Bachand c. R., 2009 QCCS 1799 (CanLII)
Lien vers la décision
[9] Le droit relatif au pouvoir de détention pour fins d'enquête est étudié dans R. c. Lessard. Il n'est pas nécessaire de reprendre cette analyse mais de référer uniquement aux principaux éléments de celle-ci.
[10] Les «principes directeurs régissant l'utilisation du pouvoir des policiers en matière de détention aux fins d'enquête» sont résumés par le juge Iacobucci dans l'arrêt Mann. On peut les énoncer ainsi:
1) Il n'existe pas de pouvoir général de détention pour fins d'enquête mais plutôt un pouvoir limité;
2) Les détentions pour fins d’enquête doivent reposer sur des motifs raisonnables;
3) La détention doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu’il existe un lien clair entre l’individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours;
4) La question des motifs raisonnables intervient dès le départ dans cette détermination, car ces motifs sont à la base des soupçons raisonnables du policier que l’individu en cause est impliqué dans l’activité criminelle visée par l’enquête;
5) Le caractère globalement non abusif de la décision de détenir une personne doit également être apprécié en tenant compte de l’ensemble des circonstances; principalement dans quelle mesure il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d’accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porté atteinte, ainsi que la nature et l’étendue de cette atteinte;
6) Il n’y a pas nécessairement correspondance entre les pouvoirs dont disposent les policiers et les devoirs qui leur incombent;
7) Bien que, suivant la common law, les policiers aient l’obligation d’enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n’importe quelle mesure pour s’acquitter de cette obligation;
8) Les droits relatifs à la liberté individuelle constituent un élément fondamental de l’ordre constitutionnel canadien;
9) Il ne faut donc pas prendre les atteintes à ces droits à la légère et, en conséquence, les policiers n’ont pas carte blanche en matière de détention;
10) Le pouvoir de détention ne saurait être exercé sur la foi d’une intuition, ni donner lieu dans les faits à une arrestation;
11) Les détentions effectuées aux fins d’enquête doivent être brèves et les personnes détenues n’ont pas l’obligation de répondre aux questions du policier.
[11] Il n'est pas inutile de rappeler que le juge Iaccobucci précise «qu’il n’est pas indiqué que la Cour reconnaisse l’existence d’un pouvoir général de détention aux fins d’enquête».
[12] La Cour suprême s'est penchée de nouveau sur le pouvoir de détention pour fins d'enquête dans l'arrêt R. c. Clayton.
[13] Dans cette affaire, la juge Abella, qui rédige l'opinion majoritaire, écrit ce qui suit au sujet de l'arrêt Mann et du pouvoir de détention pour fins d'enquête:
Dans cette affaire, une personne marchant sur le trottoir avait été détenue à l’occasion d’une enquête relative à une introduction par effraction. Notre Cour a conclu à la légalité de la détention, car non seulement l’accusé correspondait en tous points au signalement donné par le répartiteur radio — l’âge, la race, la taille, le poids et les vêtements du suspect —, mais il se trouvait également à deux ou trois pâtés de maisons seulement du lieu du crime. Même si les faits diffèrent de ceux de la présente espèce, où les policiers n’ont manifestement pas pu déterminer quelque caractéristique des occupants avant de les intercepter, une partie de l’analyse à laquelle s’est livrée notre Cour dans l’arrêt Mann permet néanmoins de déterminer si les agents ont exercé leurs pouvoirs dans les limites établies par la common law :
L’évolution du critère formulé dans l’arrêt Waterfield, de même que l’obligation des policiers de disposer de motifs concrets établie dans l’arrêt Simpson, requiert que les détentions aux fins d’enquête reposent sur des motifs raisonnables. La détention doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu’il existe un lien clair entre l’individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours. La question des motifs raisonnables intervient dès le départ dans cette détermination, car ces motifs sont à la base des soupçons raisonnables du policier que l’individu en cause est impliqué dans l’activité criminelle visée par l’enquête. Toutefois, pour satisfaire au deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Waterfield, le caractère globalement non abusif de la décision de détenir une personne doit également être apprécié au regard de l’ensemble des circonstances, principalement la mesure dans laquelle il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d’accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porté atteinte, ainsi que la nature et l’étendue de cette atteinte. [Je souligne; par. 34.]
[14] La juge Abella décrit le contexte de l'intervention des policiers dans l'affaire Clayton:
Les policiers ont procédé à l’interception initiale en réponse à un appel au 9‑1‑1 signalant la présence d’environ dix hommes noirs, dont quatre étaient armés. Ils ont dit avoir mis en place un périmètre de sécurité autour de l’endroit où était censé avoir eu lieu l’infraction. Ils avaient des motifs raisonnables de croire à la présence de plusieurs armes de poing dans un lieu public, ce qui constituait une infraction grave et créait un risque réel de préjudice corporel grave pour le public. Les policiers étaient en droit de prendre des mesures raisonnables pour faire la lumière sur cette infraction sans attendre que le risque ne se réalise. Ils avaient également des motifs raisonnables de croire que l’interception des véhicules quittant le stationnement constituait un moyen efficace de mettre la main au collet des auteurs du crime grave visé par l’enquête.
[15] La juge Abella conclut son analyse en ces termes:
Certes, l’auteur de l’appel n’avait décrit que quatre des véhicules se trouvant dans le stationnement, mais ce signalement s’inscrivait dans un contexte plus large : quatre hommes armés, un groupe d’environ dix hommes, tous dans le stationnement devant le club de danseuses nues, tous descendus de leurs véhicules et tous susceptibles de prendre place à bord d’un autre véhicule que ceux décrits. Les policiers ont pris position à la sortie de façon à n’intercepter que les véhicules qui se trouvaient alors dans le stationnement. À mon humble avis, l’interception d’un véhicule quittant l’endroit était une mesure éminemment raisonnable eu égard aux risques pour la sécurité.
Le délai d’intervention des policiers tenait également compte de la situation. L’appel au 9‑1‑1 a été reçu à 1 h 22. Les policiers patrouillant dans le secteur ont été prévenus à 1 h 24 et les agents Robson et Dickson sont arrivés à la sortie arrière du stationnement à 1 h 26. À 1 h 27, soit cinq minutes après l’appel et une minute après leur arrivée au club, ils détenaient le véhicule de Farmer.
Les policiers avaient des motifs raisonnables de croire que la sécurité publique était menacée, que les personnes qui quittaient le stationnement pouvaient être en possession d’armes de poing et que l’interception des véhicules quittant les lieux pouvait permettre l’arrestation des suspects. L’interception du véhicule a résulté d’une intervention raisonnable, circonscrite en fonction des renseignements dont disposaient les policiers.
Vu l’ensemble des circonstances, la détention initiale constituait donc une mesure raisonnablement nécessaire eu égard à la gravité de l’infraction et au risque pour la sécurité des policiers et des citoyens inhérent à la présence d’armes prohibées dans un lieu public. Aussi, le délai de réaction, la délimitation géographique de l’intervention et les moyens employés étaient adaptés à la situation alors connue des policiers. En conséquence, l’interception initiale constituait un exercice justifiable des pouvoirs policiers liés à l’obligation d’enquêter relativement aux infractions signalées au 9‑1‑1, de sorte qu’elle n’équivalait pas à une détention arbitraire au sens de l’art. 9 de la Charte.
[16] La distinction entre un pouvoir général de détention aux fins d'enquête et le pouvoir de détention aux fins d'enquête reconnu dans l'arrêt Mann est essentielle et capitale. Le pouvoir de détention reconnu dans l'arrêt Mann est soumis à des exigences qui encadrent son exercice et il ne s'agit pas d'un pouvoir général de vérification.
[17] L'arrêt Mann a clarifié un aspect important relatif aux devoirs et aux pouvoirs des policiers en matière d'enquête et de prévention du crime. Dans l'état actuel du droit, les pouvoirs dont disposent les policiers ne correspondent pas nécessairement aux devoirs qui leur incombent, «les policiers n’ont pas de pouvoirs proportionnés à leurs devoirs».
[18] L'article 48 de la Loi sur la police et la common law imposent des devoirs aux policiers en matière d'enquête et de prévention du crime, devoirs dont découle un pouvoir limité de détention pour fins d'enquête. Ces obligations qui leur incombent ne leur permettent toutefois pas de recourir à n'importe quelle mesure. L'intervention policière doit être raisonnablement nécessaire pour accomplir le devoir d'enquête et de prévention du crime, compte tenu de l'ensemble des circonstances.
[19] On peut résumer le pouvoir de détention pour fins d'enquête énoncé dans Mann en ces termes:
1) Les policiers peuvent détenir une personne pour fins d’enquête s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner, à la lumière de toutes les circonstances, que cette personne est impliquée dans un crime donné;
2) La détention doit être jugée raisonnablement nécessaire suite à une évaluation objective de l’ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu’il existe un lien clair entre l’individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours.
[20] L'importance du lien entre l'individu et la commission d'un crime donné ne doit pas être ignorée. La raison de cette exigence est expliquée par le juge Doherty dans l'arrêt Brown v. Durham Regional Police Force:
In the criminal law context, police and individual interests typically intersect after the alleged commission of a crime. The police power to interfere with individual liberty or security is tied to their ability to link the individual to the event or events under investigation. This societal harm done by the commission of the crime and the suspect's connection to that event provide the justification for state action which interferes with individual freedoms.
According to this paradigm, the police conduct is reactive and, in so far as it interferes with individual liberty or security, is circumscribed by the police ability to meet preestablished standards which are said to forge a sufficiently strong connection between the past event and the individual to warrant interference with constitutional rights. For example, the arrest power is typically triggered when the police have reasonable grounds to believe that the person arrested has committed an indictable offence: Criminal Code, s. 495(1)(a). The individual's constitutional right under s. 9 yields only when the police can meet that standard. Similarly, the "investigative detention" power recognized in Simpson, supra, is a reactive power dependent upon a reasonable belief that the detained person is implicated in a prior criminal act. The protection against police excess rests not only in the standard itself, but in its retrospective application. It is self-evident that assessments of what has happened and an individual's involvement in those past events are much more likely to be reliable than are assessments of what may happen in the future and the involvement that an individual may have in those events should they occur.
[21] Lorsque la preuve d'un lien clair entre un individu et une infraction criminelle récente ou en cours est insuffisante, le pouvoir de détention pour fins d'enquête est inexistant et les policiers doivent laisser «le suspect tranquille».
[22] En raison de l'information en possession des policiers quant à la vague de vols de matériaux de construction dans des quartiers résidentiels, une dernière précision s'impose quant aux principes de droit qui s'applique.
[23] Dans quelle mesure, la présence d'une personne près d'un quartier à criminalité élevée ou qui est susceptible d'être le théâtre d'une activité criminelle est-elle un facteur qui établit l'existence de motifs raisonnables de soupçonner que la personne est impliquée dans un crime donné?
[24] Dans Mann, le juge Iacobucci écrit ce qui suit:
Les policiers avaient des motifs raisonnables de détenir l’appelant. Il correspondait étroitement à la description du suspect transmise par le répartiteur radio et il se trouvait à seulement deux ou trois pâtés de maisons de la scène du crime. Ces facteurs ont amené les policiers à soupçonner raisonnablement que l’appelant avait été impliqué dans des activités criminelles récentes et qu’il devait à tout le moins faire l’objet d’une enquête plus approfondie. La présence d’une personne dans un quartier dit à criminalité élevée n’est pertinente qu’en ce qu’elle témoigne du fait que cette personne se trouvait à proximité du lieu du crime. Le fait qu’un quartier possède un taux de criminalité élevé ne constitue pas en soi une raison de détenir quelqu’un.
[25] Dans Simpson, le juge Doherty aborde la question en ces termes:
Turning to this case, I can find no articulable cause justifying the detention. Constable Wilkin had information of unknown age that another police officer had been told that the residence was believed to be a "crack house". Constable Wilkin did not know the primary source of the information and he had no reason to believe that the source in general, or this particular piece of information, was reliable. It is doubtful that this information standing alone could provide a reasonable suspicion that the suspect residence was the scene of criminal activity.
Any glimmer of an articulable cause disappears, however, when one considers whether Constable Wilkin had reason to suspect that the appellant or the driver of the car was involved in criminal activity. He knew nothing about either person and he did not suggest that anything either had done, apart from being at the house, aroused his suspicion or suggested criminal activity. Attendance at a location believed to be the site of ongoing criminal activity is a factor which may contribute to the existence of "articulable cause". Where that is the sole factor, however, and the information concerning the location is itself of unknown age and reliability, no articulable cause exists. Were it otherwise, the police would have a general warrant to stop anyone who happened to attend at any place which the police had a reason to believe could be the site of ongoing criminal activity.
[26] La criminalité associée à un quartier n'est donc pas une raison qui justifie, en soi, de détenir une personne.
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