mardi 20 mai 2014

L'appréciation des délais relativement au droit d’être jugé dans un délai raisonnable

R. c. Camiran, 2013 QCCA 452 (CanLII)


[9]           Dans l'arrêt R. c. Morin1992 CanLII 89 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 771, la Cour suprême du Canada enseigne qu'il faut, pour déterminer si le droit d’être jugé dans un délai raisonnable a été violé, prendre en considération les facteurs suivants :
- la longueur des délais;
- les renonciations aux délais;
- les motifs des délais;
- le préjudice subi par l’accusé; et
- les intérêts que l’al. 11b) de la Charte canadienne vise à protéger.

[11]        La jurisprudence enseigne que les intérêts que l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne) cherchent à protéger sont :
- le droit à la sécurité de la personne, en tentant de diminuer l'anxiété, la préoccupation et la stigmatisation qu'entraîne la participation à des procédures criminelles;
- le droit à la liberté, en cherchant à réduire l'exposition aux restrictions de la liberté qui résulte de l'emprisonnement préalable au procès et des conditions restrictives de liberté sous caution;
- le droit à un procès équitable, en faisant en sorte que les procédures aient lieu pendant que la preuve est disponible et récente, ce qui sert aussi l'intérêt de la collectivité à voir les crimes punis dans les meilleurs délais.

[12]        Quant aux motifs des délais entre le dépôt des accusations et le procès, la jurisprudence les classe généralement en quatre catégories : délais institutionnels, délais inhérents, délais causés par la défense et délais causés par la poursuite. On semble aussi reconnaître une catégorie résiduelle, dite des délais autres.

[13]        Je débute par les délais inhérents aux procédures intentées. Le traitement des dossiers criminels comporte des étapes tels la comparution, le choix d'un avocat, l'audition sur remise en liberté si l'accusé est détenu, la communication de la preuve, la confection, au besoin, de rapports par des experts, le temps de préparation des avocats, etc. Plus le dossier est complexe, plus ces étapes risquent d'être nombreuses et susceptibles d'entraîner des allongements des délais (Morin, précité, 791-792).

[14]        Dans la mesure où ces étapes sont exécutées avec diligence raisonnable, ce genre de délais ne peut justifier un arrêt des procédures puisqu'ils sont inhérents aux procédures engagées.

[15]        Je passe aux délais institutionnels, qui ont été source de beaucoup de décisions depuis l'entrée en vigueur de la Charte canadienne. On entend par un délai institutionnel ou systémique, la période entre le moment où les parties sont prêtes pour une étape et la date où le système peut les entendre en raison de la non-disponibilité immédiate des ressources judiciaires. Si un tel délai est inévitable en pratique, il demeure que le gouvernement a l'obligation constitutionnelle d'attribuer des ressources suffisantes pour prévenir tout délai de cette nature qui serait déraisonnable. Il revient aux tribunaux de s'assurer que cette obligation est remplie adéquatement; ainsi, ils n'accepteront pas, après une certaine période, l'argument des ressources inadéquates pour expliquer le défaut de tenue d'un procès. L'exercice judiciaire en est un, somme toute, d'appréciation du caractère raisonnable de la situation en tenant compte, notamment, du préjudice pour l'accusé, de la situation particulière qui peut prévaloir temporairement dans une région, de la complexité du dossier et du temps de procès requis. Plus le préjudice est grand, plus la période acceptable de délai institutionnel sera courte.

[16]        Dans Morin et R. c. Godin2009 CSC 26 (CanLII), 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3, la Cour suprême mentionne comme acceptable un délai d'attente de 8 à 10 mois pour obtenir un procès en un seul volet devant une cour provinciale, plus 6 à 8 mois pour citation à procès après l'étape d'une enquête préliminaire, pour un total de 14 à 18 mois en pareil cas. Autrement, les tribunaux risquent de conclure que le procès est retardé indûment.

[17]        Il faut aussi tenir compte des délais pouvant découler des actes de la poursuite. Ainsi, si elle demande une remise pour préparer son dossier, fait défaut de communiquer un élément de preuve en sa possession ce qui entraîne une demande de remise par la défense ou fait défaut d'obtenir la preuve criminalistique dans un délai raisonnable, il y a lieu de lui imputer les délais en résultant et non de les considérer comme inhérents. Cette troisième catégorie de délais peut être source de grands préjudices pour la défense et justifier alors un arrêt des procédures, notamment lorsqu'elle s'ajoute à des délais institutionnels importants.

[18]        Par contre, lorsqu'un délai découle d'un acte de l'accusé, il faut en tenir compte dans l'exercice de pondération en ne le comptant pas comme étant à son détriment. C'est le cas, notamment, de l'accusé qui change d'avocat, qui demande une remise pour mieux se préparer, qui opte pour une enquête préliminaire (ce qui ne pourra que reporter la date de tenue du procès), qui choisit de ne pas se prévaloir de la première date disponible, qui réopte ou qui demande un report du procès pour quelque raison que ce soit (ce qui entraînera, vraisemblablement, un nouveau délai institutionnel). Il ne s'agit pas alors de blâmer l'accusé, mais de reconnaître que l'exercice de tels droits est susceptible d'engendrer des délais dont il ne peut ensuite légitimement se plaindre pour demander un arrêt des procédures.

[19]        Reste la cinquième catégorie, appelée les délais autres. On attribue cette étiquette aux délais qui n'entrent pas, à proprement parler, dans ceux décrits précédemment. On donne souvent comme exemple un délibéré d'une longueur inhabituelle pour rendre un jugement causé par une maladie du juge ou son défaut de faire diligence ou encore la récusation d'un juge. En général, ce genre de délai sera au désavantage de l'accusé et imputé à la poursuite (Morin, précité, 800; R. c. Rahey1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588).

[20]        Finalement, s'il est acquis qu'il faut faire preuve d'une grande déférence quant aux conclusions de fait du juge de première instance, il en va autrement de la qualification des délais, comme je le souligne dans R. c. Jean-Jacques, 2012 QCCA 1628 :
[6]        L'intimé prétend que la norme d'intervention applicable en pareille matière fait en sorte que les tribunaux d'appel doivent faire preuve d'une retenue considérable. Il a tort. À cet égard, il convient de citer la Cour d'appel de l'Ontario :
[5]        Second, the respondent’s counsel submitted that the trial judge’s findings are findings of fact deserving of deference, absent palpable or overriding error. I do not agree. In R. v. Chatwell1998 CanLII 3560 (ON CA), (1998), 122 C.C.C. (3d) 162 (Ont. C.A.), appeal to S.C.C. quashed,1998 CanLII 784 (SCC), (1998), 125 C.C.C. (3d) 433 (S.C.C.), this court applied the normal standard of review to the assessment of institutional delay. The court said (at para. 10):
The determination of whether certain factors constitute institutional delay for the purpose of an analysis pursuant to s. 11(b) of the Charter is one which, in our opinion, attracts the normal standard of appellate scrutiny. The adjudication of the s. 11(b) rights of an accused is not akin to the exercise of judicial discretion.
[6]        In R. v. Qureshi 2004 CanLII 40657 (ON CA), (2004), 190 C.C.C. (3d) 453 at para. 27 (Ont. C.A.), Laskin J.A. stated that a trial judge’s accounting of the inherent time requirements is to be reviewed on a standard of correctness. In my view, this applies to the process of assessing the various periods of delay, ascribing legal character to them and allocating them to the various categories set out in R. v. Morin 1992 CanLII 89 (SCC), (1992), 71 C.C.C. (3d) 1 (S.C.C.). For example, whether the Crown had produced documents by a certain date is a question of fact. However, the questions of whether the failure to produce those documents constitutes a failure of the Crown’s duty of disclosure and whether such failure makes the Crown responsible for ensuing delay, involve the application of legal principles.  The questions raised by this appeal primarily involve alleged errors in the way the trial judge accounted for various time periods, which is reviewable on a standard of correctness.

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