peuvent non plus être considérés comme des représentants de l’État. Compte tenu du critère dégagé dans Broyles et de M.(M.R.), précités, la question à se poser est de savoir si les gardes de sécurité auraient fouillé le casier 135 sans l’intervention des policiers. Il ressort des faits de l’espèce que, lors de la fouille initiale, les agents de sécurité ont agi de manière totalement indépendante de la police. Dans M.(M.R.), la participation policière était même plus grande qu’en l’espèce, car les policiers avaient été appelés avant la fouille et y assistaient. En l’espèce, le lien entre la police et les gardes de sécurité s’est établi après que ces derniers eurent fouillé le casier de l’appelant. Les gardes ont procédé à une vérification de leur propre chef, sans aucune directive de la police. »

[13] Dans l’arrêt Chang, un agent de sécurité a saisi des stupéfiants sur un individu intercepté dans le stationnement d’un centre commercial.

[14] La Cour d’appel d’Alberta a souligné que les faits dans cette affaire se distinguaient de ceux que l’on retrouve dans l’arrêt Meyers (précité). Reconnaissant que l’agent de sécurité était familiarisé avec le travail policier en raison de sa formation et de ses relations avec les services de police, la Cour d’appel a aussi constaté qu’il n’y avait aucune preuve qu’il avait agi sous la direction des policiers et a donc conclu qu’il n’était pas agent de l’État.

[15] Appliquant le critère de l’arrêt Broyles à la présente cause, le Tribunal est d’avis que la fouille du sac de la requérante a eu lieu sans aucune intervention des services de police. Bien qu’il soit évident que dans l’esprit de l’agent de sécurité Sirois, il était très probable que cette fouille révèle une infraction criminelle, ce dernier n’agissait pas en qualité de mandataire de la police.

[16] En effet, l’agent de sécurité n’a suivi aucune directive particulière de la police. Au contraire, les policiers ne sont intervenus qu’à la fin de la journée après que la requérante ait été interceptée à la sortie du magasin. D’ailleurs, rien dans la preuve n’indique que les agents de sécurité ont demandé conseil aux services de police sur la façon de procéder dans cette affaire. Au surplus, il est clair que l’agent de sécurité Sirois a, de sa propre initiative, pris la décision de fouiller le sac alors qu’il se trouvait dans le vestiaire.

[17] Comme le mentionnait l’honorable juge Arbour dans l’arrêt Buhay, il peut y avoir chevauchement entre le travail des agents de sécurité et l’intérêt de l’État dans la prévention et la répression du crime, mais cela ne veut pas nécessairement dire que ceux-ci sont délégués par l’État pour veiller à l’application de ses politiques ou de ses programmes.

[18] Par conséquent, dans la présente affaire, la Charte ne s’applique pas aux agents de sécurité qui ne sont pas les représentants, ni les employés de l’État.

[19] Le Tribunal croit cependant utile de préciser quelle aurait été sa décision s’il avait conclu que les agents de sécurité du magasin étaient des agents de l’État.

II. La fouille du sac de la requérante est-elle contraire à l’article 8 de la Charte?

[20] Comme il s’agit d’une fouille exécutée sans mandat, il y a une preuve prima facie qu’elle est déraisonnable.

[21] Cette présomption peut être repoussée si la fouille est autorisée par la Loi, si la Loi est raisonnable et enfin, si la fouille a été menée de façon raisonnable. À moins que ces trois critères soient respectés, il faut conclure que la fouille contrevient à l’article 8 de la Charte.

[22] Il est vrai que l’attente à la vie privée était réduite dans la présente affaire puisque le sac se trouvait dans un vestiaire auquel plusieurs personnes avaient accès. Cependant, une expectative de vie privée réduite ne rend pas la fouille pour autant raisonnable. Au surplus, il est évident que cette fouille n’était pas autorisée par la Loi.

[23] C’est pourquoi, tenant pour acquis que les agents de sécurité étaient des agents de l’État, le Tribunal aurait conclu que la fouille était abusive et contraire à la Charte.

III. S’il y a eu fouille ou saisie abusive, les éléments de preuve en cause doivent‑ils être écartés en application du paragraphe 24(2) de la Charte?

[24] Ayant conclu que la fouille violait l’article 8 de la Charte, le Tribunal doit maintenant répondre à la deuxième question portant sur l’admissibilité ou l’exclusion de la preuve obtenue en vertu de l’article 24(2) de la Charte.

[25] À l’examen de la première étape de l’analyse proposée par la Cour suprême dans les arrêts Collins et Stillman portant sur l’équité du procès, le Tribunal ne peut conclure que la preuve a été obtenue en mobilisant la requérante contre elle-même.

[26] Il est indiscutable que la requérante n’a pas été conscrite contre elle-même. Elle n’a pas été forcée de s’incriminer sur l’ordre de l’État au moyen d’une déclaration, de l’utilisation de son corps ou de la production de substances corporelles. Les articles trouvés en sa possession à la sortie du magasin existaient indépendamment de la Charte et par conséquent, leur utilisation ne rend pas le procès inéquitable.

[27] Dans la deuxième étape de l’analyse proposée par la Cour suprême, le Tribunal doit examiner la gravité de la violation.

[28] S’il y a eu violation dans cette affaire, il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas la plus sérieuse. En effet, la bonne foi des agents de sécurité n’est pas en doute. Il ne s’agit pas d’une erreur volontaire, ni flagrante.

[29] Au surplus, le Tribunal est d’avis que même si on excluait le résultat de la fouille initiale du sac, la preuve révèle que les agents avaient déjà des motifs raisonnables de croire que la requérante avait en sa possession des articles appartenant à son employeur lorsqu’elle a quitté le magasin à la fin de la journée.

[30] À l’évidence, le fait que la requérante ne remette que deux robes sur le présentoir alors que la salle d’essayage est vide permet de conclure que la troisième robe se trouvait dans le sac, sinon sur elle.

[31] Comme le mentionnait l’honorable juge Wilson dans l’arrêt Debot :

« Il est possible de trancher rapidement la question de la norme de preuve applicable pour déterminer s’il existe des motifs raisonnables justifiant la fouille. Je suis de l’avis du juge Martin que la norme de preuve applicable est la "probabilité raisonnable" plutôt que "la preuve hors de tout doute raisonnable" ou "la preuve prima facie". L’expression "croyance raisonnable" correspond également assez bien à la norme applicable. »

[32] Les agents de sécurité étaient donc justifiés d’intercepter la requérante et de la fouiller à sa sortie du magasin pour la livrer par la suite aux policiers en vertu du paragraphe 494(3) du Code criminel.

[33] La Cour suprême a maintes fois rappelé que l’existence de motifs raisonnables et probables atténue la gravité de la violation.

[34] Procédant à la troisième étape, le Tribunal doit examiner la possibilité que l’administration de la justice soit déconsidérée par l’admission des articles saisis sur la requérante.

[35] Comme s’il s’agit ici d’une preuve matérielle et puisque les agents de sécurité avaient des motifs raisonnables de croire qu’elle avait sur elle des objets appartenant à son employeur, et ce, même en excluant la fouille initiale du sac qui n’était pas, de toute façon, particulièrement envahissante, le Tribunal est d’avis que c’est l’exclusion plutôt que l’admission qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[36] Par conséquent, même si les agents de sécurité avaient été des représentants de l’État dans la présente cause, le Tribunal aurait admis en preuve les objets saisis.

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