R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54
[19] L’actus reus de la négligence criminelle causant la mort exige que l’accusé ait commis un acte — ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir — et que l’acte ou l’omission ait causé la mort d’autrui.
[20] L’élément de faute consiste à ce que l’acte ou l’omission de l’accusé « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». Les termes « déréglée » et « téméraire » ne sont pas définis dans le Code criminel, mais dans R. c. J.F., 2008 CSC 60 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 215, notre Cour a confirmé que l’infraction de négligence criminelle causant la mort impose une norme de faute objective modifiée — la norme objective de la « personne raisonnable » (par. 7‑9; voir aussi R. c. Tutton, 1989 CanLII 103 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1392, p. 1429‑1431; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 90, par. 19; R. c. Beatty, 2008 CSC 5 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 49, par. 7).
[21] Comme pour les autres infractions criminelles fondées sur la négligence, l’élément de faute de la négligence criminelle causant la mort est apprécié en déterminant la mesure dans laquelle la conduite de l’accusé s’écartait de celle d’une personne raisonnable dans la même situation[3]. Pour certaines infractions fondées sur la négligence, comme la conduite dangereuse, un écart « marqué » correspond à l’élément de faute (J.F., par. 10; voir aussi : Beatty, par. 33; R. c. Roy, 2012 CSC 26 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 60, par. 30; R. c. L. (J.) (2006), 2006 CanLII 805 (ON CA), 204 C.C.C. (3d) 324 (C.A. Ont.), par. 15; R. c. Al‑Kassem, 2015 ONCA 320, 78 M.V.R. (6th) 183, par. 6). Dans le contexte de la négligence criminelle causant la mort, toutefois, le degré d’écart requis a été décrit comme étant élevé, c’est‑à‑dire marqué et important (J.F., par. 9, appliquant Tutton, p. 1430‑1431, et R. c. Sharp (1984), 1984 CanLII 3487 (ON CA), 12 C.C.C. (3d) 428 (C.A. Ont.)).
[22] Ces normes ont beaucoup de traits communs. Elles posent toutes deux la question de savoir si les actions de l’accusé ont créé un risque pour d’autres personnes, et si « une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible » (voir Roy, par. 36; Stewart, p. 248). La distinction entre ces normes a été décrite comme étant une question de degré (voir R. c. Fontaine (2017), 2017 QCCA 1730 (CanLII), 41 C.R. (7th) 330, par. 27; R. c. Blostein (2014), 2014 MBCA 39 (CanLII), 306 Man. R. (2d) 15, par. 14). Comme l’a expliqué le juge Healy dans Fontaine :
Ces différences de degré ne peuvent être mesurées au moyen d’une règle, d’un thermomètre ou de tout autre instrument étalonné. Les termes « marqué et important » sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression « insouciance déréglée ou téméraire » de l’article 219 du Code criminel. Ils ne peuvent pas servir à fixer une échelle de gravité objective qui soit déterminante d’un cas à l’autre. Tant le comportement que la faute doivent s’apprécier de façon entièrement contextuelle par le juge des faits. [par. 27]
[23] Dans l’arrêt J.F., le juge Fish n’a pas expliqué en détail comment faire la distinction entre un écart « marqué » et un écart « marqué et important », étant donné que l’affaire ne « port[ait] ni sur la nature ni sur l’étendue des différences entre ces deux normes » (par. 10‑11). Dans le présent pourvoi, également, les différences terminologiques ne sont pas déterminantes et il n’est pas nécessaire qu’elles soient tranchées. Quoi qu’il en soit, en présentant leurs arguments, les parties ont tenu pour acquis que le critère qu’il convient d’appliquer en matière de négligence criminelle causant la mort est l’écart « marqué et important », et c’est sur ce fondement que j’aborde la question dans les présents motifs. Afin d’obtenir un verdict de culpabilité pour négligence criminelle causant la mort, le ministère public doit donc prouver que l’accusée a commis un acte, ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir, et que l’acte ou l’omission a causé la mort d’autrui (l’actus reus). Selon l’arrêt J.F., le ministère public doit en outre établir que la conduite de l’accusée constituait un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusée (l’élément de faute).
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