Toitures et profilés métalliques Nobel-St-Laurent inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2008 QCCS 1395 (CanLII)
[30] Dans les arrêts Jarvis et Ling, la Cour suprême devait déterminer s'il existe une distinction entre les fonctions de vérification fiscale et celles d'enquête en matière de respect des lois fiscales et l'incidence de cette distinction, le cas échéant, sur la protection offerte par la Charte.
[31] Dans ces décisions, la Cour conclut qu'il existe une distinction. La principale question qui doit être déterminée est celle de savoir si une relation de nature contradictoire a été cristallisée entre le contribuable et les agents du fisc. Une telle relation existe lorsque l'objet prédominant de la vérification est d'établir la responsabilité pénale du contribuable.
[32] Les conséquences d'une telle conclusion sont énoncées dans Jarvis d'une manière claire et limpide :
1) Dès qu’un examen ou une question a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable, il faut utiliser les techniques d’enquête criminelle;
2) À titre corollaire, toutes les garanties prévues par la Charte, pertinentes dans le contexte criminel, s’appliquent obligatoirement;
3) Les enquêteurs doivent donner une mise en garde appropriée au contribuable;
4) Les pouvoirs de contrainte d'une vérification fiscale ne peuvent plus être utilisés et il faut obtenir la délivrance de mandats de perquisition pour poursuivre l’enquête.
[33] Les juges Iacobucci et Major formulent les facteurs qui doivent être analysée afin de déterminer si une relation de nature contradictoire existe entre le fisc et un contribuable:
Rappelons que, pour déterminer à quel moment la relation entre l’État et le particulier est effectivement devenue une relation de nature contradictoire, il faut tenir compte du contexte, en examinant tous les facteurs pertinents. À notre avis, la liste suivante de facteurs sera utile pour déterminer si un examen a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable. À l’exception de la décision claire de procéder à une enquête criminelle, aucun facteur n’est nécessairement déterminant en soi. Les tribunaux doivent plutôt apprécier l’ensemble des circonstances et déterminer si l’examen ou la question en cause crée une relation de nature contradictoire entre l’Etat et le particulier.
À cet égard, le juge de première instance examinera tous les facteurs, y compris les suivants :
a) Les autorités avaient-elles des motifs raisonnables de porter des accusations? Semble-t-il, au vu du dossier, que l’on aurait pu prendre la décision de procéder à une enquête criminelle?
b) L’ensemble de la conduite des autorités donnait-elle à croire que celles-ci procédaient à une enquête criminelle?
c) Le vérificateur avait-il transféré son dossier et ses documents aux enquêteurs?
d) La conduite du vérificateur donnait-elle à croire qu’il agissait en fait comme un mandataire des enquêteurs?
e) Semble-t-il que les enquêteurs aient eu l’intention d’utiliser le vérificateur comme leur mandataire pour recueillir des éléments de preuve?
f) La preuve recherchée est-elle pertinente quant à la responsabilité générale du contribuable ou, au contraire, uniquement quant à sa responsabilité pénale, comme dans le cas de la preuve de la mens rea?
g) Existe-t-il d’autres circonstances ou facteurs susceptibles d’amener le juge de première instance à conclure que la vérification de la conformité à la loi était en réalité devenue une enquête criminelle?
[34] Les jugements de la Cour suprême dans Jarvis et Ling sont analysés par Stanley Cohen dans son ouvrage Privacy, Crime and Terror: Legal Rights and Security in a Time of Peril:
R. v. Jarvis and R. v. Ling are two Supreme Court of Canada judgments of importance because of their consideration of the distinction between the audit and investigative functions conferred under the Income Tax Act. These cases are of significance because they seek to draw a meaningful line between the compliance aspect (i.e., the audit) and the prosecution component (i.e., criminal investigation) of taxation law and practice. They are also important for the light that they cast on the relationship between regulatory inspections in the compliance context and search and seizure in the context of a criminal investigation.
In the cases the Court clarified when the work of regulatory inspectors /auditors must cease and yield to the labours of criminal investigators. It determined this issue by inquiring whether a crystallization of the adversarial relationship has occurred. Crystallization occurs (i.e., an adversarial relationship exists) when the predominant purpose of an inquiry conducted by inspectors/compliance investigators/auditors is to determine the penal liability of a taxpayer. If crystallization does not occur, there is nothing improper in the continuation of the auditor's investigation before transferring documents or information to criminal investigators for the purposes of an eventual criminal prosecution.
These decisions establish that parallel administrative audits and criminal investigations are permissible and investigators can avail themselves of information obtained pursuant to the audit power prior to the commencement of a criminal investigation. Nothing obtained by means of the audit powers after an investigation has commenced may be made available for use in the investigation, or a subsequent prosecution. The difficulty with this demarcation point is that its effect may be to signal to law enforcement that, so long as no investigation has "commenced", it is free to receive material leads from compliance inspectors/regulators/investigators without the need for a warrant. Thus, the borderline established is less protective of individual privacy interests than might first appear.
The important but narrow point to be observed in these cases appears to be acceptance of this proposition : if a regulatory/administrative enforcement entity is acting bona fide in the course of its mandated activities and comes across evidence of criminality related to the very matters that it is required to investigate for compliance purposes, it may, without the need for further authorization, validly report and pass along such properly acquired information to the police without the need for a separate statutory authority and without the need for a warrant.
(Nous soulignons) (Références omises)
[35] Bien entendu, l'application du cadre d'analyse établi par la Cour suprême n'est pas toujours évidente.
[36] Comme le décrit Graeme M. Mitchell dans un texte où il analyse les arrêts Jarvis et Ling, «[l]e critère de l’objet prédominant n’empêche pas […] de mener parallèlement une enquête criminelle et une vérification administrative»:
The aspect of both Jarvis and Ling that likely will present the greatest challenges for government regulators is the Court's holding that CCRA can continue to conduct "parallel criminal investigations and administrative audits." Practically speaking, even for CCRA there will be exceeding difficult for CCRA to continue to audit a taxpayer for a tax year for which it is also pursuing that taxpayer criminally, unless it assiduously segregated this information from its special investigation and prosecutorial authorities. CCRA may continue to audit a taxpayer for tax years other than those which form the subject of a prosecution, and share any information it gathers with its investigators. However, Jarvis prohibits investigators from relying upon such information in any ongoing prosecution against that taxpayer.
Most provincial bureaucracies, for example, do not possess the resources or employ the personnel available to CCRA. In those contexts, officials often function as both inspectors and investigators and it is difficult at times to ascertain accurately which of these functions they are fulfilling. At the very least, the "predominant purpose test" set down in Jarvis will require government departments to develop specific guidelines for their inspectors/investigators clarifying for them the parameters of a regulatory inspection. Departments will also have to instruct their officials that when they discover evidence pointing to activities to which penal liability might attach, they likely must stop their inspection and seek the assistance of the police or prosecutorial officials. Yet, it remains to be seen whether these initiatives will be sufficient to insure that the integrity of a regulatory investigative scheme is maintened, or whether a more formal institutional separation will be necessary. Jarvis assuredly raises doubts about whether provincial regulators will be able to continue any inspections once an adversarial relationship between a citizen and the provincial department or agency has emerged.
(Références omises)
[37] L'affirmation de Me Mitchell selon laquelle une vérification doit cesser lorsque des motifs raisonnables de croire qu'il peut y avoir eu perpétration d'une infraction méritent toutefois d'être nuancé à la lumière d'un autre passage de Jarvis où la Cour examine cette question:
D’abord, la simple existence de motifs raisonnables de croire qu’il peut y avoir eu perpétration d’une infraction est insuffisante en soi pour conclure que l’objet prédominant d’un examen consiste à établir la responsabilité pénale du contribuable. Même lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner la perpétration d’une infraction, il ne sera pas toujours exact de dire que l’objet prédominant de l’examen est d’établir la responsabilité pénale du contribuable. À cet égard, les tribunaux doivent se garder d’imposer des entraves de nature procédurale aux fonctionnaires; il ne serait pas souhaitable de [TRADUCTION] « forcer la main des autorités réglementaires » en les privant de la possibilité de recourir à des peines administratives moindres chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une conduite plus coupable. Ce point a été exprimé clairement dans l’arrêt McKinlay Transport, précité, p. 648, où le juge Wilson affirme : « Le Ministre doit être capable d’exercer ces [larges] pouvoirs [de surveillance], qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi ». Bien que l’existence de motifs raisonnables constitue en fait une condition nécessaire à la délivrance d’un mandat de perquisition pour mener une enquête criminelle (art. 231.3 de la LIR et 487 du Code criminel) et pourrait, dans certains cas, indiquer que les pouvoirs de vérification ont été utilisés à mauvais escient, cet élément ne suffit pas pour établir que l’ADRC mène une enquête de facto. Dans la plupart des cas, si l’on croit raisonnablement à la présence de tous les éléments d’une infraction, il est probable que le processus d’enquête sera enclenché.
(Nous soulignons)
[38] Comme on peut le constater, la Cour suprême n'affirme pas qu'une vérification doit être abandonnée ou arrêtée lorsqu'elle révèle l'existence de motifs raisonnables de croire qu'il peut y avoir eu perpétration d'une infraction. Toutefois, il est possible, qu'en certaines circonstances, une telle conclusion ait des conséquences sur la conduite future de la vérification ou d'une enquête criminelle en matière fiscale.
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