dimanche 3 janvier 2010

La fraude ne réside pas dans la fausseté des propos des prédictions mais pour faire croire au pouvoir de connaître et prédire l'avenir

R. c. Turgeon, 1993 CanLII 3725 (QC C.A.)

En effet, c'est après avoir longuement analysé les jugements tant de la Cour suprême que de notre Cour dans l'affaire Labrosse c. La Reine que le premier juge s'exprimait comme suit quant au droit applicable à l'interprétation du mot «frauduleusement» de l'article 323 b) (aujourd'hui 365 b) du Code criminel):

Le soussigné est d'avis que la Cour Suprême du Canada, dans l'arrêt Lucette Labrosse contre Sa Majesté la Reine, a reconnu l'existence de la défense de croyance honnête tout en précisant qu'elle ne pouvait pas s'appliquer dans le dossier de Lucette Labrosse étant donné les faits de l'espèce.

En effet, la défense de croyance honnête existe et devient donc le synonyme d'une absence de mens rea et d'une façon plus spécifique, dans le cadre de l'infraction en litige d'une absence d'intention frauduleuse.

La Cour Suprême mentionne également ce qui suit: le juge du procès a conclu que ce qu'elle croyait n'était pas pertinent et que de tout façon il ne la croyait pas. Il a atténué le sens habituellement donné au terme "frauduleusement"; dans un article qui crée une infraction, il a dit que ce mot s'y trouvait pour faire en sorte que les personnes qui ne prétendent pas jouir de pouvoirs spéciaux et qui disent la bonne aventure à des fins d'amusement, comme on le voit souvent dans les tombolas ou les parcs d'attractions, ne soient pas déclarées coupables.

Ce qui signifie qu'une personne qui, pour des fins d'amusement dans un parc d'attraction ou dans un autre endroit public, ne prétendant nullement posséder des pouvoirs spéciaux et réels de divination, qu'elle le fasse moyennant ou non contrepartie, ne devrait pas être déclarée coupable de l'infraction prévue à l'article 365 du Code criminel.

Il est exact de dire en droit que, tel que cité dans l'arrêt de la Reine contre Dazenbrooke, 1975 23, C.C.C. 2e édition, page 252.

"The legislators, therefore, must have envisaged fortune-telling that is not fraudulent as being acceptable-legal. That is, the mere telling of a fortune, per se, is not illegal."

Il me semble également exact que pour conclure à une représentation frauduleuse, les faits particuliers à chaque cas d'espèce doivent être examinés de façon à déterminer si la preuve permet d'inférer une intention frauduleuse de la part de la personne qui dit la bonne aventure.

Tel que mentionné, nous sommes d'opinion que le juge de première instance s'est effectivement bien dirigé en droit quant aux exigences de la disposition du Code criminel relative à la preuve du caractère frauduleux de son entreprise; puis, le premier juge devait conclure comme suit:

... Face à une telle preuve, la seule inférence que le Tribunal peut tirer c'est que l'accusée a entrepris, moyennant contrepartie, de dire la bonne aventure frauduleusement, et le Tribunal ne peut absolument pas inférer des faits mis en preuve, la possibilité ou l'hypothèse que l'accusée ait pu avoir une croyance honnête en ses pouvoirs, ce qui aurait fait disparaître l'élément requis de mens rea.

Cette dernière conclusion est à tout le moins mixte de faits et de droit et, à ce titre, il est difficile de ne pas être d'accord avec la conclusion précitée du jugement entrepris;

De fait, même si la preuve d'intention de frauder nécessite l'existence d'un facteur ou élément subjectif pour que l'on puisse conclure à l'existence du mens rea, il est possible d'inférer la connaissance subjective par l'accusée du caractère frauduleux du geste posé à partir de faits et éléments objectifs, surtout en l'absence de toute défense à l'effet contraire (Droit Pénal Canadien - Les Éditions Yvon Blais Inc., 1989, 3e Ed. pp. 327-28; Glanville Williams - Textbook of Criminal Law; London, Stevens & Sons, 1983, 2nd Ed. p. 79 - Théroux c. La Reine);

On ne saurait présumer que l'accusée est atteinte de débilité ou d'aliénation mentale ou de faiblesse d'esprit telles à permettre de conclure qu'elle peut honnêtement croire ce qu'elle affirme;

Dans l'affaire Labrosse, mentionnée ci-haut, et confirmée par la Cour suprême, le juge Mayrand s'exprimait comme suit:

... Certes, il n'est pas question de vérifier la véracité ou la fausseté des propos divinatoires de l'accusée, ni l'opportunité ou le caractère inapproprié des conseils donnés. Pour que l'offense soit prouvée, il n'est pas nécessaire que l'accusée ait expressément prétendu posséder un pouvoir de divination; il suffit, à mon avis, qu'elle ait agi de façon à faire croire qu'elle possédait ce pouvoir ou ce don. Or, tout dans son attitude et son comportement tend à cette fin. Ses rapports avec le client n'ont pas l'apparence d'un simple amusement fondé sur l'imagination. Comment en serait-il autrement quand, dans son témoignage, l'accusé elle-même prétend posséder un don de clairvoyance, "une science qui est presque indéfinissable."

Toujours dans le même arrêt, le juge Bernier, quant à lui, nous disait ce qui suit:

La fraude ne réside pas dans la fausseté des propos des prédictions mais dans les gestes, actes posés et propos tenus pour faire croire au pouvoir de connaître et prédire l'avenir. C'est ce que décida notre Cour dans Régina contre Corbeil (65 C.C.C. (2d) 570.)

Enfin, dans cette affaire Régina c. Corbeil, notre Cour avait confirmé le juge du procès qui s'était exprimé comme suit:

Or, certains faits révélés par la preuve ne laissent aucun doute quant à l'intention réelle que pouvait avoir l'accusé de soutirer frauduleusement de l'argent au dénommé Blouin.

Après lui avoir fait croire qu'elle s'était spécialisée en Europe, pour ce genre de métier, elle lui a laissé entendre qu'elle avait un certain pouvoir de prédiction ou de prophétie.

Que le témoin Blouin ait cru ou non à ce prétendu pouvoir de l'accusée, cela n'est pas nécessaire pour établir l'infraction.

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