Branconnier c. R., 2017 QCCA 116
[26] Une déclaration faite par un accusé à un policier ou à une personne en situation d’autorité n’est admissible en preuve que dans la mesure où elle est libre et volontaire. Ce principe de common law est par surcroît protégé à la Charte canadienne des droits et libertés[6], bien qu’il ne faille pas conclure, pour autant, que la règle des confessions doit être confondue avec les garanties offertes par la Charte, comme l’a expliqué la Cour suprême, sous la plume du juge Iacobucci pour la majorité, dans l’arrêt Oickle :
31 Ces différences illustrent bien le fait que la Charte n’englobe pas exhaustivement tous les droits. Au contraire, elle représente le strict minimum que le droit doit respecter. Le corollaire nécessaire de cette affirmation est que le droit peut établir, soit au moyen de dispositions législatives ou de règles de common law, d’autres garanties que celles prévues par la Charte. La règle des confessions de la common law constitue un tel principe, et il serait erroné de le confondre avec les garanties offertes par la Charte. Bien qu’il puisse certes être approprié, comme l’a fait notre Cour dans Hebert, précité, d’interpréter un ensemble de droits au regard de l’autre, il serait erroné de présumer que l’un de ces ensembles subsume entièrement l’autre[7].
[27] La règle des confessions tire son origine de l’arrêt Ibrahim[8] dans lequel le Conseil privé enseigne qu’il revient à la poursuite de démontrer hors de tout doute raisonnable que la déclaration extrajudiciaire de l’accusé « n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensé ou promis par une personne ayant autorité »[9].
[28] Cette règle a été reprise et enrichie par la Cour suprême[10]. Plus récemment, dans l’arrêt Oickle, auquel je référais ci-haut, la Cour suprême, après avoir revu la jurisprudence pertinente, estime nécessaire de reformuler la règle :
68 Bien que ce qui précède puisse sembler indiquer que la règle des confessions comporte toute une panoplie de facteurs et critères, l’idée de base est en réalité assez simple. Premièrement, comme le souci premier du système de justice pénale est d’éviter qu’un innocent soit déclaré coupable, une confession ne sera pas jugée admissible si elle a été faite dans des circonstances qui soulèvent un doute raisonnable quant à son caractère volontaire. Tant la règle étroite traditionnelle qui a été énoncée dans l’arrêt Ibrahim que la théorie de l’oppression reconnaissent ce danger. Si les policiers qui mènent l’interrogatoire soumettent le suspect à des conditions tout à fait intolérables ou s’ils lui donnent des encouragements assez importants pour qu’il fasse une confession non fiable, le juge du procès doit écarter cette confession. Entre ces deux extrêmes, l’existence d’une combinaison de conditions oppressives et d’encouragements peut également avoir pour effet d’entraîner l’exclusion d’une confession. Le juge du procès doit, lorsqu’il rend sa décision, tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles la confession a été faite.
69 […] Le caractère volontaire est la pierre d’assise de la règle des confessions. Qu’il ait été question de menaces ou de promesses, de l’absence d’un état d’esprit conscient ou encore de ruses policières qui privent injustement l’accusé de son droit de garder le silence, la jurisprudence de notre Cour a invariablement protégé l’accusé contre l’admission en preuve d’une confession non volontaire. Si la confession est involontaire pour l’une ou l’autre de ces raisons, elle est inadmissible.
[…]
71 Encore une fois, je tiens à souligner que l’analyse qui doit être faite en application de la règle des confessions est une analyse contextuelle. […] Les tribunaux doivent plutôt s’efforcer de bien comprendre les circonstances de la confession et se demander si elles soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession, en tenant compte de tous les aspects de la règle que j’ai déjà analysés plus tôt. En conséquence, un encouragement relativement faible, tels un mouchoir pour s’essuyer le nez ou des vêtements chauds, peut constituer un encouragement inadmissible si le suspect est privé de sommeil, de chauffage et de vêtements pendant plusieurs heures en plein milieu de la nuit durant un interrogatoire […] Par contre, dans les cas où le suspect est traité convenablement, il faudra un encouragement plus fort pour que la confession soit jugée involontaire. Si le tribunal de première instance examine comme il se doit toutes les circonstances pertinentes, une conclusion à l’égard du caractère volontaire est essentiellement de nature factuelle et ne doit être infirmée que si « e juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits » […].[11]
[Soulignement ajouté]
[29] Plus particulièrement en ce qui concerne l’usage de ruses policières, la Cour suprême aura rappelé, au préalable :
65 Le dernier élément dont il faut tenir compte pour déterminer si une confession est volontaire ou non est la question de savoir si les policiers ont utilisé des ruses en vue d’obtenir la confession. Contrairement aux théories qui ont fait l’objet des trois dernières rubriques, cette théorie établit une analyse distincte. Bien qu’elle soit elle aussi liée au caractère volontaire, elle vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice pénale. Cette analyse a été introduite par le juge Lamer, dans les motifs concordants qu’il a exposés dans l’arrêt Rothman, précité. Dans cette affaire, la Cour a admis la déclaration qu’avait faite le suspect à un policier en civil qui partageait sa cellule. Dans ses motifs, le juge Lamer a souligné que la fiabilité n’était pas le seul aspect auquel s’attache la règle des confessions, car autrement la règle ne s’intéresserait pas à la question de savoir si l’encouragement a été donné par une personne en situation d’autorité. Il a résumé ainsi l’approche qu’il convient d’appliquer, à la p. 691 :
[A]vant de permettre au juge des faits d’en examiner la valeur probante, une déclaration doit être soumise au voir dire en vue d’établir non pas si la déclaration est digne de foi, mais si les autorités ont fait ou dit une chose qui ait pu amener l’accusé à faire une déclaration qui soit ou qui puisse être fausse. Il importe au plus haut point de se rappeler que l’enquête ne porte pas sur la fiabilité, mais sur la conduite des autorités relativement à la fiabilité.
66 Le juge Lamer s’est également empressé de souligner que les tribunaux doivent se garder de ne pas limiter indûment le pouvoir discrétionnaire des policiers (à la p. 697) :
[U]ne enquête en matière criminelle et la recherche des criminels ne sont pas un jeu qui doive obéir aux règles du marquis de Queensbury. Les autorités, qui ont affaire à des criminels rusés et souvent sophistiqués, doivent parfois user d’artifices et d’autres formes de supercherie, et ne devraient pas être entravées dans leur travail par l’application de la règle. Ce qu’il faut réprimer avec vigueur, c’est, de leur part, une conduite qui choque la collectivité[12]. [Je souligne.]
À titre d’exemples de comportement susceptibles de « choquer la collectivité », le juge Lamer a mentionné un policier qui soit se ferait passer pour un aumônier ou un avocat de l’aide juridique, soit donnerait une injection de penthotal à un suspect diabétique en prétendant lui administrer de l’insuline. L’analyse du juge Lamer sur ce point a été adoptée par notre Cour dans l’arrêt Collins, précité, […]
67 Dans l’arrêt Hebert, précité, notre Cour a renversé le résultat de l’arrêt Rothman en se fondant sur le droit au silence garanti par la Charte. Toutefois, je n’estime pas que cela rende inutile la règle du « choc de la collectivité ». Il peut survenir des situations où, quoique la ruse utilisée par les policiers ne porte pas atteinte au droit au silence ni ne mine le caractère volontaire de la confession comme tel, elle soit si odieuse qu’elle choque la collectivité. Je suis donc d’avis que le critère énoncé par le juge Lamer dans Rothman et adopté par notre Cour dans Collins demeure un élément important de la règle des confessions.
[Références omises]
[30] L’auteur Yanick Laramée mentionne que « la nouvelle règle élargie fait appel à l’état d’esprit conscient au sens de l’arrêt Whittle », afin de déterminer si « les policiers ont subjugué la volonté de l’accusé »[13].
[33] Le juge note également que « l’écoute de l’interrogatoire vidéo démontre que l’exercice fut tenu dans une atmosphère sereine, sans qu’Yvan Branconnier ne soit soumis à quelque forme d’oppression que ce soit »[15], que la volonté de l’appelant n’a pas été subjuguée par la ruse employée[16] et que la conduite du policier « n’est certainement pas de nature à choquer la collectivité »[17].
[34] Mentionnons que l’appelant n’invoque plus d’emblée, devant la Cour, le caractère choquant de la ruse, mais affirme plutôt que celle-ci, jumelée à des promesses et menaces, l’a « amené…à faire une confession »[18]. Il y a là une certaine confusion puisque la Cour suprême précise dans Oickle, et plus récemment dans Spencer, que la théorie des ruses policières « établit une analyse distincte », soit de savoir si le subterfuge est de nature à choquer la collectivité[19]. Il est vrai que, dans Oickle, la Cour suprême a aussi précisé que le subterfuge peut aussi être analysé en lien avec l’oppression, mais il n’y a rien de tel ici.
[35] À mon avis, le juge s’est bien dirigé en fait et en droit en concluant qu’il ne s’agissait pas d’une ruse répréhensible et choquante. Bien qu’elle eût un effet sur l’appelant, elle n’était pas de nature à subjuguer sa volonté. L’interrogatoire s’est déroulé calmement, l’appelant confirmant sa présence sur les lieux du crime à son retour d’une pause, tel qu’il appert de l’écoute de l’enregistrement vidéo mis en preuve.
[36] En somme, la ruse utilisée ne porte pas atteinte à l’intégrité du système de justice pénale. Les autorités n’ont jamais « fait ou dit une chose qui ait pu amener l’accusé à faire une déclaration qui soit ou qui puisse être fausse »[20]. Elle n’a pas le caractère odieux requis pour justifier l’intervention des tribunaux. Au surplus, l’appelant ne pointe pas une erreur manifeste et déterminante du premier juge en regard de ces déterminations essentiellement factuelles. Sous ce rapport, l’appelant ne soulève donc pas un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la déclaration.
[38] Il va de soi que la « crainte d’un préjudice » ou « l’espoir d’un avantage » sont de nature à entacher le caractère libre et volontaire d’une déclaration. Ce sera le cas, par exemple, lorsque l’on promet à la personne interrogée une réduction de la peine ou une plus grande clémence de la part du tribunal, comme le précise la Cour suprême dans Oickle :
[…] L’exemple classique d’« espoir d’un avantage » est la perspective de clémence de la part du tribunal. Il est inacceptable qu’une personne en situation d’autorité laisse entendre à un suspect qu’elle fera des démarches pour obtenir une réduction de l’accusation ou de la peine si le suspect fait une confession. En conséquence, dans l’arrêt Nugent, précité, la cour a écarté la déclaration d’un suspect à qui l’on avait dit que, s’il faisait une confession, il serait accusé d’homicide involontaire coupable au lieu de meurtre. […] Aussi peu plausible que cela puisse intuitivement sembler, tant la jurisprudence que la doctrine confirment que la pression découlant d’un interrogatoire intense et prolongé peut convaincre un suspect que personne ne croira ses protestations d’innocence et qu’il sera inévitablement déclaré coupable. Dans de telles circonstances, faire miroiter à un suspect la possibilité d’une réduction de l’accusation ou de la peine en échange d’une confession soulèverait un doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’aveu qui s’ensuivrait. […][21]
[Soulignement ajouté – Références omises]
[39] Dans l’arrêt Spencer, la Cour suprême explique que l’analyse doit porter sur l’effet qu’a eu la promesse sur l’accusé et non simplement sur la nature de celle-ci :
[…] De plus, ce n’est pas la contrepartie, mais plutôt le caractère volontaire, qui occupe le « premier plan » — c’est l’objet déterminant de l’enquête, et il ne faudrait pas l’oublier dans l’analyse. Comme je l’ai mentionné, si l’offre d’une contrepartie peut établir l’existence d’une menace ou d’une promesse, c’est l’importance accordée à ce soi-disant encouragement qu’il faut prendre en considération dans l’examen contextuel global du caractère volontaire. [22]
[Soulignement ajouté]
[40] Récemment, la Cour d’appel du Manitoba s’est penchée sur une affaire qui présente des affinités avec la nôtre[23]. À l’occasion de l’interrogatoire d’un prévenu, l’intimé Coaster arrêté pour meurtre, les policiers affirment qu’ils ne savent pas quelles accusations seront portées contre lui. On lui mentionne que « which charge he faced could make a “big difference” in terms of when he would get out of jail »[24]. Les policiers ajoutent qu’il lui revient de définir son rôle face à l’inévitable : « Now is your chance, Charles, help yourself out »[25].
[41] Or, la Cour d’appel du Manitoba conclut que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en déclarant admissibles en preuve les aveux de l’accusé, compte tenu de sa maturité, de sa bonne connaissance du système judiciaire et des interrogatoires, du fait qu’il était calme et en contrôle et, enfin, de l’absence d’oppression de la part des policiers :
[24] While the officers did not provide misinformation to the appellant during the interrogation, I agree with the appellant that some of the officers’ comments involved risky language to the effect of “it will be better if you told the truth.” However, as the judge properly noted in her reasons, such language does not lead to automatic exclusion; context is the controlling consideration (Oickle at para. 54).
[…]
[26] It is conceded that the appellant was treated properly by the police; there was an absence of oppressive circumstances. In such a case, a strong inducement would be necessary to render his confession involuntary (Oickle at paras. 71, 87).
[27] While an implicit offer of lenient treatment and the possibility of a reduced charge may not have the same impact as an explicit offer of leniency, particularly in a situation such as this where the officers repeatedly made it clear that the Crown Attorney, not them, would decide the appellant’s charge, such an inducement is still, in my view, a significant one because, “[t]he classic ‘hope of advantage’ is the prospect of leniency from the courts” (Oickle at para. 49).
[28] That said, despite the strength of such an inducement, the judge concluded, based on her evaluation of the video-recording of the statement and the evidence on the voir dire from the officers and the appellant, that the appellant was quite capable of resisting the officers’ pressure. She found that the police tactics had no “coercive effect” on him (at para. 29). In my view, that finding was open to the judge. [26]
[Soulignement ajouté]
[42] Ces constats valent tout autant en l’espèce.
[43] Il est bon de reproduire ici l’avertissement donné par l’enquêteur et auquel se réfère le juge au paragraphe 105 de son jugement, sans cependant le reproduire :
N.L. | […] Parce que nous autre, notre travail, c’est juste d’amener le dossier à la cour. C’est pas moi qui va décider si vous êtes coupables ou pas. C’est pas moi, il y a un juge pour ça. Les policiers, on ramasse les éléments de preuve, on amène ça devant un procureur; lui, il juge s’il en a assez pour porter des accusations. Après ça, il amène ça à la cour puis ils vont juger s’il y a assez d’éléments pour aller en procès. […] Il y a un jury ou juge qui va prendre la décision. Ça fait que moi, mon travail, c’est ça. |
[44] À 16 h 28, l’appelant passe aux aveux.
[45] Le juge de première instance considère qu’il n’y a, d’une part, aucune promesse faite à l’appelant et que, d’autre part, les propos reprochés n’ont pas influencé sa décision de passer aux aveux, à la suite de ce qui a été qualifié de « ruse policière ». Il s’écoule plus d’une heure entre les « menaces ou promesses » alléguées et l’aveu de l’appelant. L’interrogatoire s’est déroulé dans une atmosphère sereine. L’appelant ne fait pas voir en quoi ces déterminations, qui découlent d’une analyse contextuelle de l’interrogatoire du 16 juin 2011, sont entachées d’une erreur manifeste et déterminante.
[46] Dès lors, la preuve administrée au stade du voir-dire ne soulevait pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’aveu fait par l’appelant. Les commentaires de l’enquêteur n’étaient pas de nature à subjuguer la volonté de l’appelant.
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