R. c. L'Hérault, 2008 QCCQ 13560 (CanLII)
[22] L'article 254 (2)du Code criminel stipule:
Art. 254(2): "L'agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire ou aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire ou a la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur, d'un bateau, d'un aéronef ou de matériel ferroviaire que ceux-ci soient en mouvement ou non, peut lui ordonner de lui fournir immédiatement l'échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé et de le suivre si nécessaire pour permettre de prélever cet échantillon."
[23] Le juge J.F. Kenkel dans un article publié pour le programme de formation des nouveaux juges au Lac Carling en 2008 mentionne ce qui suit:
"L'agent doit demander au détenu de fournir l'échantillon «immédiatement» dans l'appareil de détection approuvé. Le détenu doit aussi obtempérer «immédiatement». Les tribunaux ont jugé que les deux termes signifient «à l'instant même, tout de suite». Cette exigence du par. 254 (2) est liée à l'intégrité constitutionnelle de l'enquête en bordure de route. (…) Les difficultés relatives à l'immidiateté se font jour dans deux situations: 1) si l'agent de la paix ne dispose pas d'un appareil de détection et qu'il s'écoule du temps avant qu'il lui en soit apporté un sur les lieux; et 2) si l'agent de la paix a un appareil de détection, mais que le test n'a pas lieu immédiatement, pour une autre raison.
Ainsi ,en Ontario, les tribunaux ont lié le terme «immédiatement» à la possibilité de consulter un avocat. Pour être considérée comme ayant été donné «immédiatement», l'ordre doit être formulé dans des circonstances telles que le détenu n'a pas une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat. Dans cette analyse, la question déterminante est celle-ci: l'agent de la paix était-il en position d'exiger un échantillon d'haleine que l'accusé aurait pu lui fournir avant d'avoir une possibilité réaliste de consulter son avocat? Le cas échéant, l'ordre est conforme aux dispositions au par. 254 (2).
La perspective ontarienne est compliquée par le fait que beaucoup, voire la plupart, des conducteurs ont maintenant un téléphone cellulaire sur eux. D'autres sont arrêtés à proximité d'une cabine téléphonique et même à proximité d'un poste de police où il est possible de communiquer avec un avocat. Ainsi, dans l'affaire R. c. George, dix-huit minutes se sont écoulées avant qu'un appareil de détection soit apporté sur les lieux. Le conducteur disposait d'un téléphone cellulaire et avait été arrêté au coin du poste de police. Ces deux facteurs ont incité la cour à statuer que la demande d'échantillon n'était pas valide.
D'autres tribunaux ont jugé que l'«immédiateté» est fonction de toutes les circonstances et la suspension du droit de recourir à l'assistance d'un avocat est inhérente au régime législatif. Le fait que l'agent n'ait pas avec lui l'appareil de détection ou ne sache pas à quel moment ledit appareil lui sera apporté ne soustrait pas nécessairement la demande aux critères de l'article. 254 (2). Certains tribunaux critiquent la tendance suivie par l'affaire Georges estimant qu'elle équivaut à accorder des droits différents aux accusés, selon qu'ils ont ou non un téléphone cellulaire à leur disposition. D'autres tribunaux estiment plutôt que le Parlement exige des automobilistes qu'ils fournissent des échantillons pour un test en bordure de route sans bénéficier de conseils légaux et qu'il s'agit d'une limite raisonnable aux droits que la Charte confère au détenu."
[24] Me Karl-Emmanuel Harrison dans Capacités affaiblies Principes et applications CCH traite du paragraphe 2 de l'article 254 du Code criminel et mentionne ce qui suit:
"Dans la mesure où il s'écoule un délai entre l'ordre et la prise d'un échantillon d'haleine, notamment lorsque les agents de la paix n'ont pas en leur possession un appareil de détection approuvé, des mesures raisonnables doivent être prises pour faciliter le droit à l'avocat de la personne détenue. D'une part, ils doivent aviser la personne détenue de son droit à l'avocat. D'autre part, ils doivent vérifier s'il existe une possibilité réelle d'exercice du droit à l'avocat. Pour ce faire, ils peuvent vérifier la possession par la personne détenue d'un cellulaire, la présence d'un téléphone public environnant ou se rendre à un poste de police situé à proximité. À moins que le prélèvement ne soit effectué immédiatement, la disponibilité d'un téléphone impose l'obligation d'informer le détenu de son droit à l'avocat. S'il existe une possibilité réelle d'exercice du droit à l'avocat entre le moment où l'ordre de se soumettre à un test de dépistage est donné et la prise de l'échantillon d'haleine, l'ordre est invalide et la violation du droit constitutionnel à l'avocat ne constitue plus une limite raisonnable."
[25] Dans ce même article, Me Harrison écrit:
"…Dans l'arrêt R. c. George, 2004 CanLII 6210 (ON C.A.), (2004) 3M.V.R. (5th) 159, 187 C.C.C. (3d) 289, 23 C.R. (6th) 181, 189 O.A.C. 161 (C.A.), la Cour d'appel de l'Ontario a conclu qu'un délai de seize minutes pour faire venir un appareil de détection approuvé est déraisonnable, alors que la personne détenue possédait un cellulaire et aurait contacté un avocat si le policier l'avait informé de son droit. Par contre, si la personne détenue ne jouissait pas d'une possibilité raisonnable de contacter un avocat, le fait de ne pas l'avoir avisé de son droit à l'avocat ne justifiera pas l'exclusion de la preuve subséquemment recueillie: R. c. Smith, 1994 CanLII 4067 (NS C.A.), (1995) 8 M. V. R. (3d) 211, 93 C.C.C. (3d) 199, 135 N.S.R. (2d) 250 (C.A.)."
[26] Dans R. c. Husulak [2006] SJ # 480 Cour du Banc de la Reine de la Sakatchewan, résume la jurisprudence actuelle incluant l'arrêt George de la façon suivante:
a) "L'agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme d'un conducteur peut ordonner immédiatement à ce dernier de fournir un échantillon d'haleine en vertu de l'article. 254 (2).
b) Une fois l'ordre formulé, le conducteur est détenu et cette détention déclenche son droit, garanti par l'alinéa 10b) de la Charte, de recourir à l'assistance d'un avocat. Si l'alcootest a lieu «immédiatement», l'agent qui procède à la détention n'est pas tenu d'aviser le détenu de son droit de recourir à l'assistance d'un avocat ni de faciliter la communication entre le détenu et son avocat.
c) «Immédiatement» signifie à l'instant même, ou tout de suite, sous réserve des exigences associées à l'utilisation d'un appareil de détection approuvé (ADA). Les retards dus au fait qu'il n'y a pas d'appareil disponible ne sont pas des exigences découlant de l'utilisation d'un ADA.
d) Bien que les tribunaux eussent régulièrement refusé de quantifier le délai acceptable, l'élément clé, s'agissant de déterminer si la demande de test au moyen d'un ADA est véritablement «immédiate», consiste à se demander si le détenu aurait pu exercer son droit de recourir à l'assistance d'un avocat s'il avait été prévenu qu'il avait ce droit.
e) Les tribunaux ont reconnu par ailleurs que des «circonstances inhabituelles» justifient une interprétation moins stricte de l'immédiateté de l'ordre. Ce sont:
i. Le fait que, dans toute situation, il y a un délai nécessaire pour que l'équipement soit prêt et pour que l'agent puisse observer l'automobiliste;
ii. Le fait que, sachant que l'automobiliste a récemment consommé de l'alcool, l'agent doit attendre 15 minutes avant de formuler l'ordre prévu au par. 254(2) et de faire passer le test de détection;
iii. Le comportement «difficile» du détenu, qui retarde le processus;
iv. Un malaise de l'automobiliste, qui fait que celui-ci n'est pas capable de fournir un échantillon avant un certain temps;
v. Le fait qu'il n'y ait pas d'ADA sur le lieux de l'interception ne constitue pas en soi une «circonstance inhabituelle». Si cette indisponibilité de l'ADA provoque un retard, l'agent de la paix doit respecter les dispositions de l'alinéa 10b) de la Charte;
vi. L'ordre de fournir un échantillon dans un ADA doit être formulé pendant que le détenu a la garde ou le contrôle du véhicule qu'il conduisait."
[27] En vertu de l'arrêt George précédemment mentionné, le juge Gillepsie de la Cour d'appel de l'Ontario déclare que si l'agent de la paix n'est pas en mesure d'ordonner de fournir et de prélever un échantillon d'haleine, le tribunal doit considérer en déterminant si l'accusé a une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat, la disponibilité d'un téléphone comme un facteur pertinent.
[28] Ainsi, lorsqu'un policier n'est pas en mesure de respecter les exigences de l'article 254 (2), il doit faire le nécessaire pour faciliter la consultation avec un avocat y compris celui de lui demander s'il a un téléphone cellulaire.
[29] C'est d'ailleurs ce que souligne Me Karl-Emmanuel Harrison, lorsqu'il écrit:
"Dans la mesure où il s'écoule un délai entre l'ordre et la prise d'un échantillon d'haleine, notamment lorsque les agents de la paix n'ont pas en leur possession un appareil de détection approuvé, des mesures raisonnables doivent être prises pour faciliter le droit à l'avocat de la personne détenue. D'une part, ils doivent aviser la personne détenue de son droit à l'avocat. D'autre part, ils doivent alors vérifier s'il existe une possibilité réelle d'exercice du droit à l'avocat. Pour ce faire, ils peuvent vérifier la possession par la personne détenue d'un cellulaire, la présence d'un téléphone public environnant ou se rendre à un poste de police situé à proximité. À moins que le prélèvement ne soit effectué immédiatement, la disponibilité d'un téléphone impose l'obligation d'informer le détenu de son droit à l'avocat. S'il existe une possibilité réelle d'exercice du droit à l'avocat entre le moment où l'ordre de se soumettre à un test de dépistage est donné et la prise de l'échantillon d'haleine, l'ordre est invalide et la violation du droit constitutionnel à l'avocat ne constitue plus une limite raisonnable.
La limitation législative du droit à l'avocat a été justifiée par l'article premier en raison du constat qu'une personne détenue brièvement, sans droit à l'assistance d'un avocat, moyennant l'administration immédiate du test de dépistage, ne jouit généralement d'aucune possibilité réelle et efficace de consulter un avocat. Cette possibilité raisonnable et réelle s'évalue en fonction de l'accessibilité à un moyen de communication et du délai.
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