R. c. Mellatdoust, 2014 QCCQ 4558 (CanLII)
[69] Le juge des faits détermine la crédibilité et le poids à accorder à la version d’un témoin oculaire. Lorsque l’identification est contestée, tel que dans le présent cas, la jurisprudence enseigne que le juge des faits doit apporter une attention particulière lorsqu’il exerce son pourvoir discrétionnaire.
[70] Les inconstances de la mémoire humaine et son rôle dans l’identification erronée affligent le système judiciaire depuis longtemps. De tous les types de preuve, c’est l’identification par témoin oculaire qui est la plus susceptible d’entraîner une erreur judiciaire. Conscient de cette défaillance, les tribunaux ont été amenés à définir la preuve d’identification comme étant fragile en soi et cette définition est devenue concrètement un principe de droit. Dans l’arrêt R. c. Burke, le juge Sopinka explique ce qui suit :
[52] La jurisprudence regorge de mises en garde contre l'acceptation fortuite d'une preuve d'identification, même lorsque cette identification est faite par confrontation visuelle directe de l'accusé. En raison de l'existence de nombreux cas où l'identification s'est révélée erronée, le juge des faits doit être conscient des [TRADUCTION] «faiblesses inhérentes de la preuve d'identification qui découlent de la réalité psychologique selon laquelle l'observation et la mémoire humaines ne sont pas fiables»: R. c. Sutton, 1969 CanLII 497 (ON CA), [1970] 2 O.R. 358 (C.A.), à la p. 368. Dans R. c. Spatola, 1970 CanLII 390 (ON CA), [1970] 3 O.R. 74 (C.A.), le juge Laskin (plus tard Juge en chef de notre Cour) fait observer ce qui suit au sujet de la preuve d'identification (à la p. 82):
[TRADUCTION] Les erreurs de reconnaissance ont un long passé documenté. Les expériences en matière d'identification ont fait ressortir la fragilité de la mémoire et la faillibilité des pouvoirs d'observation. Des études ont démontré l'assurance qui se bâtit progressivement à partir d'une identification initiale qui peut être erronée [. . .] La question même de l'admissibilité de la preuve d'identification, sous certains de ses aspects, a généré suffisamment de crainte dans certains ressorts pour qu'onhésite avant de s'en remettre aveuglément à une telle preuve, lorsqu'elle est admise, pour prononcer une déclaration de culpabilité . . . [Je souligne.]
[71] Tel que la juge Charron (alors juge de la Cour d’appel de l’Ontario) le stipule dans R. v. Miaponoose, (Ont. C.A.) : « [e]yewitness testimony is in effect opinion evidence, the basis of which is very difficult to assess ». L’opinion d’un témoin oculaire quant à l’identification d’un suspect est seulement valable dans la mesure où ce témoin est capable de faire référence à des faits perceptibles relatifs à l’apparence du suspect. La valeur accordée au témoignage d’un témoin oculaire doit être évaluée et analysée en prenant en compte les divers facteurs psychologiques et physiologiques qui ont menés le témoin à identifier le suspect.
[72] Dans R. v. Gonsalves, le juge Hill de la Cour supérieure de l’Ontario, effectue une revue jurisprudentielle des questions que le juge des faits doit se poser lorsqu’il est face à un témoin oculaire d’une identification contestée, à savoir :
[39] Our experience with eyewitness identification evidence has taught us to use discriminating scrutiny for badges of unreliability. Judicially created checklists, based on long experience with the inherent dangers of eyewitness identification evidence, assist in assessment of the circumstances of a specific identification: The Queen v. Nikolovski, at 409, 412; Mezzo v. The Queen, at 129-132 perWilson J. Was the suspect a complete stranger or known to the witness? Was the opportunity to see the suspect a fleeting glimpse or something more substantial? (a fleeting glance of a suspect by an eyewitness is generally unsatisfactory: R. v. Carpenter, [1998] O.J. No. 1819 (C.A.) at para. 1). Was the setting in the darkness of night or in well-illuminated conditions? Was the sighting by the witness in circumstances of stress (R. v. Nikolovski, at 412, 418; R. v. Francis, [2002] O.J. No. 4010 (C.A.) at para. 4)? Did the witness commit the description to writing or report the description to the police in a timely way? Is the witness' description general, generic or vague or is there a description of detail including distinctive features of the suspect and his or her clothing (R. v. Ellis, [2008] O.J. No. 361 (C.A.) at para. 5, 8; R. v. F.A., at para. 64; R. v. Richards, at para. 9)? Were there intervening circumstances, capable of tainting or contaminating the independence of the identification, between the witness' initial sighting of the suspect and the rendering of the descriptive account to the police or the court? Has the witness described a distinguishing feature of the suspect not shared by the accused or conversely has the witness' description of the suspect failed to include mention of a distinctive feature of the accused? Is the eyewitness identification unconfirmed?
[73] Le juge des faits doit, de plus, demeurer sceptique quant à une identification oculaire d’un suspect devant le tribunal. L’identification devant un tribunal a depuis longtemps été reconnue étant la forme la plus fragile de l’identification. Tel que souligné par la Cour suprême dans l’arrêt R.v. Hibbert, l’importance attribuée à l’identification à la cour d’un suspect est limitée à trois éléments. D’abord, cela confirme que le témoin croit que l’accusé est l’individu qu’il/elle a vu pendant toute la succession des événements de l’acte lui-même jusqu’à l’intervention policière. Comme telle, l’identification n’a presqu’aucune valeur. Deuxièmement, l’incapacité d’un témoin à identifier un suspect comme étant l’auteur du crime peut induire en erreur le juge des faits et l’inciter à déduire une conclusion défavorable injustifiée. Troisièmement, l’incapacité à identifier un suspect à la cour devrait peser dans la balance en faveur de la défense.
[74] Notre collègue le juge Poulin, dans R. v. Haywood, déclare que les constatations de preuve circonstancielles peuvent être utiles à éliminer plusieurs dangers inhérents à la preuve d’identification d’un témoin oculaire. Cependant, dans certains cas où la preuve d’identification est sans fondement ni preuve circonstancielle, la fragilité de la preuve ne peut justifier une condamnation basée sur le principe de base du doute raisonnable.
[75] Quant à la preuve par bande vidéo, si son exactitude ou sa continuité n’est pas contestée, elle peut apporter une preuve forte d’identification de l’accusé. Le tout dépend, bien entendu, de la qualité des images.
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