vendredi 12 novembre 2010

L'actus reus de la fraude au sens de l'«autre moyen dolosif» / La question fondamentale qu'il faut se poser / Le détournement de fonds

R. c. Zlatic, [1993] 2 R.C.S. 29

La plupart des fraudes continuent de comporter une supercherie ou un mensonge. Tel que souligné dans Théroux, la preuve de la supercherie ou du mensonge suffit à établir l'actus reus de la fraude; aucune autre preuve d'un acte malhonnête n'est requise. Toutefois, la troisième catégorie de l'«autre moyen dolosif» a servi à justifier des déclarations de culpabilité dans un certain nombre de situations où il est impossible de démontrer l'existence d'une supercherie ou d'un mensonge. Ces situations incluent, à ce jour, l'utilisation des ressources financières d'une compagnie à des fins personnelles, la dissimulation de faits importants, l'exploitation de la faiblesse d'autrui, le détournement de fonds et l'usurpation de fonds ou de biens: (références omises)

La question fondamentale qu'il faut se poser en déterminant l'actus reus de la fraude au sens du troisième volet de l'infraction de fraude est de savoir si le moyen adopté pour commettre la prétendue fraude peut à juste titre être qualifié de malhonnête: Olan, précité. Pour déterminer cela, on applique la norme de la personne raisonnable. La personne raisonnable qualifierait‑elle l'acte de malhonnête? Évidemment, il n'est pas facile de définir avec précision la malhonnêteté. Elle implique cependant un dessein caché ayant pour effet de priver ou de risquer de priver d'autres personnes de ce qui leur appartient. Dans Criminal Fraud (1986), J. D. Ewart définit la conduite malhonnête comme étant celle [traduction] «qu'une personne honnête ordinaire jugerait indigne parce qu'elle est nettement incompatible avec les activités honnêtes ou honorables» (p. 99).

La négligence ne suffit pas, pas plus que le fait de profiter d'une chance au détriment d'autrui sans avoir adopté une conduite dénuée de scrupules, peu importe que cette conduite soit volontaire ou irréfléchie. La malhonnêteté de l'«autre moyen dolosif» tient essentiellement à l'emploi illégitime d'une chose sur laquelle une personne a un droit, de telle sorte que ce droit d'autrui se trouve éteint ou compromis. L'emploi est «illégitime» dans ce contexte s'il constitue une conduite qu'une personne honnête et raisonnable considérerait malhonnête et dénuée de scrupules.

Les affaires où l'«autre moyen dolosif» consistait à détourner des fonds sans y être autorisé offrent des exemples concrets de l'application de ces principes. Dans l'arrêt Olan, précité, il était question d'une opération compliquée de prise de contrôle au cours de laquelle le nouveau conseil d'administration, constitué après la prise de contrôle, a transféré le portefeuille de valeurs mobilières de premier ordre de la compagnie cible dans des moyens d'investissement qui étaient pratiquement sans valeur. Ce transfert avait pour objet ultime de permettre aux parties effectuant la prise de contrôle de la financer avec des sommes provenant du portefeuille de valeurs mobilières de la compagnie cible. Le ministère public a allégué que cette dernière avait été victime de fraude. En déclarant ceux qui avaient effectué la prise de contrôle coupables de fraude par un «autre moyen dolosif», notre Cour n'a pas considéré déterminant le simple fait que le portefeuille de la compagnie cible devait servir à financer la prise de contrôle. Notre Cour n'a pas non plus jugé suffisant que la décision de transférer le portefeuille dans de nouveaux moyens d'investissement ait été mauvaise. On jouissait d'une certaine latitude concernant les activités commerciales et le risque inévitable qui s'y rattache. La question cruciale était de savoir si le transfert des moyens d'investissement pouvait être considéré comme servant les véritables intérêts financiers de la compagnie cible ou s'il convenait davantage de le considérer comme étant destiné à servir les fins personnelles des parties qui l'ont effectué, sans égard aux objectifs véritables de l'entreprise. On a déduit que, compte tenu des circonstances de l'affaire, on ne pouvait pas raisonnablement considérer que la compagnie cible était disposée à se prêter à un détournement de ses fonds pour les fins personnelles des parties qui effectuaient la prise de contrôle. Notre Cour a conclu sans difficulté qu'il ne pouvait s'agir que d'un transfert à des fins personnelles, qui privait la compagnie cible d'une chose dans laquelle elle avait un intérêt.

Les cours d'appel ont adopté le même point de vue en se demandant si on pouvait raisonnablement considérer que le détournement de fonds en cause servait des intérêts personnels plutôt que les véritables intérêts de l'entreprise. Par exemple, dans l'arrêt R. v. Geddes, précité, un marchand de motocyclettes a accepté une somme d'un acheteur à titre d'avance pour un modèle particulier de motocyclette. Après avoir tenté sans trop de conviction d'obtenir la motocyclette désirée, le marchand a déposé l'argent dans son compte bancaire qui était alors à découvert. Il a immédiatement tiré des chèques sur son compte afin de payer ses dettes personnelles. L'accusé a prétendu qu'il comptait pleinement respecter son engagement d'obtenir la motocyclette et qu'il n'avait échoué que parce qu'il avait fait preuve de négligence dans l'exploitation de son commerce, en particulier en espérant obtenir sous peu un prêt qui lui permettrait finalement de respecter son engagement. La Cour d'appel du Manitoba a rejeté ce moyen de défense, soulignant que le marchand n'avait fait preuve d'aucune négligence ou inattention en se servant de l'argent de l'acheteur pour s'acquitter de ses obligations personnelles.

Dans l'arrêt R. c. Currie; R. c. Bruce, précité, la Cour d'appel de l'Ontario s'est prononcée de la même façon sur une situation semblable. Les accusés, dont l'entreprise consistait à investir de l'argent dans une certaine compagnie, la compagnie «Water‑Eze Products Ltd.», détournaient cet argent, sans aviser les investisseurs, dans une compagnie d'aviation appelée «Aerobec». Il n'était pas question de fausses déclarations. Aucune question ne se posait non plus quant à l'usage que les accusés pouvaient faire des fonds qui leur étaient versés. La Cour d'appel a conclu, par l'intermédiaire du juge Lacourcière, que le fait que les accusés aient utilisé les fonds d'une façon non autorisée suffisait pour conclure qu'ils avaient agi malhonnêtement.

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