R. c. Buhay, 2003 CSC 30 (CanLII)
25 L’article 32 de la Charte énonce que ses dispositions s’appliquent au parlement ou au gouvernement du Canada, ainsi qu’à la législature et au gouvernement des provinces. Par conséquent, l’art. 8 ne s’applique à la fouille initiale du casier de l’appelant que si les gardes de sécurité peuvent être considérés comme « faisant partie du gouvernement » ou exerçant une fonction gouvernementale précise (Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (C.S.C.), [1997] 3 R.C.S. 624), ou qu’ils peuvent être assimilés à des représentants de l’État (R. c. Broyles, 1991 CanLII 15 (C.S.C.), [1991] 3 R.C.S. 595; M. (M.R.), précité). Dans ce dernier cas, il faut examiner le lien entre l’État (la police) et l’entité privée (les gardes de sécurité). Dans Broyles, p. 608, une affaire concernant un indicateur, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, énonce le critère applicable :
Lorsque les liens entre l’indicateur et les autorités se sont établis après l’obtention de la déclaration ou qu’ils n’affectent aucunement l’échange qui a eu lieu entre l’indicateur et l’accusé, ils n’auront pas pour effet de transformer l’indicateur en un représentant de l’État aux fins de l’échange en cause. Ce n’est que si les liens entre l’indicateur et l’État sont tels que l’échange entre l’indicateur et l’accusé s’est déroulé de façon essentiellement différente, que l’indicateur devra être considéré comme un représentant de l’État aux fins de l’échange. Par conséquent, je suis d’avis d’adopter le simple critère suivant : L’échange entre l’accusé et l’indicateur aurait‑il eu lieu, de la même façon et sous la même forme, n’eût été l’intervention de l’État ou de ses représentants?
26 Dans M. (M.R.), précité, par. 29, la Cour applique ce critère à la fouille d’un élève par un membre de la direction de l’école. Au nom de la majorité, le juge Cory conclut, au par. 28, que « [l]e seul fait qu’il y ait eu coopération entre le directeur adjoint et la police et qu’un policier ait assisté à la fouille n’est pas suffisant pour indiquer que le directeur adjoint agissait en qualité de mandataire de la police. [. . .] Il n’y a aucune preuve de l’existence d’une entente ou de directives données à M. Cadue par la police qui aient pu donner naissance à un rapport mandant‑mandataire. »
27 En l’espèce, la Cour d’appel et le juge Aquila concluent qu’il n’y a pas eu atteinte à la Charte puisque les gardes de sécurité appartenaient au secteur privé et n’étaient pas des représentants de l’État. Je suis d’accord.
28 Rien dans la preuve ne permet d’assimiler à l’État les gardes de sécurité ou l’agence pour laquelle ils travaillaient, ni d’attribuer leurs activités à l’État. Les gardes de sécurité privés ne sont ni des représentants ni des employés de l’État, et hormis un encadrement législatif minimal, ils ne sont pas sous l’autorité de l’État. Il peut y avoir chevauchement entre leur travail et l’intérêt de l’État dans la prévention et la répression du crime, mais on ne peut dire que les gardes de sécurité sont délégués par l’État pour veiller à l’application de ses politiques ou de ses programmes. Même si l’on concède que la protection du public relève de la mission publique de l’État, cela ne permet pas de conclure à la nature gouvernementale des fonctions exercées par les gardes de sécurité. À cet égard, dans Eldridge, précité, par. 43, la Cour dit :
. . . le seul fait qu’une entité exerce ce qu’on peut librement appeler une « fonction publique » ou le fait qu’une activité particulière puisse être dite de nature « publique » n’est pas suffisant pour que cette entité soit assimilée au « gouvernement » pour l’application de l’art. 32 de la Charte.
. . .
Pour que la Charte s’applique à une entité privée, il doit être établi que celle‑ci met en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé. Comme j’ai ajouté, dans McKinney, à la p. 269, « [l]e critère de l’objet public est simplement inadéquat » et « [c]e n’est tout simplement pas le critère qu’impose l’art. 32 ». [Souligné dans l’original.]
29 Les gardes de sécurité ne peuvent non plus être considérés comme des représentants de l’État. Compte tenu du critère dégagé dans Broyles et dans M. (M.R.), précités, la question à se poser est de savoir si les gardes de sécurité auraient fouillé le casier 135 sans l’intervention des policiers. Il ressort des faits de l’espèce que, lors de la fouille initiale, les agents de sécurité ont agi de manière totalement indépendante de la police. Dans M. (M.R.), la participation policière était même plus grande qu’en l’espèce, car les policiers avaient été appelés avant la fouille et y avaient assisté. En l’espèce, le lien entre la police et les gardes de sécurité s’est établi après que ces derniers eurent fouillé le casier de l’appelant. Les gardes ont procédé à une vérification de leur propre chef, sans aucune directive de la police. Même si le formulaire de rapport utilisé par les gardes de sécurité renferme des espaces pour y inscrire le numéro de rapport d’événement et de matricule des policiers, je conviens avec le ministère public que cela montre seulement que l’entreprise de sécurité a pour politique générale de collaborer avec la police. Vu leurs fonctions, il est normal que les gardes de sécurité soient périodiquement appelés à communiquer avec la police. Cela n’établit pas pour autant une relation « permanente » mandant‑mandataire entre la police et eux. La Loi sur les détectives privés et les gardiens de sécurité, L.R.M. 1987, ch. P132, qui réglemente les activités des gardes de sécurité au Manitoba, le confirme. En effet, l’art. 35 dispose expressément qu’un garde de sécurité ne doit pas donner lieu de croire, de quelque manière, qu’il fournit des services ou exerce des fonctions ayant des rapports avec le travail de la police.
30 Habituellement, le fait pour des citoyens de participer volontairement à la détection du crime ou pour les autorités policières de les encourager de manière générale à le faire ne constitue pas, de la part de la police, une direction suffisante pour que s’applique la Charte. L’intervention de la police doit viser spécifiquement une affaire sous enquête (voir, sur la question précise de savoir si des gardes de sécurité ont agi à titre de représentants de l’État, Fitch, précité; R. c. Caucci 1995 CanLII 4872 (QC C.A.), (1995), 43 C.R. (4th) 403 (C.A. Qué.)). En l’espèce, rien dans la preuve n’indique que les policiers ont donné aux gardes de sécurité la directive de fouiller le casier 135, de sorte que ces derniers ne peuvent être considérés comme des représentants de l’État.
31 Bien que le recours aux agences de sécurité privées se soit accru au Canada et que des agents de sécurité procèdent couramment à des arrestations, à des mises en détention et à des fouilles, « [l]’exclusion des activités privées de l’application de la Charte n’est pas le fruit du hasard. C’est un choix délibéré qu’il faut respecter » (McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 229, p. 262). Si l’État abandonnait au secteur privé, en totalité ou en partie, une fonction publique essentielle, même sans délégation expresse, il se peut que l’activité privée soit alors assimilée à une activité de l’État pour les besoins de la Charte. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Pour ce qui est de savoir si un garde de sécurité du secteur privé est un « représentant de l’État », le critère établi dans Broyles, précité, appelle une analyse cas par cas, axée sur les actes qui ont donné lieu à l’atteinte alléguée à la Charte et sur le lien existant entre les gardes de sécurité et l’État. Quoi qu’il en soit, il faut souligner que, lorsque aucun représentant de l’État n’est intervenu, il existe d’autres moyens que le recours à la Charte pour écarter la preuve contestée, comme nous le verrons plus loin. En l’espèce, le juge du procès a mis l’accent, à juste titre, sur la fouille des policiers, que j’examine maintenant.
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