vendredi 11 février 2011

L'emprisonnement ferme est la règle dans le cas de trafic de drogues dures / Les cas où des peines avec sursis pourraient être imposées

R. c. Bernier, 2011 QCCA 228 (CanLII)

[24] L’appelante souligne avec raison que la sévérité des tribunaux à l'égard des infractions relatives aux drogues est constante.

[25] Dans l’arrêt R. c. Smith, le juge Lamer écrit ceci au sujet de l'importation de stupéfiants :

Ceux qui cèdent à l'appât du gain en important et en vendant des drogues dures sont responsables de la dégénérescence progressive mais inexorable d'un bon nombre de leurs semblables, en raison de l'état de dépendance vis-à-vis de la drogue qui se crée chez ces derniers. Du fait qu'ils constituent la cause directe des épreuves que subissent leurs victimes et leurs familles, on doit faire en sorte que ces importateurs assument eux aussi leur juste part de culpabilité pour toutes les sortes de crimes graves innombrables que commettent les toxicomanes en vue de satisfaire à leur besoin de drogue. Avec égards, j'estime que de telles personnes, à quelques rares exceptions près (comme par exemple la culpabilité des toxicomanes qui s'adonnent à l'importation non seulement pour répondre à leurs propres besoins mais aussi pour les défrayer, n'est pas nécessairement aussi grande que celle des non-utilisateurs insensibles), si elles sont déclarées coupables, devraient être condamnées et purger effectivement de longues périodes d'incarcération.

[26] Dans l'arrêt R. c. Pearson, le juge Lamer décrit le trafic de stupéfiants en ces termes :

[L]e trafic des stupéfiants est une activité systématique, pratiquée d'ordinaire dans un cadre commercial très sophistiqué. Il s'agit souvent [d’]une entreprise et d'un mode de vie. C'est une activité très lucrative, ce qui pousse fortement le contrevenant à poursuivre son activité criminelle même après son arrestation et sa mise en liberté sous caution.

[27] Dans l’arrêt R. c. Bonenfant, le juge Proulx écrit ce qui suit :

Il faut constater que le principe depuis fort longtemps établi que l'emprisonnement est la règle dans le cas de trafic de ce stupéfiant n'a pas découragé ses auteurs et que devant cette plaie sociale, les tribunaux n'ont aucun autre choix que de sévir en laissant un message sans équivoque. C'est sans doute ce que le juge de première instance a compris, en tenant compte de l'exemplarité de la peine et de son caractère de dissuasion.

[28] Ainsi, tout en concédant que les infractions impliquant des drogues dures ne sont pas exclues du régime d’emprisonnement avec sursis, l’appelante affirme que la situation de l’intimé ne présente pas le caractère exceptionnel qui justifiait une telle clémence. (...)

[38] C’est l’arrêt R. c. Prokos qui énonce les principes applicables à l’octroi d’un emprisonnement avec sursis dans un tel contexte. Dans cette affaire, la Cour rappelle que le principe de l'individualisation des peines peut justifier, dans certaines circonstances, de favoriser la réhabilitation du délinquant.

[39] La juge Rousseau-Houle y écrit ceci :

Les infractions relatives au trafic de stupéfiants doivent toujours être clairement et hautement réprouvées. Dans le cas d'importation et de trafic de drogues dures telles l'héroïne et la cocaïne de base (crack), lorsque la toxicomanie n'est pas en cause, l'objectif de dissuasion constitue indéniablement un objectif majeur. Il faut se garder toutefois d'entretenir le mythe, au nom d'un objectif de dissuasion générale et en invoquant la gravité intrinsèque des infractions, que le seul châtiment valable et dissuasif est une peine d'emprisonnement ferme.

L'individualisation de la sentence demeure un principe fondamental de la détermination de la peine. À l'égard d'infractions relatives aux stupéfiants, le système de détermination de la peine ne peut se fonder exclusivement sur la dissuasion sociale et la dénonciation de la gravité des infractions. La détermination de la peine doit être modulée et individualisée. C'est au juge, à qui incombe le devoir de déterminer la peine, de choisir celle qui a le plus de chance de dissuader le délinquant et d'assurer sa réhabilitation sociale tout en protégeant la société.

Si le critère de dissuasion générale constitue une considération de première importance, il n'en reste pas moins que le critère de la réhabilitation, lorsqu'il fait l'objet d'une démonstration particulièrement convaincante, pourra devenir prééminent lors de la détermination de la peine.

[41] Je souligne que le juge LeBel était dissident dans cette affaire non pas à l’égard des principes énoncés par la juge Rousseau-Houle mais plutôt quant à leur application au cas d’espèce. Il écrit ce qui suit :

À nouveau, il faut examiner une décision relative à l'imposition d'une peine de prison avec sursis. À cette étape du développement législatif et jurisprudentiel de cette nouvelle sanction, il ne sert à rien d'épiloguer longuement sur le mérite de la disposition de l'article 742.1 C.cr. ou sur le cadre juridique de son fonctionnement. Malgré les critiques parfois très vives, provenant à l'occasion des tribunaux eux-mêmes (références omises), l'institution existe. Le Parlement fédéral a adopté ces dispositions et les a même modifiées rapidement, pour prévoir que la décision du juge, en cette matière, doit être conforme aux objectifs généraux de la détermination de la peine, tels que les décrit l'article 718.2 C.cr., pour régler un conflit jurisprudentiel sur ses conditions d'incarcération. Elles correspondent à une volonté législative de chercher à diminuer les taux d'incarcération dans la société canadienne.

Qu'elles jugent ou non cette mesure d'emprisonnement avec sursis inappropriée, les cours canadiennes ne doivent pas se refuser à l'appliquer ou à la stériliser par une interprétation indûment restrictive. Lorsqu'aucune peine minimale n'est prévue, lorsque l'emprisonnement imposé est inférieur à deux ans et lorsque le degré de dangerosité du prévenu le permet, elle peut être retenue par le juge de première instance, dans le respect, toutefois, des objectifs généraux du régime de détermination des peines. La décision du juge du procès, alors, ne peut être révisée par une cour d'appel qu'à l'intérieur des paramètres définis par la Cour suprême du Canada dans ce domaine. Le cadre fixé par celle-ci exige que les cours d'appel n'interviennent pas, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur ou insistance excessive sur des facteurs non appropriés. Une peine ne devrait être révisée que si elle apparaît manifestement non indiquée (voir R. c. McDonnell, [1997 CanLII 389 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 948], opinion du juge Sopinka, pp. 11-12).

Par ailleurs, les cours d'appel provinciales ne pourraient non plus créer judiciairement des catégories d'infractions pour lesquelles l'utilisation de la peine d'emprisonnement avec sursis serait a priori interdite. Leur création relève du législateur, comme le rappelait la majorité de la Cour suprême dans l'arrêt McDonnell (voir opinion du juge Sopinka, pp. 21-22). Notre Cour s'est d'ailleurs refusée de l'exclure a priori à l'égard de divers types d'infractions, généralement considérées comme graves, comme des cas d'agression sexuelle, bien qu'elle ait écarté son application dans des circonstances concrètes de certaines affaires d'assaut sexuel (par exemple, voir [R. c. L. (J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC C.A.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.)]; La Reine c. Maheu, 1997 CanLII 10356 (QC C.A.), [1997] R.J.Q. 410)[18].

[42] L’arrêt Prokos ne ferme pas la porte à l’emprisonnement avec sursis pour les infractions en matière de drogues dures. Il identifie plutôt les facteurs qui doivent être examinés.

[44] Dans l’arrêt Bériault, cette Cour est intervenue et a annulé l’emprisonnement avec sursis imposé par le juge d’instance pour le remplacer par une peine d’emprisonnement en raison des circonstances particulières de cette affaire. Le juge Doyon s’exprime ainsi :

Il va de soi qu'un juge n'est pas obligé de tout dire et qu'il est présumé connaître la loi, mais il fallait à tout le moins considérer les circonstances très particulières que sont les nombreuses récidives pendant les deux périodes de mise en liberté et s'assurer que, malgré cela, le sursis permettait d'atteindre les objectifs que je viens de décrire. Ces récidives et les bris d'engagement devaient aussi être pris en compte au chapitre de la sécurité du public et le jugement ne permet pas de savoir comment cette sécurité pouvait être assurée malgré le risque sérieux de récidive ainsi démontré.

(...)

Quoique l'emprisonnement avec sursis puisse parfois permettre d'atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, il existe des cas où seul l'emprisonnement le permet. Je suis d'avis que c'est le cas, d'autant que le sursis ne constitue pas davantage une peine qui soit proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité fort élevé de l'intimé.

Les infractions, commises dans les circonstances décrites précédemment, qui impliquent le trafic de plusieurs grammes de cocaïne et qui ont été perpétrées dans le mépris des ordonnances de mise en liberté, rendent injustifiable ici l'emprisonnement avec sursis. La décision de l'intimé de continuer à faire le trafic de la cocaïne, malgré une première arrestation pour possession en vue de faire le trafic de la même substance, est troublante et doit être dénoncée. Sa décision de ne pas respecter les conditions de mise en liberté, notamment en retournant à l'endroit où il avait vendu de la cocaïne pendant de longs mois, est tout aussi inquiétante et démontre, elle aussi, son haut degré de responsabilité pénale. En réalité, rien ne permet de croire que l'intimé respectera davantage les conditions du sursis que ses conditions de mise en liberté. Dans ce contexte, le sursis ne peut être justifié. Enfin, l'on ne peut exclure de l'analyse les condamnations antérieures, même si elles sont survenues il y plusieurs années.

(...)

[46] Finalement, l’appelante nous renvoie aussi à l’arrêt Bernier où cette Cour s’exprime ainsi :

Il est vrai que l'intimé a plaidé coupable aux accusations portées (complot pour trafic de cocaïne et trafic (4 chefs)), qu'il s'est retiré du commerce de la drogue, a retrouvé un emploi occupé dans le passé et manifesté des remords. Mais cela ne peut occulter l'importance, dans les circonstances, des facteurs de dénonciation et de dissuasion en matière de trafic de drogue (Bordage c. R., [2000] J.E. 2000-1933 (C.A.), paragr. 10).

À ce sujet, le juge de première instance écrit :

[17] La jurisprudence est constance et bien établie; la dénonciation et la dissuasion sont les objectifs à privilégier en matière de trafic de drogue, particulièrement de cocaïne. D'une façon générale, la réinsertion sociale est reléguée au second plan, mais évidemment, lorsqu'une démonstration particulièrement convaincante de la réhabilitation est faite, ce critère deviendra prédominant lors de la détermination de la peine.

(...)

[50] Il est vrai, comme le souligne l’appelante, qu’on ne doit pas traiter sur le même pied l’emprisonnement ferme avec l’emprisonnement avec sursis[, car il va de soi qu’une « ordonnance d'emprisonnement avec sursis, même assortie de conditions rigoureuses, est généralement une peine plus clémente qu'un emprisonnement de même durée ».

[51] Toutefois, l’appelante ne me convainc pas que l’emprisonnement avec sursis imposé par la juge d’instance ne respecte pas les principes énoncés précédemment à l’égard des infractions en matière de drogues. Cette peine n’est pas exclue par la jurisprudence. Cette Cour a d’ailleurs récemment rappelé dans l'arrêt R. c. Veilleux que « la présence de circonstances aggravantes ne peut en elle-même constituer un obstacle dirimant à l'emprisonnement avec sursis ».

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