mercredi 22 septembre 2010

Exposé exhaustif du juge Ferguson sur la définition de maison d’habitation au sens du Code criminel

R. c. Sappier, 2005 NBCP 37 (CanLII)

[15] La signification juridique unique qui est donnée à une maison d’habitation est profondément enracinée dans notre droit criminel. Du point de vue des biens personnels, la maison d’habitation se situe au sommet du paradigme de la vie privée comme un endroit ayant une signification particulière, non seulement dans le contexte du droit à la vie privée accordé à ses occupants en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés mais également d’un point de vue sociétal général. Dans R. c. Tessling, 2004 CSC 67 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 432 (C.S.C.), le juge Binnie a décrit de façon judicieuse la place particulière qu’elle occupe dans notre droit, au paragraphe 14 :

L’arrivée des policiers en pleine nuit est la plus sombre illustration de l’État policier. C’est ainsi que, dans un discours célèbre prononcé en 1763 devant le Parlement britannique, William Pitt (le Premier Pitt) a prôné le droit de chacun d’interdire aux forces de Sa Majesté l’accès à son domaine privé :

[TRADUCTION] Dans sa chaumière, l’homme le plus pauvre peut défier toutes les forces de la Couronne. Sa chaumière peut bien être frêle, son toit peut branler, le vent peut souffler à travers, la tempête peut y entrer, la pluie peut y pénétrer, mais le roi d’Angleterre, lui, ne peut pas entrer! Toute sa force n’ose pas franchir le seuil du logement délabré.

(Lord H. Brougham, Historical Sketches of Statesmen Who Flourished in the Time of George III (1855), vol. I, p. 42)

[16] Toutefois, les toits ne font pas tous des chez­‑soi et il est établi en droit qu’il existe une distinction entre ce qui, du point de vue de l’apparence matérielle, constitue un chez‑soi ou une demeure et ce qui est catégorisé comme tel en droit.

[17] Au lieu d’aborder la question du seul point de vue de l’objet de la construction, le droit exige qu’une [TRADUCTION] « perspective globale » soit adoptée pour déterminer si la construction est en fait celle d’une maison d’habitation ou tenue comme telle.

[18] Par conséquent, un certain nombre de facteurs doivent être pris en considération pour déterminer si, au moment de l’infraction reprochée, la maison en question était une maison d’habitation. Dans R. c. McKerness reflex, (1983), 4 C.C.C. (3d) 233 (C.S.P.Q.), le juge Grenier s’est inspiré d’un arrêt de la Cour suprême du Canada, Springman c. La Reine, 1964 CanLII 69 (S.C.C.), [1964] R.C.S. 267, 3 C.C.C. 105 (C.S.C.), un cas d’incendie criminel, pour déterminer si une boutique de style petit comptoir au milieu d’un mail était un « endroit » pour les besoins de l’infraction d’introduction par effraction prévue à l’alinéa 306(1)a) du Code. En concluant qu’il s’agissait d’un « endroit », il s’est appuyé dans une certaine mesure sur l’intention du constructeur :

Il ressort également de l’arrêt Springman que l’intention qui animait le constructeur doit être prise en considération pour décider s’il y a « construction » ou « bâtiment ». C’est ainsi que dans l’arrêt London County Council c. Pearce, [1892] 2 Q.B. 109 aux pp. 112-13, la Cour d’appel d’Angleterre affirmait ce qui suit :

[TRADUCTION] Dans tous les cas, nous devons être guidés par ce que j’appelle les buts de la construction et chercher dans quelle intention elle a été faite. Cela semble ressortir clairement de l’arrêt Hall c. Smallpiece (59 L.J (M.C.) 97), où il a été jugé qu’un manège à vapeur n’était pas une construction ni une édification en bois au sens de la Loi. Pourquoi le tribunal a‑t‑il conclu ainsi? Non pas parce qu’un objet sur roues ne peut être visé par l’article, mais bien parce que, lorsque l’on considère le but dans lequel l’objet a été fabriqué, il devient évident qu’il a été fabriqué pour la locomotion et pour l’édification dans tout endroit où il pourrait être requis.

[19] Toutefois, il arrive souvent que l’intention du constructeur ne soit pas suffisante pour trancher la question. C’est ce qui est ressorti de l’arrêt Johnson c. La Reine, 1977 CanLII 229 (C.S.C.), [1977] 2 R.C.S. 646, 34 C.C.C. (2d) 12 (C.S.C.), où l’intention du constructeur était claire, mais où la nature de la maison en construction ne correspondait pas encore à la désignation de « maison d’habitation ». Les faits ont été résumés par le juge Dickson (tel était alors son titre) comme suit :

L’accusé s’est introduit dans une maison d’habitation en cours d’oeuvre et inoccupée, à 3 h 30, par le cadre d’une porte entre l’abri d’auto et la maison. La porte n’avait pas encore été installée. Le propriétaire avait temporairement cloué une feuille de contre‑plaqué sur l’ouverture, mais il appert que quelqu’un l’avait enlevée puisqu’elle se trouvait par terre au moment où l’accusé et un compagnon se sont introduits dans la maison. L’accusé a été déclaré coupable d’introduction par effraction en un endroit, à savoir une maison d’habitation en construction, et d’y avoir commis un acte criminel, en l’occurrence un vol. Les parties conviennent que le bâtiment était, par définition, un « endroit » mais non une maison d’habitation. [C’est moi qui souligne.]

[20] Même si la Cour n’a pas conclu que la maison n’était pas une maison d’habitation en droit, il importe de noter qu’aucune question n’a été soulevée concernant la nature juridique de la maison. Il a été convenu qu’il s’agissait d’un endroit, et non d’une maison d’habitation, parce que, au moment de l’infraction, elle n’avait pas encore la nature juridique d’une maison d’habitation.

[21] Si l’intention du constructeur n’est pas le seul facteur déterminant pour établir ce qui constitue une maison d’habitation, quels sont les autres facteurs déterminants de l’évaluation? L’utilisation traditionnelle, temporaire, saisonnière ou courante, suivant les circonstances, peut faire partie de l’équation. La force du lien temporel entre l’un de ces facteurs et le moment de l’évaluation de la nature de la maison où a eu lieu l’infraction peut également être pertinente.

[22] L’usage auquel la construction est destinée détermine très souvent sa nature. Dans certains cas, une habitation très rudimentaire peut avoir la qualité d’une maison d’habitation. Il a été établi qu’une tente utilisée comme résidence temporaire répondait à la définition d’une maison d’habitation. (Voir R. c. Howe (No. 2), [1983] N.S.J. No. 398; 57 N.S.R. (2d) 325 (C.A.N.‑É.).) Aux paragraphes 11, 12 et 16, le juge d’appel Morrison a exposé comme suit les motifs de ses conclusions :

[TRADUCTION]

La tente était située, selon Jerome Basque, sur la propriété appartenant à la grand‑mère de Frances Marr. Elle faisait environ 10 pi sur 8 pi et elle était conçue pour quatre personnes. Elle contenait quatre matelas et avait environ 5 pi de haut. Elle était en nylon et avait une porte avant et une fenêtre arrière. La porte avant était apparemment une ouverture pourvue d’une fermeture à glissière. Il y avait des matelas et des couvertures dans la tente et, selon Jerome Basque, il y avait également une radio.

La preuve me convainc que la tente en question a été utilisée et occupée comme une résidence entre le 12 juillet et le 13 juillet 1982. La tente était pourvue de matelas et de couvertures. Il y avait une radio pour le divertissement et la commodité de ceux qui y résidaient et les parties l’ont utilisée effectivement pour dormir le soir du 12 juillet et dans les premières heures du matin le 13 juillet 1982.

À mon avis, la tente est une unité conçue pour être mobile et elle était utilisée comme résidence temporaire pour les quatre personnes qui y ont dormi et, en conséquence, elle correspond à la définition de « maison d’habitation », énoncée à l’article 2 du Code criminel. L’alinéa 306(4)a) du Code criminel prévoit que « [a]ux fins du présent article, l’expression « endroit » signifie […] une maison d’habitation ». Je suis d’avis que la tente était un « endroit » au sens de l’article 306 du Code criminel.

[23] De plus, il a été établi qu’une habitation très temporaire, telle qu’un motel loué pour la nuit, constituait une résidence temporaire. (Voir R. c. Henderson, [1974] B.C.J. No. 796 (C. prov.).)

[24] Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que la maison n’était pas occupée ou n’avait jamais été occupée comme une maison d’habitation. L’analyse peut donc être circonscrite à la question de savoir si, au moment de l’introduction par effraction, la maison était « tenue » comme une maison d’habitation.

[25] Dans R. c. DeWolfe (N.S.C.A.), reflex, [1988] N.S.J. No. 27, 82 N.S.R. (2d) 175 (C.A.N.-É.), la maison en question n’était pas occupée au moment de l’infraction et elle ne l’avait pas été pendant au moins un mois. Toutefois, elle a conservé la qualité ou la nature d’une maison d’habitation :

[TRADUCTION]

L’éminent juge de procès a conclu que, même si la maison n’était pas occupée à ce moment‑là, elle était néanmoins « tenue » comme une résidence. La preuve démontrait que la propriétaire habitait la maison voisine et que son fils occupait la maison un mois avant l’introduction par effraction. Dans la définition de maison d’habitation, le mot « tenu » est utilisé comme variante du mot « occupé ». Nous souscrivons à l’opinion du juge en chef Palmeter qui a estimé que, compte tenu des faits en l’espèce, la maison était en fait tenue comme une résidence.

[26] Il est facile de concevoir que, dans DeWolfe, l’utilisation traditionnelle de la construction prédominait dans la détermination de sa nature. À cela s’ajoutait la preuve selon laquelle la maison avait été occupée comme maison d’habitation jusqu’à un mois avant l’infraction. Le lien temporel de l’usage de la maison comme habitation si peu de temps avant la perpétration de l’infraction a aidé à établir la nature juridique de la maison au moment pertinent comme étant celui d’une maison d’habitation.

[27] Dans certains cas, la maison peut avoir été utilisée traditionnellement comme une maison d’habitation et avoir ensuite perdu cette caractérisation parce qu’elle a cessé d’être utilisée à cette fin pendant une certaine période de temps. Cette période de non‑utilisation peut, dans certaines circonstances, briser le lien temporel entre son utilisation traditionnelle comme habitation et sa nature juridique au moment de l’infraction. La décision R. c. Paquet, [1978] O.J. No. 980, 43 C.C.C. (2d) 23 (C.A. Ont.) est un exemple de pareil cas. Dans cette affaire, la maison avait été utilisée traditionnellement comme une maison d’habitation. Toutefois, le juge Martin a fait remarquer ce qui suit aux paragraphes 2 et 3 :

[TRADUCTION]

La maison n’avait pas été occupée pendant une période d’environ trois ans, et elle était tombée dans un état assez délabré à la suite d’un incendie survenu quelque deux ans avant l’incident à l’origine de la présente accusation. Plusieurs fenêtres étaient fracassées et l’une d’elles était condamnée. L’endroit était sale et les mauvaises herbes étaient abondantes autour de la galerie.

Les appelants ont témoigné qu’ils étaient passés devant la maison le jour précédant les événements en question et avaient conclu qu’elle avait été abandonnée. Ils s’y sont rendus le soir suivant en camion et y ont pris une cuisinière, deux téléviseurs, des tapis et des photos. La cuisinière avait environ vingt ans et l’un de ses foyers était brûlé et elle avait besoin d’un nouveau revêtement. L’un des téléviseurs fonctionnait, mais il manquait des pièces dans l’autre.

[28] En concluant que, à l’époque pertinente, la maison n’était pas tenue ou occupée comme une maison d’habitation, le juge d’appel Martin a formulé les observations suivantes aux paragraphes 8 à 10 :

[TRADUCTION]

Me Lundy, représentant le ministère public, a reconnu, assez justement à notre avis, que la maison en question n’était pas une maison d’habitation.

En common law, il n’était pas nécessaire pour qu’une maison soit une maison d’habitation que quelqu’un y habite au moment de l’introduction par effraction, pourvu que l’occupant ait l’intention de revenir y habiter. Dans l’ouvrage Stephen’s Commentaries on the Laws of England, 21e éd. à la page 107, on peut lire le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

La maison doit généralement être utilisée comme demeure. Un cambriolage [au sens propre] ne peut être perpétré dans des locaux servant uniquement à des activités commerciales. La maison doit être une maison où quelqu’un a l’habitude de résider. La simple absence temporaire du propriétaire ne privera toutefois pas la maison de la protection accordée par la loi; et, même si personne ne s’y trouvait en réalité, pourvu que le propriétaire ait l’intention d’y revenir, l’introduction par effraction constituera un cambriolage.

Une personne pourrait avoir deux maisons dans lesquelles elle résiderait à différentes saisons et les deux seraient des maisons d’habitation même lorsqu’elles sont temporairement inoccupées. Si, toutefois, une personne quittait sa maison sans avoir l’intention de revenir y vivre, la maison cesserait d’être une maison d’habitation jusqu’à ce qu’elle soit à nouveau occupée comme une maison d’habitation : Russell on Crime, 12e éd., Vol. II, à la page 829.

Bien que la définition d’une maison d’habitation dans le Code criminel soit plus large que la définition de la common law, s’entendant de « l’ensemble ou toute partie d’un bâtiment ou d’une construction tenu ou occupé comme résidence permanente ou temporaire », nous sommes convaincus que la preuve n’établit pas que la maison en question au moment de l’introduction par effraction était « tenue ou occupée » comme une résidence permanente ou temporaire.

[29] Par conséquent, on ne pouvait dire que la preuve établissait hors de tout doute raisonnable que la maison était tenue à l’époque comme une maison d’habitation. Une condamnation pour introduction par effraction dans un endroit a été substituée à une condamnation pour introduction par effraction dans une maison d’habitation.

[30] En examinant la preuve en l’espèce, il ne fait aucun doute que le constructeur voulait que la maison devienne sa demeure. L’état avancé de la construction effectuée par M. Levi fait nettement en sorte que la maison se caractérise comme une maison d’habitation tant sur le plan de la conception que sur le plan de l’intention.

[31] Toutefois, il n’avait pas remplacé les portes et les fenêtres de la maison après la perpétration des actes de vandalisme pendant son incarcération. Il restait considérablement de travail à faire à l’intérieur, notamment l’installation de la plomberie et des luminaires, ainsi que des panneaux de gypse sur les divisions intérieures. Même si cela n’a pas beaucoup d’importance, les revêtements de plancher n’avaient pas été posés. En outre, il n’y avait pas de lien temporel entre la nature apparente de la maison au moment de l’infraction et une utilisation antérieure qui justifierait sa caractérisation comme maison d’habitation, car elle n’avait jamais été habitée, temporairement ou en permanence, avant la date de l’infraction reprochée.

[32] À la lumière de la preuve, est‑il possible de dire que la maison était « tenue » comme une maison d’habitation? Il est évident que ce n’était pas le cas. Le mot anglais kept [tenu] est défini comme suit dans l’ouvrage The Collins English Dictionary, deuxième édition, 1986, Collins London & Glasgow :

[TRADUCTION]

Temps passé ou participe passé du verbe tenir.

[33] Par conséquent, il semblerait évident que, pour qu’une maison d’habitation soit « tenue » comme maison d’habitation, elle doit avoir revêtu cette nature à un certain point dans le passé. Cela ne signifie pas que la maison doit avoir déjà été habitée comme une maison d’habitation et avoir conservé ce titre dans un lien temporel étroit ou par son utilisation à cette fin.

[34] Ainsi, si la construction d’une maison a été confiée à des entrepreneurs locaux par un propriétaire absent et que les clés de la maison ont été envoyées au propriétaire une fois les travaux terminés, la maison pourrait avoir la nature d’une maison d’habitation si ceux qui étaient chargés du bâtiment au moment où il était simplement une maison en construction avaient fini leurs travaux et que le propriétaire en avait pris possession en se faisant envoyer les clés. On pourrait alors dire que, une fois que la construction a été terminée et que la possession en droit a été transférée au propriétaire, la maison était, à partir de ce moment‑là, « tenue » comme une maison d’habitation même si personne n’y avait jamais passé une nuit.

[35] Toute la preuve fait clairement ressortir que, même si cette maison était destinée à devenir la future demeure de M. Levi, elle n’avait pas encore cette nature au moment où l’infraction a été commise. Elle n’avait jamais non plus été une maison d’habitation par le passé. Compte tenu de cette réalité, il n’est pas possible de dire avec certitude que, au moment où le défendeur s’est introduit par effraction dans l’endroit avec l’intention d’y commettre un acte criminel, il s’est introduit dans un endroit autre qu’une maison.

[36] Il n’est pas contesté et, en fait, les parties s’entendent pour dire, qu’une allégation d’introduction par effraction dans une maison d’habitation avec l’intention d’y commettre un acte criminel comprend une infraction d’introduction par effraction dans un endroit autre qu’une maison d’habitation avec l’intention d’y commettre un acte criminel. Voir généralement R. c. R. (G.) 2005 SCC 45 (CanLII), (2005), 198 C.C.C. (3d) 161 (C.S.C.).

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