lundi 7 février 2011

Exposé du juge Lévesque sur la portée de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada

R. c. Laroche, 2005 CanLII 41273 (QC C.S.)

[25] Il convient de se demander si la situation, ainsi que les conclusions recherchées, peuvent permettre l'application des dispositions de l'article 30 L.P.C.

[26] Force est de constater que cet article se retrouve dans une partie de la loi qui traite spécifiquement de la preuve documentaire (art. 19 à 36).

[27] Monsieur Jacques Fortin, traitant de « document et preuve matérielle », écrit ce qui suit :

« 1004. – L'écrit pertinent en tant que preuve matérielle est admissible en vertu des règles de fond régissant le litige. Par exemple, dans les inculpations de vol de document, de faux ou de libelle, le document faisant l'objet de l'inculpation est produit à titre d'objet, de « corpus delicti ». De la même manière, les documents préparés pour le procès à titre de preuves démonstratives (v.g. photographies des lieux ou de la victime, plan des lieux du crime) n'entrent pas dans la catégorie de la preuve documentaire pour la raison qu'ils s'offrent aux constatations directes du tribunal sans reposer sur la crédibilité d'un témoin. Toutefois, tant la preuve matérielle que la preuve démonstrative exigent que les documents soient présentés par un témoin qui est capable, en fonction de ses connaissances personnelles, d'en établir la pertinence dans le litige. Cela suppose, dans le cas de l'écrit, qu'il puisse le relier à l'accusé (v.g. par une comparaison d'écritures ou de signatures) ou établir qu'il a trouvé le document en possession de l'accusé, et dans le cas d'enregistrements ou de photographies, qu'il puisse en établir la fiabilité. Ce sont les fins auxquelles le document est produit qui permettent de déterminer son utilisation dans le procès. Par exemple, les enveloppes utilisées par la police pour conserver un stupéfiant ayant fait l'objet d'une saisie peuvent être produites comme de simples objets destinés à montrer la conservation de la substance ou, encore, comme de véritables documents destinés à faire preuve des mentions qu'ils comportent. Dans le premier cas, leur admissibilité dépend de leur pertinence dans le litige ; dans le second cas, leur admissibilité repose en plus sur la satisfaction des règles relatives à la preuve documentaire. »

[28] Les auteurs Bellemare et Viau, lorsqu'ils traitent de la preuve matérielle affirment pour leur part :

« ___ La preuve matérielle consiste en la prise de connaissance par le tribunal de l'état d'un objet ou d'une personne.

[…]

. Il peut s'agir de l'apparence d'une personne, vivante ou morte, présente à la Cour ou représentée au moyen d'une photographie, d'un film ou d'un croquis.

[…]

. Un document peut également, dans certaines circonstances, être considéré comme une preuve matérielle.

___ Le tribunal peut être invité à faire ses propres constatations à partir d'une représentation d'une personne ou d'un objet (ex.: une photographie, un plan, un croquis).

[…] »

[29] Les auteurs reconnaissent que l'article 30 s'applique aux registres d'affaires ou aux pièces établies dans le cours ordinaire des affaires.

[30] Notre collègue, le juge Béliveau, s'exprime ainsi à ce sujet:

« 652. De même, le paragraphe 30(1) prévoit que, lorsqu'une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est admissible en preuve. La loi définit le terme « affaire » comme englobant les activités gouvernementales, de sorte que cette disposition vise les documents publics et privés. Ces règles complètent la common law en ce qu'il n'est pas nécessaire que l'auteur du document ait agi dans l'exécution de son devoir. Cela étant, il faut noter que le paragraphe 30(10) prévoit spécifiquement certaines exclusions, notamment le cas où le document a été établi dans le cours d'une enquête. Ainsi, un rapport de police ou d'un enquêteur du service du commissaire aux incendies ne peut être recevable en vertu de cette disposition. On peut également, en vertu du paragraphe 30(2), inférer un fait de l'absence de renseignements. Ainsi, le registre des clients tenu par un hôtelier fera preuve qu'une personne a séjourné dans son établissement et même, le cas échéant, qu'elle n'y a pas séjourné. De même, la Cour suprême a jugé qu'une lettre de transport constitue une « pièce établie dans le cours ordinaire des affaires ». Il faut noter qu'il n'est pas nécessaire que l'auteur du document ait lui-même constaté le fait qu'il y a consigné. En d'autres termes, l'article 30 permet ce qu'on appelle fréquemment le « double ouï-dire », sujet bien entendu au poids que peut avoir une telle preuve. Il est également possible de joindre un affidavit pour expliquer le contenu de la pièce si nécessaire. »

[31] Il ne faut pas perdre de vue que l'article 30 L.P.C., tout comme les articles 29 et 31, constitue en quelque sorte une exception législative à la règle de la meilleure preuve. Le juge en chef Dickson exposait la règle suivante dans l'arrêt Schwartz :

« […] Avant qu'un document puisse être admis en preuve, il doit franchir deux obstacles. Premièrement, la partie qui désire se fonder sur lui doit l'authentifier. Cette authentification exige la déposition d'un témoin; un document ne peut être simplement déposé à l'audience devant le juge. En second lieu, pour que le document soit admis comme faisant preuve de l'exactitude de son contenu, il faut démontrer qu'il relève de l'une des exceptions à la règle du ouï-dire (Delisle, Evidence: Principles and Problems, aux pp. 103 à 105; Ewart, Documentary Evidence in Canada, aux pp. 12, 13 et 33; Wigmore on Evidence, vol. 7, 3rd ed., par. 2118 à 2135). Il s'agit là de deux questions distinctes et, à mon avis, le par. 106.7(2) ne répond qu'à la dernière. Un certificat d'enregistrement, une fois admis, fait preuve de son contenu, savoir que le titulaire qui y est nommé s'est conformé aux formalités d'enregistrement de l'arme à autorisation restreinte. Comment fait-on admettre ce document comme élément de preuve?

L'une des marques de la common law en matière de preuve est qu'elle a recours aux témoins pour faire produire des éléments de preuve devant le tribunal. En règle générale, rien ne peut être admis à titre d'élément de preuve devant le tribunal à moins d'être attesté de vive voix par un témoin. Même la preuve matérielle, qui existe indépendamment de toute déclaration d'un témoin, ne peut être prise en considération par le tribunal à moins qu'un témoin ne l'identifie et n'établisse son rapport avec les événements en cause. Contrairement à d'autres systèmes de droit, la common law n'envisage normalement pas la preuve par acte authentique.

Le législateur a édicté plusieurs exceptions législatives à la règle du ouï-dire dans le cas des documents, mais il est moins fréquent qu'il fasse une exception dans le cas de l'obligation de faire attester le document par un témoin. Par exemple, la Loi sur la preuve au Canada prévoit l'admission des pièces ou registres financiers et d'affaires comme faisant preuve de leur contenu, mais il est toujours nécessaire qu'un témoin vienne expliquer au tribunal comment les pièces ou registres ont été établis, avant que le tribunal puisse conclure que les documents peuvent être admis en vertu de ces dispositions législatives (voir les par. 29(2) et 30(6)). Le témoin peut fournir ses explications par affidavit, mais il est toujours nécessaire d'avoir un témoin. »

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