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dimanche 15 juin 2025

Il importe de rappeler que dans l’évaluation du témoignage de l’accusé, les deux premières étapes dans W.(D.) doivent être analysées dans le contexte de la preuve et cela inclut le témoignage de la plaignante; chaque témoignage, y compris celui de l’accusé, ne doit pas s’évaluer en vase clos

R. c. J.J.R.D., 2006 CanLII 40088 (ON CA)

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[46]         Le juge de première instance a attentivement analysé le témoignage de A.D. Il était conscient des faiblesses possibles de son témoignage, en particulier le fait qu'elle avait fourni dans son témoignage de nombreux détails sur l'agression présumée qu'elle n'avait pas donnés dans ses déclarations et témoignages antérieurs. Le juge de première instance a expressément mentionné de nombreuses incohérences entre son témoignage et ses déclarations antérieures. Il a également pris en considération les circonstances de son témoignage. Le juge de première instance a finalement déterminé que A.D. était un témoin crédible. Il a motivé cette conclusion. Le fondement sur lequel le juge de première instance s’est appuyé pour conclure que A.D. était crédible ressort clairement de l'ensemble du dossier, notamment ses motifs. Son évaluation de la crédibilité de A.D. peut facilement faire l’objet d’un examen judiciaire par cette cour en appel.

[47]         Le juge de première instance n'est pas non plus passé directement de la conclusion que A.D. était crédible à la conclusion que les allégations avaient été prouvées hors de tout doute raisonnable. Au contraire, il a reconnu la distinction entre une conclusion quant à la crédibilité et une preuve hors de tout doute raisonnable. Bien qu'il ait estimé que A.D. était crédible, le juge n'était pas disposé à conclure hors de tout doute raisonnable que la sodomie alléguée avait eu lieu, probablement parce que A.D. n'a parlé de sodomie que très tard dans son témoignage.

[48]         Le juge de première instance a également reconnu qu'il n'y avait rien dans l’essentiel du témoignage de l'appelant, ou dans la manière dont il avait présenté son témoignage, qui aurait pu l’amener à ne pas accorder foi à ce témoignage. Encore une fois, cet aspect de son raisonnement est évident.

[49]        Outre son évaluation de la crédibilité respective des deux principaux témoins, le juge de première instance a également tenu compte du journal personnel. Comme il le dit dans ses motifs : [TRADUCTION]  « Il y a cependant plus dans cette affaire que ce que chacune des parties a dit au cours du procès, et c'est ce qui ressort du journal de A.D. ».

[50]          Dans ses motifs, le juge de première instance a examiné les circonstances dans lesquelles le journal a été découvert, le contenu des trois inscriptions qui ont été produites en preuve, le moment où l'inscription datée du 6 février a été faite et le contenu de cette inscription.

[51]          Le juge de première instance a conclu que le journal était [ TRADUCTION]  « l'enregistrement par A.D. d'une série d'événements ininterrompus. » J'en déduis que le juge de première instance était convaincu que l'inscription du 6 février décrivant l'agression sexuelle avait été faite entre les dates des deux autres inscriptions, la première étant le 5 décembre 2002 et la troisième le 8 février 2003. Le juge de première instance a ensuite conclu qu'une inscription dans le journal intime faite entre ces dates réfutait l’affirmation de l'avocat de l'appelant selon laquelle A.D. avait inventé ses allégations après avoir commencé à rendre visite à sa mère afin de pouvoir aller vivre avec elle. Bien que le juge de première instance ne l'ait pas expressément déclaré, il me semble évident qu'il faisait référence à la fabrication au moment – ou à peu près au moment – où A.D. avait rapporté l'agression présumée à sa mère au printemps 2004.

[52]          Il était loisible au juge de première instance de conclure que le journal avait été écrit le ou vers le 6 février 2003. Il n'a pas été contesté que A.D. avait fait l’inscription dans le journal et que ni elle ni sa mère n'avaient eu quoi que ce soit à voir avec la prise de possession du journal par la police.

[53]           L'analyse des éléments de preuve par le juge de première instance démontre le cheminement qu'il a suivi pour rendre son verdict et permet un examen efficace en appel.  Le juge a rejeté en bloc la dénégation de l'appelant parce qu'en plus de la preuve de A.D. et de celle concernant le journal, la preuve de l'appelant, malgré l'absence de failles évidentes, ne laissait aucunement place à un doute raisonnable dans l’esprit du juge de première instance. Le rejet pur et simple de la preuve d'un accusé, fondé sur l'acceptation réfléchie et raisonnée, hors de tout doute raisonnable, de la véracité de preuves crédibles contradictoires, explique tout autant le rejet de la preuve d'un accusé qu'un rejet fondé sur un problème lié à la façon dont l'accusé a témoigné ou à l’essence de sa preuve.

[54]          Selon les motifs du juge de première instance, l'appelant savait pourquoi il avait été condamné. Le témoignage de sa fille (combiné au journal, qui a eu pour effet de rehausser sa crédibilité), a convaincu le juge de première instance de la culpabilité de l'appelant hors de tout doute raisonnable, malgré le fait que l'appelant ait nié les accusations sous serment.

[55]         Les motifs du juge de première instance ont permis un examen efficace en appel. Ses motifs ont permis à la Cour de s'assurer qu’il avait convenablement évalué la preuve pertinente, appliqué les principes juridiques appropriés à cette preuve, en particulier la charge de la preuve, tiré les conclusions de crédibilité qui s'offraient à lui compte tenu des éléments de preuve, et finalement rendu un verdict fondé sur la preuve et sur l'application des principes juridiques pertinents au regard de cette preuve. 

Un juge peut revenir sur sa décision d’écarter des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) dans des « circonstances très limitées » qui justifieraient une exception à la règle du caractère définitif d'une telle décision

R. c. Cole, 2012 CSC 53

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[100]                     En règle générale, la décision d’écarter des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) devrait être définitive.  Cependant, dans des « circonstances très limitées », des « changements notables dans les circonstances » peuvent justifier que le juge du procès réexamine une ordonnance d’exclusion (R. c. Calder1996 CanLII 232 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 660, par. 35).

[101]                     Pour des raisons de principe et de pratique, l’exclusion d’un élément de preuve devrait, en règle générale, être définitive.  Comme le souligne l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario), l’accusé a le droit, en principe, de connaître la preuve complète qui pèse contre lui.  Si une ordonnance d’exclusion est réexaminée après que le ministère public a clos sa preuve, ce principe est nécessairement miné.  Si la preuve complète continue de changer, le préjudice est manifeste et le procès pourrait bien devenir ingérable (R. c. Underwood1998 CanLII 839 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 77, par. 6-7).

[102]                     De plus, même lorsque l’ordonnance d’exclusion est réexaminée avant que le ministère public ne close sa preuve, il existe un grave risque de préjudice pour le défendeur.  Les décisions prises par les avocats de la défense au cours du procès — fondées sur l’hypothèse que des éléments de preuve ont été écartés — risquent d’être compromises.  Il serait extrêmement difficile pour un tribunal de première instance de remédier à un préjudice de ce genre.

[103]                     En l’espèce, la Cour d’appel a invité le juge du procès à [traduction] « réévaluer l’admissibilité [du disque comportant les fichiers Internet temporaires] si cet élément de preuve devient important pour la fonction de recherche de la vérité au fil du procès » (par. 92).

[104]                     J’estime avec égards que cela ne saurait constituer — du moins en soi — des « circonstances très limitées » qui justifieraient une exception à la règle.  Les éléments de preuve obtenus inconstitutionnellement, une fois écartés, ne deviendront pas admissibles tout simplement parce que le ministère public ne pourrait autrement s’acquitter du fardeau qui lui incombe de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.

Le droit à une nouvelle consultation avec un avocat : principes généraux & la communication avec un tiers pour avoir accès à un avocat

R. c. Provencher, 2025 QCCA 505

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[101]   Dans l’arrêt Lafrance, le juge Brown procède, pour la majorité, à une longue analyse de l’objet de l’alinéa 10b) de la Charte et du cadre d’analyse de l’arrêt Sinclair[86]. Il résume le droit à une nouvelle consultation en ces termes :

[72]      Lorsqu’il est adéquatement interprété et appliqué, l’arrêt Sinclair donne effet à l’al. 10b) et réalise son objectif. Il identifie dans l’al. 10b) un volet informationnel (exigeant que les policiers avisent les détenus de leur droit à l’assistance d’un avocat) et un volet mise en application (exigeant que les policiers permettent aux détenus d’exercer leur droit de consulter un avocat), qui comporte implicitement « l’obligation pour la police de suspendre les questions jusqu’à ce que le détenu ait eu une possibilité raisonnable de consulter un avocat » (par. 27). De plus, comme je viens de le mentionner, l’arrêt Sinclair reconnaît également que le volet mise en application de l’al. 10b) impose à la police une autre obligation : celle de donner au détenu une possibilité raisonnable de consulter de nouveau un avocat si, par suite d’un changement de circonstances ou de faits nouveaux, cette mesure est nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) (par. 53). Trois catégories non exhaustives de circonstances exceptionnelles donnant naissance à cette obligation ont été relevées (par. 49‑52) : (1) les policiers invitent l’accusé à participer à des mesures peu habituelles que l’avocat n’envisagerait pas au moment de la consultation initiale; (2) il survient un changement du risque qui pourrait faire en sorte que les conseils obtenus durant la consultation initiale ne sont plus adéquats; et (3) il y a des raisons de se demander si le détenu comprend ses droits. C’est la troisième catégorie que la Cour d’appel a jugé applicable ici. Je suis du même avis.

[Le soulignement est ajouté]

[102]   Dans l’arrêt Sinclair, la majorité (la juge en chef McLachlin et la juge Charron), explique que ces « catégories ne sont pas limitatives »[87] et qu’il « ne faudrait ajouter que les cas où il est nécessaire d’accorder une autre consultation pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) »[88].

[103]   Ainsi, « [l]orsque les circonstances ne correspondent pas à une situation reconnue à ce jour, il s’agit de se demander s’il faut accorder une nouvelle possibilité de consulter un avocat pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils dans sa situation nouvelle ou émergente »[89].

[104]   Par ailleurs, il importe que « le changement de circonstances [soit] objectivement observable pour donner naissance à de nouvelles obligations pour la police en matière de mise en application. Il ne suffit pas que l’accusé affirme, après coup, qu’il n’avait pas bien compris ou qu’il avait besoin d’aide alors qu’il n’existe aucun élément objectif indiquant qu’une nouvelle consultation juridique était nécessaire pour lui permettre d’exercer un choix utile pour ce qui est de coopérer ou non à l’enquête policière »[90].

[105]   Bien que l’arrêt Lafrance concerne la troisième catégorie établie dans l’arrêt Sinclair (la mauvaise compréhension du détenu de ses droits), les observations du juge Brown ont une portée plus générale, car ils décrivent l’amplitude du droit protégé par l’alinéa 10b) de la Charte, son objet et l’approche qui encadre son interprétation.

[106]   Le juge Brown rappelle que l’interprétation du droit garanti par l’alinéa 10b) de la Charte est libérale plutôt que formaliste et qu’elle doit viser à en réaliser l’objet et l’accès à sa protection[91]. Ainsi, « l’analyse porte sur les circonstances, énoncées en termes généraux. Cela évoque un examen non seulement de la question de savoir si la personne détenue a consulté un avocat, mais également de l’ensemble du contexte dans lequel l’interaction entre les policiers et le détenu a eu lieu »[92].

b)   La vulnérabilité de la personne détenue face à l’État

[107]   L’arrêt Lafrance insiste sur la question du déséquilibre entre les pouvoirs de l’État et ceux des personnes détenues. Cette préoccupation n’est pas nouvelle dans la jurisprudence de la Cour suprême et elle s’avère d’une importance déterminante dans la présente affaire.

[108]   Dans l’arrêt R. c. Hebert[93], la juge McLachlin décrit la fonction de l’avis juridique lors de la consultation initiale par la personne détenue et le contexte à l’intérieur duquel s’exerce cette consultation :

La fonction la plus importante de l’avis juridique au moment de la détention est d’assurer que l’accusé comprenne quels sont ses droits dont le principal est le droit de garder le silence. Le suspect détenu, exposé à se trouver en situation défavorable par rapport aux pouvoirs éclairés et sophistiqués dont dispose l’État, a le droit de rectifier cette situation défavorable en consultant un avocat dès le début afin d’être avisé de son droit de ne pas parler aux policiers et d’obtenir les conseils appropriés quant au choix qu’il doit faire. Pris ensemble, l’art. 7 et l’al. 10b) confirment le droit de garder le silence reconnu à l’art. 7 et nous éclairent sur sa nature[94].

[109]   Les droits protégés par la Charte se rattachant à la détention « entrent en jeu du fait que la personne qui a été placée sous le contrôle des autorités de l’État se trouve en position de vulnérabilité »[95]. Ils « visent principalement à corriger l’inégalité de pouvoir entre elle et l’État »[96] et ainsi permettre à la personne détenue d’« atténuer son désavantage juridique »[97].

[110]   Dans ces circonstances, l’objectif du droit protégé par l’alinéa 10b) de la Charte vise le maintien d’un équilibre entre le pouvoir de l’État et le détenu :

[23]      En fixant des limites au pouvoir de l’État et en lui imposant des obligations envers ceux qu’il détient au moyen du concept de détention, la Charte vise à maintenir un équilibre entre les droits des personnes détenues et ceux de l’État. Le pouvoir de l’État de restreindre la liberté individuelle par la mise en détention ne peut s’exercer de façon arbitraire et il est assorti d’une obligation concomitante de protection contre la puissance supérieure de l’État.[98]

[111]   Dans l’arrêt Lafrance, le juge Brown confirme l’importance de prendre en compte le degré de déséquilibre entre le pouvoir des policiers et celui des détenus en donnant une interprétation généreuse du droit protégé par l’alinéa 10b) de la Charte :

[77]        À défaut d’une telle interprétation, notre travail jurisprudentiel (notamment dans les arrêts Grant et Le) sur la détention au titre de l’art. 9 visant à prendre en compte le déséquilibre des pouvoirs entre l’État et les personnes détenues et à l’atténuer, serait annihilé par une interprétation appauvrie des protections offertes par l’al. 10b), ce qui serait incompatible avec l’arrêt Sinclair lui-même et aurait des effets corrosifs sur la liberté du sujet. Une interprétation téléologique et généreuse de l’al. 10b) et, par extension, de la troisième catégorie de l’arrêt Sinclair, reflète également cette réalité pratique des interactions entre policiers et citoyens dont j’ai déjà parlé, et qui s’impose a fortiori en cas d’arrestation ou de détention : le détenu est désavantagé par rapport à l’État (V. A. MacDonnell, « R v Sinclair : Balancing Individual Rights and Societal Interests Outside of Section 1 of the Charter » (2012), 38 Queen’s L.J. 137, p. 156). Ce désavantage n’est pas mineur, particulièrement compte tenu du fait que les policiers peuvent recourir à des tactiques comme le mensonge lors d’un interrogatoire. Ce n’est qu’en veillant à ce que les personnes détenues obtiennent des conseils juridiques tenant compte de leur situation particulière, transmis d’une manière qu’elles peuvent comprendre, que l’al. 10b) peut véritablement corriger le déséquilibre des pouvoirs entre l’État (dont les représentants connaissent les droits du détenu) et le détenu (qui ne les connaît peut‑être pas).

[78]        Mes collègues disent qu’il est inexact de décrire l’objet de l’al. 10b) comme visant à « atténuer le déséquilibre entre la personne et l’État » (par. 168). Soit dit en tout respect, cette affirmation est non controversée. Malgré l’opinion de mes collègues à l’effet contraire, elle découle de la déclaration de la Cour dans l’arrêt R. c. Willier2010 CSC 37, [2010] 2 R.C.S. 429, par. 28, selon laquelle « l’al. 10b) donne aux détenus la possibilité de communiquer avec un avocat lorsqu’ils sont privés de leur liberté et sous le contrôle de l’État, et que, de ce fait, ils se trouvent à la merci de son pouvoir et courent un risque sur le plan juridique » et « [l]’objectif de l’al. 10b) est de donner aux détenus la possibilité d’atténuer ce désavantage juridique ». Bien que mes collègues affirment que l’arrêt Sinclair, aux par. 30-31, rejette cette opinion, il s’agit, soit dit en tout respect encore une fois, d’une mauvaise interprétation de l’arrêt Sinclair. Dans ces passages, la question n’était pas de savoir si l’objet de l’al. 10b) est de corriger ce déséquilibre des pouvoirs, mais comment il le fait. Les juges dissidents LeBel et Fish soutenaient qu’il le fait en conférant un droit continu de consulter un avocat tout au long de l’entretien policier de l’accusé (par. 30 et 154). Les juges majoritaires ont toutefois décidé qu’il le fait en conférant un droit de consulter un avocat « pour obtenir renseignements et conseils dès le début de la détention » (par. 31) afin de réaliser l’objet de « l’al. 10b) [qui] vise à étayer le droit du détenu de choisir de coopérer ou non à l’enquête policière, en lui donnant accès à des conseils juridiques sur sa situation » (par. 32 (je souligne)).

[79]        Le degré de déséquilibre entre le pouvoir des policiers et celui des détenus variera évidemment d’une affaire à l’autre, en fonction de la situation particulière des détenus eux-mêmes. Les caractéristiques spécifiques des détenus (décrites comme des « vulnérabilités » dans le contexte de l’interrogatoire policier) peuvent influencer le cours d’un entretien sous garde. Les enquêteurs et les cours de révision doivent être conscients de la possibilité que ces vulnérabilités, qui peuvent avoir trait au genre, à la jeunesse, à l’âge, à la race, à la santé mentale, à la compréhension de la langue, à la capacité cognitive ou à tout autre facteur, combinées aux faits nouveaux pouvant survenir au cours d’un interrogatoire policier, puissent rendre inadéquats les conseils juridiques initialement reçus par le détenu, affaiblissant sa capacité de faire un choix éclairé quant à savoir s’il veut coopérer ou non avec la police. Dans de telles situations, l’arrêt Sinclair exige que l’accusé ait droit à une consultation additionnelle afin que les forces soient égales.

c)   L’importance du canal de communication entre la personne détenue et un avocat

[112]   Dans la mesure où le droit à une nouvelle consultation existe « lorsqu’un changement de circonstances rend cette mesure nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils dans sa situation nouvelle ou émergente »[99], il me semble décisif que l’arrêt Dussault[100] ait confirmé que l’un des objets du droit à l’assistance d’un avocat est d’établir une voie de communication entre le détenu et un avocat :

[56]      Dans R. c. Rover2018 ONCA 745, 143 O.R. (3d) 135, le juge Doherty a décrit le droit à l’assistance d’un avocat comme un [traduction] « canal de communication » grâce auquel les personnes détenues obtiennent des conseils juridiques et « ont aussi le sentiment qu’elles ne sont pas entièrement à la merci des policiers pendant leur détention » : par. 45; voir aussi R. c. Tremblay2021 QCCA 24, 69 C.R. (7th) 28, par. 40. Je suis d’accord. En l’espèce, la conduite policière a eu pour effet de miner et de dénaturer les conseils que M. Dussault avait reçus. Les policiers auraient dû offrir à ce dernier une seconde possibilité de rétablir son « canal de communication », mais ils ne l’ont pas fait. En ne le faisant pas, ils ont violé les droits que l’al. 10b) garantit à M. Dussault.

[113]   J’ajoute qu’il faut se rappeler, comme l’explique le juge Doherty dans l’arrêt Rover, que la valeur psychologique de l’accès à un avocat ne saurait être sous-estimée[101].

d)   La communication avec un membre de la famille pour avoir accès à un avocat

[114]   Dans le présent dossier, il ne s’agit pas d’une situation où les policiers ont miné les conseils d’un avocat, mais où ils ont dressé, activement ou par omission, des embûches qui ont eu pour effet d’empêcher M. Farinas d’être mis en communication avec son beau-père et avec l’avocat qui cherchait à lui parler après avoir été contacté par son beau-père.

[115]   Les démarches pour avoir accès à un avocat ne peuvent devenir une course à obstacles où l’État met, activement ou passivement, des bâtons dans les roues de la personne détenue et de ceux qui cherchent à concrétiser cet accès.

[116]   Il importe de rappeler que le droit canadien prévoit qu’une personne détenue peut contacter un membre de sa famille afin d’avoir accès à un avocat. La Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu dans ce sens dans l’arrêt Ector[102] :

[48]      To be clear, the s. 10(b) right embraces the right to speak with legal counsel and not to a non-lawyer. That said, the law also recognizes that the right to retain and instruct counsel includes the right to contact third parties for the purpose of obtaining counsel. Thus, where the detainee expresses a desire to speak with a third party for purposes of obtaining the name of legal counsel, and there are no investigative concerns arising from that request, denial of the right to access the third party may constitute a s. 10(b) breach (TremblayR. v. Laplante (1987), 1987 CanLII 209 (SK CA), 40 C.C.C. (3d) 63 (Sask. C.A.); R. v. Menard2010 BCSC 1416 (B.C. S.C.) at para 46, (2010)11 B.C.L.R. (5th) 162(B.C. S.C.); R. v. Blake2015 ONCA 684 (Ont. C.A.) at para 14R. v. Ferris2014 SKPC 6 (Sask. Prov. Ct.) at paras 27-31 [Ferris]).

[49]      The right to speak with a third party to obtain the name of counsel is not absolute and it, too, is fact dependent. This point was explained in R. v. Kumarasamy[2002] O.J. No. 303 (Ont. S.C.J.):

[26] This is not to say that a detainee is always entitled to make one or a series of calls to friends or relatives. The determination must be made on a case by case basis. No doubt there will be rare cases where a call to a friend or relative in private could jeopardize an ongoing investigation. For example, if the detainee has accomplices who had not been arrested, or if persons or property could be placed in jeopardy by permitting a call to someone other than a lawyer, a delay might be justified. That is not the case here.

[Le soulignement est ajouté]

[117]   Le juge Trotter de la Cour d’appel de l’Ontario tire la même conclusion dans l’arrêt Pileggi :

[86]      I respectfully disagree with the trial judge. The failure to follow through on the undertaking to contact the appellant’s father about a lawyer, combined with the overall delay in facilitating contact with any lawyer, infringed s. 10(b) of the Charter. As this court recognized in R. v. B. (J.), [2015] O.J. No. 5192, 2015 ONCA 684, 341 O.A.C. 23, at para. 14the right to counsel includes the right to contact counsel of choice as well as the right to contact a third party to access counsel of choice. See also R. v. Ector, [2018] S.J. No. 251, 2018 SKCA 46, 362 C.C.C. (3d) 462, at para. 48.[103]

[Le soulignement est ajouté]

[118]   L’enquêteur Paquet a convenu que les policiers permettent régulièrement aux personnes détenues de contacter un membre de leur famille[104].

e)   Le droit à une nouvelle consultation résultant des circonstances entourant l’interrogatoire de l’enquêteur Paquet

[119]   Le juge du procès a eu raison de prendre en compte la durée de la période qui sépare la consultation de M. Farinas auprès d’une avocate et le moment où il formule ses premiers aveux à la lumière de l’ensemble des circonstances, notamment de l’utilisation par l’enquêteur des craintes de M. Farinas comme levier pour le faire parler.

[120]   Certes, l’arrêt Hebert établit que l’État est libre « d’utiliser des moyens de persuasion légitimes pour encourager le suspect »[105] à faire des déclarations.

[121]   Toutefois, dans le contexte d’un interrogatoire mené dans une automobile, sans enregistrement, après de longues heures de détention et un long interrogatoire où M. Farinas avait revendiqué son droit au silence à 16 occasions, je partage la conclusion du juge du procès pour qui l’exploitation de la peur de M. Farinas par l’enquêteur avait un prix :

[466]   M. Paquet pouvait exploiter cette peur pour soutirer un aveu à M. Farinas. Toutefois, cette tactique avait un prix. En exploitant les craintes de M. Farinas, M. Paquet a largement contribué à placer M. Farinas dans une nouvelle situation dans laquelle le choix de faire ou non une déclaration devait être précédé du renouvellement de son droit à l’avocat.

[122]   Le juge du procès a eu raison de conclure que l’ensemble des circonstances justifiait la nécessité d’une nouvelle consultation avec un avocat en raison d’une situation nouvelle ou émergente. Il est significatif que le juge ait tiré une inférence défavorable du témoignage de l’enquêteur Paquet. En effet, cette constatation mettait en lumière le manque de transparence de ce dernier durant son témoignage qui minimisait l’objectif qu’il poursuivait lors de son interrogatoire et qui visait, selon toute vraisemblance, à repousser la conclusion qu’une nouvelle consultation s’avérait nécessaire. Le témoignage trompeur d’un policier est toujours préoccupant[106], mais particulièrement lorsqu’il tente d’atténuer les facteurs qui militent en faveur d’une nouvelle consultation avec un avocat. À juste titre, le juge pouvait en tenir compte pour conclure qu’il existait, en l’espèce, une situation nouvelle.

[123]   Par ailleurs, le juge du procès considère avec raison que l’un des indices les plus révélateurs de l’existence d’une situation nouvelle est la réaction de l’enquêteur. Il suggère non seulement à M. Farinas de parler de ses craintes à l’avocate, mais ajoute qu’il aurait dû lui en parler avant. L’autre indice émane de la conclusion de l’équipe d’enquêteurs qu’il était nécessaire de procéder à un « nouveau départ »[107] en formulant une nouvelle mise en garde à M. Farinas.

[124]   En raison de la nouvelle situation qu’il avait lui-même créée, l’erreur de l’enquêteur Paquet est de ne pas avoir informé M. Farinas de son droit de consulter à nouveau et de faire le nécessaire pour établir une nouvelle communication soit avec l’avocate que M. Farinas avait consultée près de 28 heures auparavant soit avec l’avocat qui s’échinait depuis plusieurs heures à le localiser pour lui parler, et ce, à la connaissance de plusieurs policiers impliqués dans cette enquête.

[125]   À un moment particulièrement névralgique du point de vue même de l’équipe d’enquêteurs, M. Farinas avait le droit d’être informé par un avocat, comme l’énonce l’arrêt Lafrance, « des avantages et des désavantages de coopérer à l’enquête policière, ainsi que [des] stratégies pour résister à la coopération si tel est le choix du détenu »[108].

[126]   Il est bon de rappeler que dans l’arrêt Otis, le juge Proulx écrit ce qui suit : « Une autre forme de persuasion abusive pourrait survenir dans un cas de détention prolongée. À ce sujet, mon collègue Fish écrivait : “Detention until confession is an unacceptable form of persuasion” »[109].

[127]   Bien que ces propos aient été formulés dans l’analyse du droit au silence garanti par l’article 7 de la Charte, et même si la comparution de M. Farinas ne mettait pas fin à l’enquête policière[110], ils fortifient la conclusion du juge selon laquelle la durée de la détention de M. Farinas et l’ensemble des circonstances l’entourant confirmaient la nécessité d’une nouvelle consultation avec un avocat en raison d’une situation nouvelle.

f)     La renonciation

[128]   Au sujet de la renonciation, même si le contexte était différent, le juge du procès a eu raison de considérer que l’arrêt Stevens[111] est fort utile et pertinent pour résoudre les questions qui se posent dans le présent pourvoi. Dans cette affaire, le juge Kasirer a conclu que les réticences d’un policier à informer l’accusé du fait qu’un avocat essayait de le contacter l’avait sciemment empêché d’exercer son droit constitutionnel[112], ce qui affectait la validité de la renonciation à son droit de consulter un avocat[113].

[129]   Il est tout simplement inacceptable que les policiers n’aient pas expliqué à M. Farinas que son beau-père ne voulait pas lui parler parce qu’il souhaitait qu’il communique avec Me Dubois ni que ce dernier avait tenté de le contacter. Dans ce contexte, l’omission des policiers s’avère fatale à la validité de la renonciation de M. Farinas à son droit de consulter un avocat.

[130]   Le poursuivant ne remet pas en cause la décision du juge du procès d’exclure la preuve des déclarations de M. Farinas selon le paragraphe 24(2) de la Charte, mais uniquement la conclusion voulant que les droits constitutionnels de ce dernier aient été enfreints. À mon avis, les conclusions de fait du juge sont incontournables.

[131]   Dans la mesure où je confirme la conclusion du juge au sujet des violations de l’alinéa 10b) de la Charte, je ne vois, vu la norme de contrôle applicable que j’ai décrite auparavant, aucune raison d’intervenir dans sa décision d’exclure les déclarations de M. Farinas. Sans être identique, l’évaluation des différents critères de l’analyse requise selon le paragraphe 24(2) de la Charte dans l’arrêt Lafrance soutient la conclusion du juge du procès[114].

* * *

[132]   Un dernier commentaire.

[133]   Dans l’arrêt Noël, la juge Arbour décrit les limites imposées à la quête de la recherche de la vérité dans la poursuite des infractions criminelles et elle affirme que « notre système de justice pénale n’a jamais permis la recherche de la vérité à tout prix et par tout moyen »[115]. Autrement dit, comme l’explique la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Harrison, la fin ne justifie pas les moyens[116].

[134]   Les faits de la présente affaire révèlent qu’il s’avère parfois malheureusement nécessaire de le rappeler. En effet, « [l]e paragraphe 24(2) [de la Charte] est axé sur le maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance du public à son égard »[117], ce qui, dans le présent cas, s’avère une préoccupation cruciale et déterminante.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La réoption n'est pas un événement imprévisible ou inévitable

R. v. Long, 2023 ONCA 679 Lien vers la décision [ 62 ]        I would also observe that the appellant re-elected a trial in the OCJ on Febru...