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vendredi 6 juin 2025

La différence entre l'écart marqué et l'écart marqué et important

Fournier c. R., 2016 QCCS 5456

Lien vers la décision


[73]        Voici comment la norme de faute doit être établie selon la juge Charron :

[48]      Toutefois, il n’est pas nécessaire de prouver une mens rea subjective du type que je viens de décrire pour établir l’infraction, puisque la faute que visait le législateur en adoptant l’art. 249 englobe une gamme plus étendue de comportements. Par conséquent, bien que la preuve de la mens rea subjective soit clairement suffisante, elle n’est pas essentielle. Dans le cas d’infractions de négligence comme celle qui nous intéresse, le fait de commettre l’acte interdit, en l’absence de l’état mental de diligence approprié, peut en effet suffire pour constituer la faute requise. On détermine la présence d’une mens rea objective en appréciant le comportement dangereux par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnablement prudente. Si le comportement dangereux constitue un « écart marqué » par rapport à cette norme, l’infraction sera établie. Comme nous l’avons vu, ce qui constitue un « écart marqué » par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent est une affaire de degré. Le manque de diligence doit être suffisamment grave pour mériter d’être puni. Il n’y a aucun doute qu’un comportement de quelques secondes peut constituer un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Néanmoins, comme l’a souligné avec justesse le juge Doherty dans l’arrêt Willock, [TRADUCTION] « un comportement de si courte durée se produisant pendant la conduite d’un véhicule, conduite par ailleurs irréprochable à tous égards, suggère davantage l’extrémité civile que l’extrémité criminelle du continuum de la négligence » (par. 31). Bien que l’affaire Willock concerne l’infraction de négligence criminelle, qui se situe à un point plus élevé sur le continuum de la conduite négligente, cette observation s’applique tout autant à l’infraction de conduite dangereuse.

[49]      Si le comportement ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse. L’infraction n’aura pas été établie. En revanche, si le juge des faits est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la conduite objectivement dangereuse constitue un écart marqué par rapport à la norme, il devra considérer la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé — si une telle preuve a été présentée — pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement.  En l’absence d’une telle preuve, le tribunal pourra déclarer l’accusé coupable.

[Le soulignement est ajouté]

[74]        Dans l'affaire J.F.[44], un acte d’accusation unique comportait deux chefs d’homicide involontaire coupable par omission. Chaque chef reprochait une infraction sous-jacentes différente : dans un cas, la négligence criminelle (art. 219 C.cr.); dans l'autre l'omission de fournir les choses nécessaires à l’existence (art. 215 C.cr.).

[75]        Comme l'explique le juge Fish, le même élément de faute doit être prouvé pour les deux infractions :

[7]        L’élément de faute nécessaire pour entraîner une déclaration de culpabilité était, pour l’essentiel, commun aux deux chefs d’accusation d’homicide involontaire coupable. Pour le premier chef, il s’agissait de l’élément de faute de l’infraction sous-jacente de négligence criminelle et, pour le deuxième chef, de l’élément de faute de l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence. Aucune de ces infractions n’exige la preuve de l’intention ou de la prévision réelle d’une conséquence prohibée. Le jury devait déterminer, à l’égard des deux chefs, non pas ce que savait l’intimé ou quelle était son intention, mais ce qu’il aurait dû prévoir.

[76]        Le juge Fish décrit ensuite la différence entre l'écart marqué (art. 215) et l'écart marqué et important (art. 219) :

[8]        Quant au chef reposant sur l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence, il incombait au ministère public d’établir que l’omission de protéger l’enfant placé en famille d’accueil constituait « un écart marqué par rapport à la conduite d’un parent raisonnablement prudent dans des circonstances où il était objectivement prévisible que l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence risquerait de mettre en danger la vie de l’enfant ou d’exposer sa santé à un péril permanent » : R. c. Naglik1993 CanLII 64 (CSC)[1993] 3 R.C.S. 122, p. 143 (je souligne).  On comprendra plus tard pourquoi j’ai souligné le mot « risquerait » dans la description de l’infraction faite par le Juge en chef, qui s’exprimait au nom de la Cour sur ce point.

[9]        Quant au chef alléguant la négligence criminelle, le ministère public devait démontrer que la même omission constituait un écart marqué et important (par opposition à un écart marqué) par rapport à la conduite d’un parent raisonnablement prudent dans des circonstances où l’accusé soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie de son enfant, sans pour autant l’écarter, soit ne lui a accordé aucune attention : R. c. Tutton1989 CanLII 103 (CSC)[1989] 1 R.C.S. 1392, p. 1430-1431R. c. Sharp (1984), 1984 CanLII 3487 (ON CA)12 C.C.C. (3d) 428 (C.A. Ont.).

[77]        L'élément de faute nécessaire n'exige pas la preuve de l'intention ou de la prévision réelle d'une conséquence prohibée, mais plutôt ce que l'accusé aurait dû prévoir[45].

[78]        Les éléments essentiels de l'infraction d'homicide involontaire coupable retenus par le juge Fish dans cette affaire peuvent être résumés par le tableau suivant[46] :

Omission de fournir les choses nécessaires à l’existence (art. 215 C.cr.)

Négligence criminelle (art. 219 C.cr.)

(1) L’accusé a manqué à son obligation de fournir les choses nécessaires à l’existence.

(1) L’accusé a manqué à son obligation.

(2) La conduite de l’accusé représentait un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances en ce qu’il était objectivement prévisible que l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence risquerait de mettre en danger la vie de la victime ou d’exposer sa santé à un péril permanent.

(2) La conduite de l’accusé représentait un écart marqué et important (par opposition à un écart marqué) par rapport à la conduite d’un parent raisonnablement prudent dans des circonstances où l’accusé soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie de son enfant, sans pour autant l’écarter, soit ne lui a accordé aucune attention.

(3) L’accusé prévoyait, ou aurait dû prévoir, le risque que sa conduite créait.

(3) L’accusé prévoyait, ou aurait dû prévoir, le risque que sa conduite créait.

[79]        Le cadre d'analyse adopté par le juge Fish dans l'arrêt J.F. permet l'identification des éléments essentiels applicables en l'espèce.

[80]        Lorsque l'infraction sous-jacente sur laquelle se fonde une accusation d'homicide involontaire coupable consiste en une infraction de responsabilité stricte, la poursuite doit établir les éléments suivants : 1) la commission d'une infraction de responsabilité stricte objectivement dangereuse; 2) la conduite de l'accusé constitue un écart marqué à la conduite d'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances[47]; et 3) compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable aurait prévu le risque de lésions corporelles.

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