Tshitenge Masuku c. R., 2017 QCCA 1641
[27] La déclaration extrajudiciaire d’un accusé à un policier ou une personne en situation d’autorité n’est admissible que dans la mesure où la poursuite établit hors de tout doute raisonnable qu’elle a été faite de manière libre et volontaire[6]. Cette question doit être évaluée de manière contextuelle[7].
[28] L’analyse du caractère libre et volontaire d’une déclaration faite à une personne en autorité tient compte des facteurs suivants[8] :
a) Les menaces ou promesses;
b) L’oppression;
c) L’état d’esprit conscient;
d) Les ruses policières.
[29] Alors que les trois premiers facteurs doivent être étudiés globalement dans le cadre de l’examen du caractère libre et volontaire, le quatrième fait l’objet d’une analyse distincte qui « vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice »[9].
a) Les menaces ou promesses
[30] Les déclarations extrajudiciaires à une personne en autorité sont inadmissibles si elles ont été obtenues « par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage», par exemple la perspective de clémence de la part du tribunal, qu’il s’agisse du retrait de certaines accusations ou d’une réduction de peine[10].
[31] L’appelant mentionne au cours de l’interrogatoire ne pas se sentir menacé au poste de police. Le juge détermine que le détective Laplante ne fait pas de promesse ou de menace lors de l’interrogatoire, ce que l’appelant ne conteste pas dans le cadre du présent appel.
[32] Il n’y a donc pas matière à intervention sur ce point.
b) L’oppression
[33] Comme l’indique la Cour suprême dans R. c. Oickle, « [s]i les policiers créent des conditions suffisamment désagréables, il n’y a rien d’étonnant à ce que le suspect fasse une fausse confession induite par stress pour échapper à ces conditions »[11].
[34] Ces conditions attentatoires peuvent notamment comprendre : « le fait de priver le suspect de nourriture, de vêtements, d’eau, de sommeil ou de soins médicaux, de lui refuser l’accès à un avocat et de l’interroger de façon excessivement agressive pendant une période prolongée »[12].
[35] La Cour cite un exemple d’oppression[13] où le suspect se fait retirer ses vêtements aux fins d’analyses médico-légales et reste nu dans sa cellule froide ne contenant qu’une couchette en métal si froide qu’il doit se tenir debout. On lui fournit ensuite des vêtements légers, sans sous-vêtements, et des souliers de la mauvaise grandeur. L’accusé est réveillé pour son interrogatoire, durant lequel il s’endort au moins à cinq reprises. Ses demandes pour des vêtements restent vaines[14].
[36] Selon la Cour, « [q]uoiqu’il ait reconnu qu’il savait qu’il n’était pas tenu de dire quoi que ce soit et que les agents ne lui avaient pas explicitement fait de menace ni de promesse, il espérait qu’en parlant aux policiers ceux-ci lui donneraient des vêtements chauds et mettraient fin à l’interrogatoire »[15].
[37] Les circonstances de l’interrogatoire de l’appelant sont nettement différentes.
[38] Le juge de première instance remarque que le détective est courtois et que l’atmosphère est cordiale et détendue. L’appelant semble confortable et même soulagé lorsqu’il fait la narration des événements.
[39] Le détective permet à l’appelant de boire et de se réchauffer en lui donnant un vêtement. La durée de l’interrogatoire est raisonnable. Même s’il semble fatigué, l’appelant ne pleure pas et ne s’effondre pas émotionnellement pendant l’interrogatoire.
[40] L’appelant a la chance de dormir quelques heures. Il se fait réveiller le matin pour son interrogatoire et non pas au milieu de la nuit. Si l’appelant a peu dormi les nuits précédentes, les policiers ne peuvent en être tenus responsables. D’ailleurs, l’appelant se livre lui-même, durant la nuit, vers 2 h 35.
[41] Comme le note le juge, les questions du détective Lafrance, « bien que persistantes et souvent accusatrices, ne sont jamais hostiles, agressives ou intimidantes »[16].
[42] Le juge tient donc compte de l’état de l’appelant lors de son interrogatoire et de tous les éléments contextuels pertinents. Il conclut à l’absence d’un climat d’oppression.
[43] L’appelant ne démontre donc pas d’erreur manifeste et déterminante.
c) L’esprit conscient
[44] Pour qu’une déclaration soit jugée libre et volontaire, l’accusé doit avoir la capacité cognitive suffisante pour comprendre les conséquences de ses actions et que sa déposition pourra être utilisée dans des procédures engagées contre lui[17].
[45] L’appelant ne plaide pas que ses déclarations incriminantes étaient involontaires en raison de sa condition ou de son état[18]. Il suggère que son état général fait en sorte que l’on ne peut affirmer hors de tout doute raisonnable qu’il avait l’esprit conscient.
[46] Contrairement à ce qu’affirme l’appelant, le policier qui l’arrête à son arrivée au poste indique qu’il ne semble pas être intoxiqué. Le juge retient la version des policiers. Il s’agit d’une pure question d’évaluation de la preuve et de la crédibilité des témoins qui ne peut justifier l’intervention de cette Cour.
[47] Quant à l’état de fatigue de l’appelant, le détective Lafrance mentionne que même s’il bâillait, il ne semble pas souffrir de fatigue extrême.
[48] L’appelant ne se sentait pas suffisamment bien pour manger sans vomir. Ceci ne peut suffire à soulever un doute raisonnable selon lequel il n’avait pas l’esprit conscient requis pour faire la déclaration.
[49] Le juge considère attentivement ces éléments factuels et conclut que la déclaration de l’appelant est libre est volontaire.
[50] Il n’y a donc pas matière à intervention sur ce point.
d) Les ruses policières
[51] Les policiers qui cherchent à résoudre des crimes graves et qui ont à traiter, dans certains cas, avec des criminels endurcis et sophistiqués, doivent avoir la latitude nécessaire pour user de techniques d’enquête et d’interrogatoire leur permettant d’accomplir leur mandat dans un objectif de protection du public[19].
[52] Ils ne doivent cependant pas recourir à des ruses ou stratagèmes qui pourraient choquer la collectivité pour extorquer des confessions[20].
[53] Il s’agit de vérifier « si les autorités ont fait ou dit une chose qui aurait pu amener l’accusé à faire une déclaration qui soit ou qui puisse être fausse »[21], ou que la ruse utilisée par les autorités soit « si odieuse qu’elle choque la collectivité »[22].
[54] Aucune ruse ou stratagème de cette nature n’a été mis en place par les policiers dans le présent dossier, comme le conclut le juge de première instance.
[55] Au cours de l’interrogatoire, le détective Lafrance mentionne que des caméras de surveillance étaient en places au bar Tribe et demande à l’appelant ce qu’il dirait si les images montreraient une personne lui ressemblant.
[56] À ce moment, le détective sait que la caméra qui aurait pu filmer précisément la scène était hors d’usage lors de la commission du crime. D’autres caméras étaient cependant fonctionnelles et avaient capté les images de l’appelant alors qu’il entrait dans le bar Tribe. Le détective n’avait pas encore visionné ces images.
[57] La question du détective sur les caméras n’était pas trompeuse et, comme le souligne le juge, la référence aux caméras était justifiée puisqu’elle visait à vérifier la présence de l’accusé sur les lieux du crime. De toute manière, il ne s’agit pas d’une ruse choquante ou inacceptable.
[58] À onze occasions, pendant son interrogatoire, l’appelant indique d’une manière ou d’une autre qu’il n’est pas prêt à faire une déclaration immédiatement – souhaitant d’abord converser avec son avocat, avec sa mère ou encore attendre d’avoir comparu devant le Tribunal avant de parler.
[59] Sans y être légalement obligé, puisque les droits avaient été donnés, puis répétés, le détective permet à l’appelant de consulter un avocat pendant son interrogatoire et lui donne également la chance de parler à sa mère.
[60] L’appelant tente de repousser sa déclaration après sa comparution. À ce moment, le détective lui indique qu’il s’agit de sa seule chance de faire une déclaration qui ne serait pas teintée par la divulgation de la preuve et qu’il ne serait alors plus sous le contrôle de la police, mais bien du poursuivant.
[61] Il s’agissait d’une tactique visant à exercer une certaine pression sur l’appelant. Malgré tout, le juge détermine que l’accusé fait sa déclaration librement et volontairement. L’accusé avait eu ses droits. Il se livre lui-même pour libérer sa conscience. Le détective répète à plusieurs reprises à l’accusé que c’est son choix de faire une déclaration ou non et qu’il a les « mains sur le volant ».
[62] Comme le spécifie le juge « [t]he detectives behaviour and his continuation of the discussion after the accused’s assertion of his right to silence did not have the effect of overriding the accused’s will »[23].
[63] Par ailleurs, l’accusé choisit de ne pas garder le silence malgré être pleinement conscient des conséquences.
[64] Le juge mentionne : « an individual who proclaims the desire to remain silent, but willingly participates in a discussion with the police does so at his own risk. The right to remain silent does not extend to a right not to be spoken to by the police »[24].
[65] En effet, le droit au silence ne comprend pas le droit que les policiers restent cois face à un inculpé réticent ou fuyant, qu’ils cessent de mener leur enquête, de poser des questions ou d’utiliser des techniques d’interrogatoire acceptables.
[66] Les conclusions du juge de première instance sont inattaquables et l’appelant ne démontre aucune erreur manifeste et déterminante.
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