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[20] Comme il a été mentionné dans l'arrêt R. c. Bjelland «Avant d'avoir droit à une réparation en vertu de l'article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, la partie qui la demande doit prouver une violation de ses droits garantie par celle-ci.»
[21] Le requérant a déjà fait cette démonstration. Il lui est donc possible de demander une réparation aux termes de l'article 24(1) de la Charte.
[22] Cet article se lit comme suit :
«24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.»
[23] La réparation ultime recherchée aux termes de l'article 24(1) de la Charte est l'arrêt des procédures ou l'avortement de procès.
[24] Dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas ce que recherche le requérant à titre de réparation. Il demande plutôt que la poursuite soit condamnée aux Frais et honoraires extrajudiciaires engagés par lui afin d'obtenir une divulgation complète de la preuve.
[25] Dans l'arrêt R. c. 974649 Ontario Inc., la juge en chef McLachlin indique que :
«Puisque le défaut de communiquer un élément de preuve en temps utile avant le procès justifie rarement l'arrêt des procédures, lorsque le tribunal peut préserver l'équité du procès au moyen d'une ordonnance de communication, le fait de refuser au tribunal des infractions provinciales le pouvoir d'ordonner le paiement de dépens pourrait le priver de la seule réparation efficace lui permettant de faire respecter sa procédure et de tenir compte du préjudice causé, même dans les affaires où on a fait fi de manière flagrante et injustifiée des droits de l'accusé».
[26] Le juge Marc David de la Cour supérieure a, dans la décision de Alexandre c. R, eu à se prononcer sur les conditions d'octroi de ce genre de réparation lors de violation du droit à la divulgation de la preuve.
[27] Il faut mentionner que le juge David, avant de se prononcer sur cette question de condamnation aux dépens comme autre réparation possible, avait eu à statuer sur une demande d'arrêt des procédures et avortement de procès qu'il a rejetée.
[28] Le juge David dans sa décision a fait une revue détaillée de la jurisprudence et des principes applicables en l'espèce. Voici les passages que le tribunal considère pertinents :
«[132] La Cour suprême du Canada reconnaît l'utilité et la justesse d'une réparation constitutionnelle sous forme de condamnation aux dépens en matière de non-divulgation de la preuve :
« Au cours des dernières années, la condamnation aux dépens a pris une place plus importante en tant que réparation efficace dans les affaires criminelles; en particulier, elle est devenue une mesure cruciale en vue d’assurer le respect des normes de communication de la preuve établies par notre Cour dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC),[1991] 3 R.C.S. 326 . Voir, par exemple : Pawlowski, précité; Pang, précité; R. c. Regan (1999), 1999 CanLII 7242 (NS CA),137 C.C.C. (3d) 449 (C.A.N.-É.).
Bien qu’elle comporte un aspect indemnitaire, une telle réparation est intimement liée à la maîtrise que le tribunal exerce sur sa procédure et elle se veut un moyen de sanctionner et de décourager les cas flagrants et injustifiés de non-communication de la preuve. »
(Nos soulignés)
[133] La juge en chef McLachlin précise que :« Il n’y a pas non plus la moindre indication que la Couronne sera condamnée aux dépens d’une manière inéquitable ou arbitraire. Les avocats de la Couronne ne sont pas tenus à la perfection et les dépens ne seront pas accordés à chaque omission de communiquer la preuve en temps opportun. Au contraire, la jurisprudence qui s’établit à cet égard limite systématiquement l’octroi des dépens aux dérogations marquées et inacceptables par la poursuite aux normes raisonnables qu’on s’attend qu’elle respecte. »
(Nos soulignés)
[134] La Cour d'appel du Québec ajoute qu'il n'est pas nécessaire de démontrer la malveillance ou le but illégitime dans le comportement fautif du ministère public. Une conduite délibérée et inexcusable peut constituer une dérogation marquée et inacceptable aux normes raisonnables que doit respecter le poursuivant
[135] La sanction d'un manquement délibéré, inexcusable, flagrant et injustifié d'une non-communication de preuve est, en partie, une reconnaissance que la divulgation complète de la preuve est une composante essentielle d'un procès juste et équitable. C'est aussi la reconnaissance que notre système de divulgation de la preuve est tributaire de l'intégrité de la police et des procureurs de la poursuite.
[136] Il est utile de rappeler les paroles du juge Sopinka à ce sujet :
« Du fait de l'obligation lui incombant de divulguer toute preuve pertinente et non privilégiée, qu'elle soit favorable ou défavorable à l'accusé, le ministère public doit faire preuve de la plus grande bonne foi en déterminant quels renseignements communiquer et en veillant à ce que cette communication se fasse de façon suivie. L'omission de s'acquitter de cette obligation initiale et permanente de divulguer toute preuve pertinente et non privilégiée peut aboutir à un arrêt des procédures ou autre réparation, et peut constituer un manquement grave aux normes éthiques. En ce qui concerne ce dernier point, il faut nécessairement se fier dans une large mesure à l'intégrité de la police et des avocats de la poursuite, de qui on attend une conduite témoignant de la plus grande bonne foi. C'est la raison pour laquelle tout écart par rapport à cette lourde obligation est traité comme un manquement très grave à la déontologie. »
(Nos soulignés)
[139] Exceptionnellement, les tribunaux reconnaissent qu'il peut exister des motifs valables pour protéger les renseignements[81]. La protection d'une enquête en cours et l'existence d'un privilège d'intérêt public sont des exemples bien connus. Parfois, il convient de retarder une divulgation pour protéger une enquête en cours[82] et parfois il convient plutôt de caviarder certains renseignements pour préserver un contenu confidentiel.
[141] Malgré l'existence d'un motif légal pour ne pas divulguer un renseignement, il faut malgré tout dévoiler la non-divulgation.
[142] La décision du ministère public de ne pas divulguer un renseignement pertinent est toujours soumise à l'autorité des tribunaux. La défense est en droit de demander à l'autorité judiciaire de réviser la décision du ministère public de ne pas divulguer un renseignement. Or, comment ce contrôle judiciaire peut-il s'exercer si la défense ignore l'existence même de l'information ou de la décision de ne pas lui communiquer un renseignement pertinent?
[143] L'arrêt Chapelstone de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick dicte la conduite attendue du ministère public lorsqu'il refuse la divulgation d'un renseignement pertinent :
« The Crown's duty to disclose information in its possession, including confidential documents obtained from third parties, is triggered when the accused makes a request for disclosure. In such circumstances, the Crown is required to provide an itemized inventory of the information in its possession, identifying those items it intends to disclose and those which it does not. With respect to those items that fall within the latter group, the Crown must state the grounds on which it is resisting disclosure. Specifically, the Crown should state the applicable legal test for deciding the disclosure issue (e.g., relevance). As well, each item must be described as to its nature with sufficient detail that opposing counsel will be able to make a reasoned decision as to whether or not to seek production or disclosure. The inventory list may also serve another useful purpose. If the refusal is challenged on motion, the list will permit the trial judge to ascertain whether production or disclosure will be necessary (e.g., solicitor-client communications discussed below).
Production/disclosure motions should generally be supported by affidavit evidence unless, for example, the motion is made during the trial. This explains why the inventory list to be prepared by the Crown is so important. It enables the accused to respond, by way of affidavit, to the Crown's reasons for refusing to produce documents or disclose specific information. Moreover, the accused's affidavit should articulate the reasons underscoring the need for disclosure or production of information within the Crown's possession (e.g. innocence-at-stake exception to the rule against disclosure of privileged communications). »
(Nos soulignés)»
[29] Voici ce qui ce que le tribunal retient plus particulièrement de ces propos. L'octroi de dépens est limité aux cas où la non-divulgation de la preuve résulte de dérogations marquées et inacceptables par la poursuite aux normes raisonnables qu'elle doit respecter. Une conduite délibérée et inexcusable constitue une dérogation marquée et inacceptable aux normes raisonnables que doit respecter le poursuivant.
[30] La Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. c. Leboeuf reprend les propos du juge de première instance, sur le rôle particulier du substitut du procureur général en ce qui concerne son obligation de divulguer la preuve. Il s'exprime ainsi :
[39] Monsieur le juge LeBel rappelle aussi, dans l’arrêt Regan, le rôle particulier du substitut du procureur général. Il s’exprime ainsi :
Le concept fondamental du rôle de « représentant de la justice » dévolu au ministère public découle de l’arrêt de notre Cour Boucher c. The Queen, 1954 CanLII 3 (SCC), [1955] R.C.S. 16. Le juge Rand en a alors donné la description suivante aux p. 23-24 :
[TRADUCTION] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de voir à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés : ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle. […]
La nécessité d’une séparation entre les fonctions de la police et celles du ministère public a été réaffirmée à nombre d’occasions dans des rapports d’enquêtes sur des erreurs judiciaires qui ont entraîné l’emprisonnement d’innocents au Canada. Le rapport de la Royal Commission on the Donald Marshall, Jr., Prosecution, vol. 1, Findings and Recommendations (1989) (le « Rapport Marshall ») décrit les responsabilités du ministère public dans les termes suivants : [TRADUCTION] « En plus de devoir répondre de l’accom-plissement de leurs devoirs devant le procureur général, les procureurs de la Couronne doivent répondre de leurs actes devant les tribunaux et le public. En ce sens, le procureur de la Couronne occupe une fonction qui a été quelquefois qualifiée de quasi judiciaire, une position unique au sein de notre tradition anglo-canadienne » (p. 227-228). Le Rapport Marshall souligne le fait que ce rôle doit demeurer distinct (bien que marqué par un esprit de collaboration) de celui de la police (à la p. 232) :
[TRADUCTION] Nous reconnaissons qu’une consultation marquée par la coopération et l’efficacité entre la police et le ministère public est aussi essentielle à la bonne administration de la justice. Toutefois, dans notre système, la fonction policière – la fonction d’enquête et d’application de la loi – est distincte de la fonction de poursuivant. Nous croyons que le maintien d’une ligne de démarcation nette entre ces deux fonctions est essentiel à la bonne administration de la justice.
[40] La tâche n’est donc pas facile et elle impose le respect d’une éthique au-dessus de tout soupçon en ce qui concerne l’obligation de divulguer. La situation qui nous est présentée démontre, malheureusement, une option contraire. Le processus judiciaire doit être le lieu d’une intégrité à toute épreuve. Il en va de même de chacune de ses composantes..»
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