dimanche 31 mai 2009

Pouvoir de fouille accessoire lors de l'arrestation VS le droit à l'avocat

R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140

Résumé des faits
Un informateur fiable a avisé les policiers que l'appelant et deux autres personnes devaient se rencontrer pour conclure un marché de drogues illégales et prendre livraison d'une quantité importante d'amphétamines apportées dans la région par un fournisseur.

Deux agents, sur l'ordre d'un sergent de la GRC, ont intercepté et fouillé le véhicule de l'appelant peu de temps après que le véhicule eut quitté la maison où le marché devait avoir lieu. Un agent a avisé l'appelant qu'il avait des motifs raisonnables et probables de croire que l'appelant avait des amphétamines sur lui et l'a fouillé sans mandat comme le permet le par. 37(1) de la Loi des aliments et drogues.

Analyse

Le droit de procéder à une fouille accessoire à une arrestation découle du fait de l'arrestation ou de la détention de la personne. Le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat découle de l'arrestation ou de la détention, non du fait de la fouille. Donc, dès qu'il y a détention, la personne détenue a le droit d'être informée de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Cependant, les policiers ne sont pas tenus de suspendre la fouille accessoire à l'arrestation jusqu'à ce que la personne détenue ait eu la possibilité d'avoir recours à l'assistance d'un avocat.

La négation du droit à l'assistance d'un avocat ne donne un caractère abusif à une fouille, au sens de l'art. 8 de la Charte, que dans des circonstances exceptionnelles. Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive. La négation du droit à l'assistance d'un avocat ne modifie pas la "manière" dont une fouille est exécutée. La "manière" dont une fouille est exécutée a trait au déroulement matériel de la fouille et ne devrait pas englober des restrictions à d'autres droits déjà garantis en vertu de la Charte.

(...) Je souligne qu'en règle générale, les policiers qui procèdent à une fouille ne sont pas tenus de la suspendre pour donner à une personne la possibilité d'avoir recours à l'assistance d'un avocat quand, par exemple, il s'agit de la perquisition d'une habitation en vertu d'un mandat. Quand les policiers procèdent à une fouille sur une personne, il en va tout autrement. Dans ce cas, il est impossible de procéder à la fouille sans détenir la personne au sens de l'art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés. C'est dans ce contexte que j'examinerai maintenant les fouilles accessoires à une arrestation.

Le droit de procéder à une fouille accessoire à une arrestation découle du fait de l'arrestation ou de la détention de la personne. Le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat découle de l'arrestation ou de la détention, non du fait de la fouille. Donc, dès qu'il y a détention, la personne détenue a le droit d'être informée de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Cependant, les policiers ne sont pas tenus de suspendre la fouille accessoire à l'arrestation jusqu'à ce que la personne ait eu la possibilité d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. À mon avis, il y a des exceptions à cette règle générale. Par exemple, quand la légalité de la fouille dépend du consentement de la personne détenue. Cette situation est régie par l'arrêt de notre Cour R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, à la p. 12:

Le droit à l'assistance d'un avocat signifie également à mon avis que, dès qu'un accusé ou un détenu a fait valoir ce droit, les policiers ne peuvent en aucune façon, jusqu'à ce qu'il ait eu une possibilité raisonnable d'exercer ce droit, le forcer à prendre une décision ou à participer à quelque chose qui pourrait finalement avoir un effet préjudiciable sur un éventuel procès.

Les éléments de preuve obtenus grâce à une fouille raisonnable mais accompagnée d'une violation de l'al. 10b) de la Charte ne seront pas nécessairement admis en vertu du par. 24(2). Les éléments de preuve seront écartés s'il existe un lien temporel entre la violation de la Charte et la découverte des éléments de preuve et si l'utilisation de ces éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

mercredi 27 mai 2009

Facteurs à considérer en regard de la détermination de la peine concernant des infractions d'ordre sexuel

R. c. L.(J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC C.A.)

Parmi les facteurs de qualification permettant de mesurer la responsabilité pénale d'un délinquant en regard de la détermination de la peine concernant des infractions d'ordre sexuel, il convient de mentionner, notamment:

- La nature et la gravité intrinsèque des infractions se traduisant, notamment, par l'usage de menaces, violence, contrainte psychologique et manipulation, etc.. […]

- La fréquence des infractions et l'espace temporel qui les contient. […]

- L'abus de confiance et l'abus d'autorité caractérisant les relations du délinquant avec la victime. […]

- Les désordres sous-jacents à la commission des infractions: détresse psychologique du délinquant, pathologies et déviances, intoxication, etc.. […]

- Les condamnations antérieures du délinquant: proximité temporelle avec l'infraction reprochée et nature des condamnations antérieures. […]

- Le comportement du délinquant après la commission des infractions: aveux, collaboration à l'enquête, implication immédiate dans un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière s'il y a lieu, compassion et empathie à l'endroit des victimes (remords, regrets, etc.). […]

- Le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d'atténuation selon le comportement du délinquant (âge du délinquant, intégration sociale et professionnelle, commission d'autres infractions, etc.). […]

- La victime: gravité des atteintes à l'intégrité physique et psychologique se traduisant, notamment, par l'âge, la nature et l'ampleur de l'agression, la fréquence et la durée, le caractère de la victime, sa vulnérabilité (déficience mentale ou physique), l'abus de confiance ou d'autorité, les séquelles traumatiques, etc.. […]

lundi 25 mai 2009

L'effet qu'a une condamnation pour une infraction n'étant pas qualifié de grande criminalité au sens de la LIPR sur le résident permanent

Un résident permanent reconnu coupable d'une infraction ne se qualifiant pas de grande criminalité au sens de l'article 36 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne peut pas obtenir sa citoyenneté canadienne selon la Loi sur la citoyenneté. L'article de cette Loi reproduit ci-dessous est sans équivoque

22. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre de l’article 5 ou du paragraphe 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté :

a) pendant la période où, en application d’une disposition législative en vigueur au Canada :

(i) il est sous le coup d’une ordonnance de probation,

(ii) il bénéficie d’une libération conditionnelle,

(iii) il est détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction;

b) tant qu’il est inculpé pour une infraction prévue aux paragraphes 29(2) ou (3) ou pour un acte criminel prévu par une loi fédérale, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions, et ce, jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours;

c) tant qu’il fait l’objet d’une enquête menée par le ministre de la Justice, la Gendarmerie royale du Canada ou le Service canadien du renseignement de sécurité, relativement à une infraction visée à l’un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, ou tant qu’il est inculpé pour une telle infraction et ce, jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours;

d) s’il a été déclaré coupable d’une infraction visée à l’un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

e) s’il n’a pas obtenu l’autorisation requise préalablement à son retour au Canada par le paragraphe 52(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;

f) si, au cours des cinq années qui précèdent sa demande, il a cessé d’être citoyen en application du paragraphe 10(1).

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, mais sous réserve de la Loi sur le casier judiciaire, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre de l’article 5 ou du paragraphe 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté s’il a été déclaré coupable d’une infraction prévue aux paragraphes 29(2) ou (3) ou d’un acte criminel prévu par une loi fédérale, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions :

a) au cours des trois ans précédant la date de sa demande;

b) entre la date de sa demande et celle prévue pour l’attribution de la citoyenneté ou la prestation du serment.

Dans le formulaire que doit remplir le résident permanent pour obtenir sa citoyenneté, soit la Demande de citoyenneté canadienne — Adultes [CIT 0002], ce dernier doit divulguer sa situation judiciaire au point 8 de ce formulaire

jeudi 21 mai 2009

Peines consécutives et concurrentes

Les délinquants reconnus coupables d’infractions multiples peuvent se voir imposer :

* des peines consécutives,
* des peines concurrentes (qui comprennent des peines accompagnées de directives claires des tribunaux précisant que la peine doit être purgée « concurremment » et lorsqu’il n’y a aucune directive donnée par les tribunaux, c.-à-d. sentence est « muette »), ou
* une combinaison des deux.

En général, les peines consécutives sont des peines distinctes, imposées pour deux infractions ou plus, qui doivent être purgées l’une après l’autre. La durée combinée des peines est la somme des peines individuelles. Il arrive à l’occasion qu’un juge impose une peine consécutive à certaines peines. Par exemple, un juge qui impose une peine de 12 mois et deux peines de 6 mois au cours de la même audience de détermination de la peine peut ordonner que toutes ces peines soient purgées consécutivement. Dans ce cas, le délinquant purgerait donc une peine totale de 24 mois. Par contre, le juge peut aussi ordonner que la peine de 12 mois soit purgée consécutivement à l’une des deux peines de 6 mois. Dans cet autre cas, le délinquant purgerait donc une peine totale de 18 mois, car les deux peines de 6 mois seraient concurrentes.

Les peines concurrentes sont des peines imposées pour des infractions distinctes qui sont purgées simultanément. Lorsque des peines concurrentes sont imposées au même moment, la durée totale de l’incarcération pour toutes les peines n’est pas supérieure à la plus longue peine imposée. Une peine concurrente commence à courir le jour où elle est imposée. Par exemple, un juge qui impose deux peines de 12 mois au cours de la même audience de détermination de la peine peut ordonner que les deux peines soient purgées concurremment, ou s’en abstenir. Dans les deux cas, le délinquant purgera une peine totale de 12 mois. De plus, si l’une des peines était de 18 mois et l’autre de 12 mois, la peine totale serait de 18 mois, soit la durée de la peine la plus longue.

Le Code criminel prévoit de façon implicite que toutes les peines doivent être purgées concurremment, sauf :

* lorsque la loi exige de façon spécifique qu’elle soit purgée consécutivement (p. ex. le paragraphe 85(2) du Code criminel pour les infractions relatives à l’usage d’armes à feu, l’article 467.14 pour les infractions relatives aux organisations criminelles et l’article 83.26 pour les infractions relatives au terrorisme);
* lorsque le juge qui prononce la sentence ordonne que la ou les peines soient purgées de façon consécutive.

Des peines consécutives ne peuvent être imposées que dans les circonstances suivantes :

* le délinquant purge déjà une peine d’emprisonnement;
* le délinquant est condamné à une peine d’emprisonnement et à une amende avec stipulation que, faute de paiement, il purgera une peine d’emprisonnement;
* le délinquant est reconnu coupable de plus d’une infraction devant le même tribunal et pendant la même session, et des peines d’incarcération multiples lui sont imposées.

Le mandat de dépôt et le Code criminel constituent la base sur laquelle se fondent les gestionnaires des peines pour établir les peines à purger consécutivement et concurremment avec d’autres. Par conséquent, il est extrêmement important que le mandat reflète de façon précise le rapport entre toutes les peines. Le fait de ne pas préciser qu’une peine donnée est consécutive ou concurrente, et par rapport à quelles peines, peut faire qu’une peine sera traitée comme concurrente à une ou à plusieurs des autres peines. Cela peut donner lieu à une peine totale anormale, qui ne correspond pas aux intentions du juge qui a prononcé la sentence.

Tiré de
Le calcul des peines : Guide pour les juges, les avocats et les responsables correctionnels
http://www.securitepublique.gc.ca/res/cor/rep/2005-sntnce-hndbk-fra.aspx#Anchor-13810

La règle : deux ans ou plus c. deux ans moins un jour

La « règle des deux ans » se rapporte à une division générale, relevant des sphères de compétence, entre les peines de deux ans ou plus et celles de moins de deux ans. Les peines de deux ans ou plus sont purgées dans des pénitenciers fédéraux et administrées en vertu des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (loi fédérale). Les peines de moins de deux ans sont purgées dans des prisons provinciales qui, elles, sont régies par la Loi sur les prisons et les maisons de correction (loi fédérale), certaines dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et les lois provinciales pertinentes.

Tiré de

Le calcul des peines : Guide pour les juges, les avocats et les responsables correctionnels
http://www.securitepublique.gc.ca/res/cor/rep/2005-sntnce-hndbk-fra.aspx#Anchor-13810

Secret professionnel de l’avocat ‑‑ Exception relative à la sécurité publique

Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455

Résumé des fait
L’accusé a été inculpé d’agression sexuelle grave à l’endroit d’une prostituée. Son avocat l’a renvoyé à un psychiatre, espérant que ce serait utile pour la préparation de la défense ou les observations relatives à la peine dans l’hypothèse d’un plaidoyer de culpabilité. L’avocat a informé l’accusé que cette consultation était protégée par le secret professionnel de la même façon qu’une consultation avec lui. Durant son entrevue avec le psychiatre, l’accusé a décrit avec un luxe de détails le plan qu’il avait élaboré pour enlever, violer et tuer des prostituées. Le psychiatre a fait savoir à l’avocat de la défense qu’à son avis, l’accusé était un individu dangereux qui commettrait probablement d’autres crimes s’il ne recevait pas un traitement approprié. Par la suite, l’accusé a plaidé coupable à une accusation incluse de voies de fait graves. Le psychiatre a téléphoné à l’avocat de la défense pour s’informer de l’état de l’instance et il a appris que ses inquiétudes au sujet de l’accusé ne seraient pas prises en compte à l’audience de détermination de la peine. Le psychiatre a intenté la présente action pour obtenir un jugement déclarant qu’il avait le droit de divulguer les renseignements qu’il avait en main dans l’intérêt de la sécurité publique.

Analyse

Les deux parties ont fondé leurs plaidoiries sur le fait que le rapport du psychiatre est protégé par le secret professionnel de l’avocat, et c’est sous cet angle qu’il doit être examiné. Le secret professionnel de l’avocat est un principe d’une importance fondamentale pour l’administration de la justice. Il s’agit du plus important privilège reconnu par les tribunaux. Cependant, malgré son importance, ce privilège n’est pas absolu et demeure assujetti à certaines exceptions limitées, dont l’exception relative à la sécurité publique. Bien que seul un intérêt public impérieux soit susceptible de justifier la mise à l’écart du secret professionnel de l’avocat, la mise en péril de la sécurité publique peut, lorsque les circonstances s’y prêtent, justifier cette mise à l’écart.

Il faut tenir compte de trois facteurs pour déterminer si la sécurité publique a préséance sur le privilège du secret professionnel de l’avocat:

(1) Une personne ou un groupe de personnes identifiables sont‑elles clairement exposées à un danger?

(2) Risquent‑elles d’être gravement blessées ou d’être tuées?

(3) Le danger est‑il imminent?

Ces facteurs doivent être définis selon le contexte de chaque affaire et chaque cas particulier dictera le poids qu’il faut attribuer dans une affaire donnée à chacun de ces facteurs et à chacun de leurs divers aspects. En ce qui concerne la «clarté», il importe de noter qu’en règle générale, il faut toujours pouvoir établir l’identité de la personne ou du groupe visé. Dans certains cas, une grande importance pourrait être accordée à l’identification précise de la victime choisie, que ce soit une personne ou un groupe, même si le groupe est nombreux. Tout comme il se pourrait qu’une menace générale de mort ou de violence proférée à l’endroit de l’ensemble des habitants d’une ville ou d’une collectivité ou dirigée contre tous ceux que la personne pourra croiser soit trop vague pour justifier la mise à l’écart du privilège. Cependant, si la menace de préjudice dirigée contre la masse de la population est particulièrement impérative, extrêmement grave et imminente, la mise à l’écart du privilège pourrait bien être justifiée.

Toutes les circonstances devront être prises en considération dans chaque affaire. La «gravité» renvoie à une menace telle que la victime visée risque d’être tuée ou de subir des blessures graves. En ce qui a trait à l’«imminence», la nature de la menace doit être telle qu’elle inspire un sentiment d’urgence. Ce sentiment d’urgence peut se rapporter à un moment quelconque dans l’avenir. Selon la gravité et la clarté de la menace, il ne sera pas toujours nécessaire qu’un délai précis soit fixé. Il suffit qu’il y ait une menace claire et imminente de blessures graves dirigée contre un groupe identifiable et que cette menace soit faite de manière à inspirer un sentiment d’urgence. Si, après examen de l’ensemble des facteurs pertinents, il est établi que la menace contre la sécurité publique l’emporte sur la nécessité de préserver le secret professionnel de l’avocat, ce dernier doit alors être écarté. Lorsque c’est le cas, la divulgation doit être limitée aux renseignements nécessaires à la protection de la sécurité publique.

mercredi 20 mai 2009

Possession d’une arme dans un dessein dangereux

R. c. Kerr, [2004] 2 R.C.S. 371, 2004 CSC 44

Résumé des faits
L’accusé, détenu dans un établissement à sécurité maximale, a reçu des menaces de mort de la victime, un codétenu membre d’un gang de criminels qui exerçait sa domination sur les autres détenus par l’intimidation et la violence. Le lendemain matin, comme presque tous les matins, l’accusé a caché deux armes dans son pantalon. Dans la salle à manger, la victime s’est approchée de l’accusé en brandissant un couteau de fabrication artisanale. Les deux en sont venus aux coups et la victime a été tuée d’un coup de couteau à la tête.

Analyse
Pour satisfaire les exigences du par. 88(1) du Code criminel, le ministère public doit établir (1) que l’accusé avait une arme en sa possession, et (2) que le dessein de cette possession était dangereux pour la paix publique. La seule question en litige en l’espèce concerne la question du dessein. Pour déterminer le dessein, l’application d’un critère à la fois subjectif et objectif est la démarche appropriée. Le juge des faits doit d’abord déterminer d’une manière subjective le dessein de l’accusé. Cette détermination peut comporter la prise en compte d’éléments objectifs.

Il faut se demander quel objet, à la connaissance de l’accusé, pouvait vraisemblablement découler de sa possession, que celui‑ci le désire ou non. Ensuite, le juge des faits doit décider d’une manière objective si, compte tenu de toutes les circonstances, ce dessein était dangereux pour la paix publique. Il n’y a pas de critère de dangerosité exhaustif étant donné la grande variété de situations et de circonstances dans lesquelles un danger peut survenir. À l’article 88, la notion de la « paix publique » renvoie généralement à l’ordre ou à l’état normal qui règne dans une société, mais la violence présente toujours, sans exception, un danger pour la paix publique. Il appartient au juge des faits de décider, à partir de tous les facteurs pertinents, si l’acte délibéré aurait, dans ce cas en particulier, mis en danger la paix publique.

Le fait qu’un accusé possédait une arme dans un but défensif n’est pas en soi déterminant de sa culpabilité ou de son innocence au regard de l’art. 88, et il est également clair que l’utilisation effective d’une arme d’une manière dangereuse pour la paix publique n’établit pas que la possession de l’arme visait un dessein dangereux pour la paix publique. Lorsque l’on conclut que l’accusé possédait une arme pour se défendre, ce n’est que lorsque l’attaque est absolument inéluctable que la possession d’une arme dans le but de faire échouer une attaque n’est pas une possession dans un dessein dangereux pour la paix publique.

Nombre d’indices seront pris en compte pour déterminer si l’attaque peut être évitée, y compris le lieu, l’ambiance, la nature de la menace, l’imminence du danger et l’utilisation effective de l’arme. Une conclusion selon laquelle l’accusé s’est effectivement servi de son arme d’une manière qui constitue un acte de légitime défense est pertinente eu égard à l’art. 88 mais n’est pas suffisante pour justifier un acquittement. Elle est pertinente dans la mesure où elle peut indiquer si l’intention subjective de l’accusé était vraiment de se défendre, et s’il lui était possible de se soustraire à l’attaque dans les circonstances.

Le jour de l’altercation, l’accusé était armé dans le but de se défendre face à une attaque imminente de la part de certaines personnes. Dans les circonstances, son dessein n’était pas dangereux pour la paix publique puisque l’attaque était manifestement inévitable. L’accusé avait reçu des menaces crédibles d’une attaque imminente, dans un milieu qui ne lui permettait aucunement d’y échapper et où il lui était futile de demander une protection.

Aux termes du par. 88(1), le dessein subjectif de l’accusé doit être un dessein dangereux pour la paix publique. Pour éviter d’introduire un élément objectif dans une démarche purement subjective, il faut donner un contenu concret au « dessein dangereux pour la paix publique ». Au sens du par. 88(1), il s’agit de la possession d’une arme dans l’intention de causer des lésions corporelles ou des dommages matériels, ou sans se soucier de causer des lésions corporelles ou des dommages matériels. Le paragraphe 88(1) n’exige pas que l’arme soit effectivement utilisée, mais il exige la possession ainsi qu’une intention additionnelle.

Je suis disposé à admettre, comme le propose le juge Binnie, que la « paix publique » renvoie généralement à l’ordre ou à l’état normal qui règne dans une société, mais je ne suis pas disposé à conclure, comme il le propose, que la violence présente toujours, sans exception, un danger pour la paix publique. Il appartient au juge des faits de décider, à partir de tous les facteurs pertinents, si l’acte délibéré aurait dans ce cas en particulier mis en danger la paix publique.

Intervention d'une cour d'appel relativement à l'imposition d'une sentence

R. c. L.M., 2008 CSC 31

Les tribunaux d’appel doivent faire preuve d’une grande retenue dans l’examen des décisions des juges de première instance à l’occasion d’un appel de la sentence et ne devraient intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée.  En l’espèce, la majorité de la Cour d’appel n’a pas respecté cette exigence de retenue et de déférence.  Elle s’est plutôt substituée au juge des faits et a révisé sans motif valable l’exercice de sa discrétion

[14] La jurisprudence de notre Cour a établi que les tribunaux d'appel doivent faire preuve d'une grande retenue dans l'examen des décisions des juges de première instance à l'occasion d'un appel de la sentence. En effet, une cour d'appel ne peut modifier une peine pour la seule raison qu'elle aurait prononcé une sentence différente. Elle doit être «convaincue qu'elle n'est pas indiquée», c'est-à-dire «que la peine est nettement déraisonnable»[…]

[17]                       Loin d’être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée, la détermination de la peine relève d’abord de la compétence et de l’expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus (art. 718.1 C. cr.; R. c. Johnson, 2003 CSC 46 (CanLII), [2003] 2 R.C.S. 357, 2003 CSC 46, par. 22; R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5, par. 82). Dans sa recherche d’une sentence adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l’infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel :
 
-           Les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d’isolation des délinquants, leur réinsertion sociale, ainsi que la reconnaissance et la réparation des torts qu’ils ont causés (art. 718 C. cr.);

-           le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C. cr.);

-           les principes d’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation des peines, d’identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions substitutives applicables (art. 718.2 C. cr.).

[36]                       Des peines prononcées à l’égard des mêmes catégories d’infraction ne seront pas toujours parfaitement semblables, en raison de la nature même d’un processus de détermination de la peine axé sur l’individu. En effet, le principe de la parité n’interdit pas la disparité si les circonstances le justifient, en raison de l’existence de la règle de la proportionnalité (voir Dadour, p. 18). Comme notre Cour l’a rappelé dans M. (C.A.), par. 92, « il n’existe pas de peine uniforme pour un crime donné ».  Dans un tel contexte, une cour d’appel n’est justifiée d’intervenir que si la peine qu’a infligée le juge du procès « s’écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires » (M. (C.A.), par. 92)

L'état du droit en matière de suggestion commune

Sideris c. R., 2006 QCCA 1351 (CanLII)

[9] En matière de suggestion commune, l'état du droit est maintenant bien établi. Quoique le juge ne soit pas lié par une telle suggestion (notamment lorsqu'il y a plaidoyer de culpabilité, selon l'article 606, paragr. (1.1)b)(iii), C.cr.), il ne peut pas non plus l'écarter sans respecter les règles que résume le juge Fish, alors de la Cour, dans R. v. Douglas, reflex, (2002) 162 C.C.C. (3d) 37, J.E. 2002-249 (sub. nom. Verdi-Douglas c. R.), aux paragraphes 42-43 et 51-52 :

[38] I think it important to emphasize that the joint submission in this case was the object of lengthy and detailed negotiations over a considerable period of time by experienced and conscientious counsel on both sides, with the participation of the police officers in charge of the investigation, and clearly contingent on a plea of guilty by the appellant.

[…]

[42] Canadian appellate courts have expressed in different ways the standard for determining when trial judges may properly reject joint submissions on sentence accompanied by negotiated admissions of guilt.

[43] Whatever the language used, the standard is meant to be an exacting one. Appellate courts, increasingly in recent years, have stated time and again that trial judges should not reject jointly proposed sentences unless they are “unreasonable”, “contrary to the public interest”, “unfit”, or “would bring the administration of justice into disrepute”.

[Suit, aux paragr. 44-50, une revue de la jurisprudence canadienne et d'un rapport ontarien sur le sujet.]

[51] In my view, a reasonable joint submission cannot be said to “bring the administration of justice into disrepute”. An unreasonable joint submission, on the other hand, is surely “contrary to the public interest”. Accordingly, though it is purposively framed in striking and evocative terms, I do not believe that the Ontario standard departs substantially from the test of reasonableness articulated by other courts, including our own. Their shared conceptual foundation is that the interests of justice are well served by the acceptance of a joint submission on sentence accompanied by a negotiated plea of guilty – provided, of course, that the sentence jointly proposed falls within the acceptable range and the plea is warranted by the facts admitted.

[52] Moreover, I agree with the Martin Report, cited earlier, that the reasonableness of a sentence must necessarily be evaluated in the light of the evidence, submissions and reports placed on the record before the sentencing judge (subject, of course, to amplification of that record on appeal in accordance with the applicable statutory provisions and the governing case law). I believe as well that sentencing judges are bound to ensure, by putting the appropriate questions directly to the accused, that the negotiated guilty plea is voluntary and unambiguous. A full record in both respects will be essential to meaningful appellate review in those cases, fortunately rare, where an appeal is found to be warranted.

[10] Par ailleurs, dans Boucher-Gagnon c. R., 2006 QCCA 903 (CanLII), 2006 QCCA 903, J.E. 2006-1422, au paragr. 4, la Cour explique que lorsque le juge s'apprête à rejeter une suggestion commune en faveur d'une peine différente, il doit en principe donner aux parties l'occasion de lui faire part de leurs observations. Décrivant le comportement approprié, la Cour écrit que :

[4] Il est aussi reconnu que le juge doit aviser les parties et leur donner l'occasion de réagir. Il a enfin le devoir d'exposer les motifs qui le poussent à ne pas donner suite à la suggestion commune.

[5] Lorsque le juge se conforme en tous points à cette ligne de conduite, notre Cour doit à sa décision la déférence qui s'impose de façon générale en matière de détermination de la peine. C’est le cas en l’espèce.

[6] Après avoir entendu les représentations des avocats, le juge a fait état du scepticisme qui l'animait et il s'est accordé plusieurs heures de réflexion. Il a par la suite invité les parties à lui soumettre des observations supplémentaires et accordé à l'avocat de l'appelant un délai pour que celui-ci s'entretienne avec son client. Ce dernier s’est vu autorisé à ajouter à son témoignage et le juge a tenu compte des ajouts dans ses motifs.

[Renvois omis.]

[11] Dans cette affaire, la Cour renvoie notamment à R. v. Sinclair, 2004 MBCA 48 (CanLII), (2001) 185 C.C.C. (3d) 569, où la Cour d'appel du Manitoba explique que :

15 If, after being provided with that information and those submissions, the judge is still considering departing from the joint recommendation, he or she should advise counsel of that fact and provide them with an opportunity to make further submissions, if they so wish. Counsel may be able to respond to concerns the sentencing judge may have for departing from the recommended sentence. See R. v. Thomas (O.) reflex, (2000), 153 Man. R. (2d) 98, 2000 MBCA 148, at para. 7, Broekaert, at paras. 10-11, Booh, at para. 13, and R. v. Hatt 2002 PESCAD 4 (CanLII), (2002), 163 C.C.C. (3d) 552, 2002 PESCAD 4, at para. 15.

16 If, after those submissions, the sentencing judge remains of the view that the joint submission is unfit or unreasonable, the judge may impose a different sentence, but must give clear reasons for doing so.

[12] Dans le même sens, voir également : R. v. Tkachuk, 2001 ABCA 243 (CanLII), (2001) 159 C.C.C. (3d) 434 (Alb. C.A.); R. v. G.P., 2004 NSCA 154 (CanLII), (2004) 192 C.C.C. (3d) 432 (N.S. C.A.); R. v. McKenzie, 2006 SKCA 13 (CanLII), (2006) 206 C.C.C. (3d) 569 (Sask. C.A.). Dans ce dernier arrêt, la Cour d'appel de la Saskatchewan indique que :

[17] We agree entirely with those statements. In our opinion, the trial judge erred in rejecting the joint submission and in not accepting the joint recommendations of two experienced counsel. First, the record clearly indicates that counsel made joint submissions and briefly described the facts and rationale as outlined above. They were not given an opportunity to make further submissions to justify the approach taken by them to the sentencing recommendations. Once the sentencing judge had concluded that he might not accept the joint submission fairness dictates that counsel be given an opportunity to make further submissions addressing the concerns expressed by a sentencing judge. See: R. v. G.W.C. [renvoi omis] and R. v. McKerricher.

jeudi 14 mai 2009

Aide et encouragement de la perpétration d'une infraction criminelle

Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881

Résumé des faits
Le viol collectif de la plaignante a en lieu tard la nuit dans un endroit isolé, l’emplacement d’un ancien dépo­toir où des membres d’un club de motards s’étaient réunis pour fêter. Environ dix-huit hommes ont eu des rapports sexuels avec la plaignante pendant que deux autres membres du groupe la retenaient. Elle a identifié les accusés comme étant deux des hommes qui l’avaient agressée. Les accusés ont nié le tout. Ils ont témoigné qu’ils avaient assisté à une réunion du club au dépotoir tôt le soir en question, puis qu’ils s’étaient rendus dans un cabaret où se trouvaient la plaignante et une amie. Plus tard, les accusés ont livré une certaine quantité de bière au dépotoir. Dunlop a vu une personne de sexe féminin qui était en train d’avoir des rapports sexuels; il n’a pas pu dire avec qui mais il a cru que c’était un membre du club de motards. Trois minutes plus tard, lui et son co-accusé sont partis.

Analyse
La présence au moment de la perpétration d’une infraction peut constituer une preuve d’aide et d’encou­ragement si elle est accompagnée d’autres facteurs, comme la connaissance préalable de l’intention de l’au­teur de perpétrer l’infraction ou si elle a pour but l’incitation.

La simple présence sur les lieux d’un crime n’est pas suffisante pour conclure à la culpabilité. Il faut faire quelque chose de plus: encourager l’auteur initial; faciliter la perpétration de l’infraction, comme monter la garde ou attirer la victime, ou accomplir un acte qui tend à faire disparaître les obstacles à la perpétration de l’acte criminel, comme par exemple empêcher la victime de s’échapper ou encore se tenir prêt à aider l’auteur principal

L’arrêt qui fait autorité, R. v. Coney a établi qu’une présence non accidentelle sur les lieux du crime n’équivaut pas à aide et encouragement.

Or, la règle générale applicable aux complices est qu’il doit y avoir participation à l’acte et que le témoin d’une félonie, s’il ne prend aucune part à sa perpétration et n’agit pas de concert avec son auteur, n’est pas complice pour la seule raison qu’il n’a pas tenté d’en empêcher la perpétration ou d’arrêter le félon.

et:

... Lorsque la présence est tout à fait accidentelle, elle n’est pas un élément de preuve susceptible d’établir l’aide et l’encouragement. Lorsque, prima facie, la pré­sence n’est pas accidentelle, elle constitue pour le jury un élément de preuve et rien de plus.

Une personne ne peut être, à bon droit, déclarée coupable d’avoir aidé ou encouragé l’accomplis­sement d’actes répréhensibles alors qu’elle ne savait pas qu’on avait ou pouvait avoir l’intention de les commet­tre. On doit pouvoir déduire que les accusés avaient la connaissance préalable qu’une infraction du type de celle commise était projetée

mercredi 13 mai 2009

Ce que constitue un voies de fait

R. v. BURDEN 1981 CarswellBC 614, [1982] 1 W.W.R. 193, 25 C.R. (3d) 283, 64 C.C.C. (2d) 68

18     Having regard to those considerations, it is my opinion that, when the trial judge found in the circumstances of this case that the respondent put his hand on the woman's thigh, as described, he did intentionally apply force to her person within the meaning of Code s. 244(a

Traduction libre --- Le simple fait de toucher une personne peut être un voies de fait au sens de l'article 265 lorsque ce contact a été effectué d'une manière intentionnelle sans le consentement de l'autre individu.

dimanche 10 mai 2009

L'infraction de conduite dangereuse commande l'application d'une norme objective

R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867

La mens rea dans le cas de l'infraction de conduite dangereuse devrait être appréciée objectivement mais dans le contexte de tous les événements entourant l'incident. La conduite négligente d'un véhicule automobile peut être considérée comme un continuum où l'on va de l'inattention momentanée qui entraîne la responsabilité civile, en passant par la conduite imprudente prévue au code de la route d'une province, jusqu'à la conduite dangereuse sanctionnée par le Code criminel.

L'article 249 du Code criminel commande l'application d'une norme objective. Cette norme est tout à fait indiquée étant donné la nécessité de réduire le carnage sur les routes. La prise en considération des facteurs personnels, essentielle pour la détermination de l'intention subjective, n'est, en général, pas nécessaire compte tenu des normes fixes en ce qui concerne la santé physique et mentale ainsi que de la connaissance de base de la norme de diligence que doivent avoir les titulaires de permis de conduire. Un conducteur qui a agi d'une manière objectivement dangereuse ne devrait pas être acquitté au motif qu'il ne pensait pas lors de l'accident à sa façon de conduire. De par sa nature même, la conduite d'un véhicule automobile présente souvent un aspect habituel et automatique, à tel point en fait qu'il est presque impossible de déterminer quel pouvait être l'état d'esprit d'un conducteur à un moment donné. Comme c'est sur la négligence que repose un verdict de culpabilité de conduite dangereuse, la question à se poser est donc de savoir si, du point de vue objectif, l'accusé a satisfait a la norme appropriée de diligence, et non pas de savoir si, subjectivement, il a voulu les conséquences de son acte. Il reste tout de même loisible à l'accusé de faire naître un doute raisonnable quant à savoir si une personne raisonnable aurait été consciente des risques inhérents à son comportement. Le critère est à appliquer avec souplesse dans le contexte des événements entourant l'incident en question.

Le juge des faits doit être convaincu qu'il s'agit d'un comportement qui représentait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la situation de l'accusé. Si l'accusé offre une explication, par exemple, une maladie soudaine et imprévue, il faut alors pour qu'il y ait déclaration de culpabilité que le juge des faits soit convaincu qu'une personne raisonnable dans des circonstances analogues aurait dû être consciente du risque et du danger inhérents au comportement de l'accusé.

La nature des infractions en matière de conduite automobile donne à entendre qu'un critère objectif, ou plus précisément un critère objectif modifié, convient particulièrement à la conduite dangereuse. Il y aura certes des cas où, considérée objectivement, la façon de conduire sera visiblement dangereuse, mais où l'accusé ne devrait pourtant pas être reconnu coupable. Prenons par exemple, le conducteur qui, tout à fait soudainement, souffre d'une crise cardiaque, d'une attaque d'épilepsie ou d'un détachement de la rétine. À la suite de cette maladie ou de cette incapacité physique soudaine, il conduira de façon dangereuse, mais ces circonstances pourraient constituer un moyen de défense complet malgré la démonstration objective de la conduite dangereuse. De même, un conducteur qui, sans en connaître les effets possibles et sans en avoir été averti, prend des médicaments qui lui ont été prescrits et qui, soudainement, l'affectent de manière à rendre dangereuse sa façon de conduire, pourrait également faire valoir avec succès un moyen de défense, bien que l'infraction ait été objectivement établie. Ces exemples, et d'autres vraisemblablement, servent à illustrer le but et l'objet du critère objectif modifié, qui est de permettre au tribunal de tenir compte, outre la démonstration objective de la conduite dangereuse, de la maladie soudaine et imprévue et d'autres défaillances humaines semblables.

En résumé, la mens rea dans le cas de l'infraction de conduite dangereuse devrait être appréciée objectivement mais dans le contexte de tous les événements entourant l'incident. Cette méthode répondra aux exigences tant du bon sens que de l'équité. Les facteurs personnels n'ont pas en règle générale à être pris en considération. C'est ce qui découle de l'obligation de se procurer un permis de conduire, obligation grâce à laquelle on peut être certain que tous les conducteurs ont un niveau raisonnable de santé et de capacité physiques et de santé mentale et qu'ils connaissent la norme raisonnable à laquelle sont assujettis tous les titulaires de permis de conduire.

samedi 9 mai 2009

Exposé sur le «doute raisonnable»

R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320

Il serait peut‑être utile de résumer ce que la définition devrait et ne devrait pas contenir. Les explications suivantes devraient être données:

∙ la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux, c’est‑à‑dire la présomption d’innocence;

∙ le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé;

∙ un doute raisonnable ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé;

∙ il repose plutôt sur la raison et le bon sens;

∙ il a un lien logique avec la preuve ou l’absence de preuve;

∙ la norme n’exige pas une preuve correspondant à la certitude absolue; il ne s’agit pas d’une preuve au-delà de n’importe quel doute; il ne peut s’agir non plus d’un doute imaginaire ou frivole;

∙ il faut davantage que la preuve que l’accusé est probablement coupable — le jury qui conclut seulement que l’accusé est probablement coupable doit acquitter l’accusé.

37 Par contre, certaines mentions concernant la norme de preuve requise doivent être évitées. Par exemple:

∙ le fait de décrire l’expression «doute raisonnable» comme étant une expression ordinaire, qui n’a pas de sens spécial dans le contexte du droit pénal;

∙ le fait d’inviter les jurés à appliquer la même norme de preuve que celle qu’ils utilisent, dans leur propre vie, pour prendre des décisions importantes, voire les plus importantes de ces décisions;

∙ le fait d’assimiler preuve «hors de tout doute raisonnable» à une preuve correspondant à la «certitude morale»;

∙ le fait de qualifier le mot «doute» par d’autres adjectifs que «raisonnable», par exemple «sérieux», «substantiel» ou «obsédant», qui peuvent induire le jury en erreur;

∙ le fait de dire aux jurés qu’ils peuvent déclarer l’accusé coupable s’ils sont «sûrs» de sa culpabilité, avant de leur avoir donné une définition appropriée du sens des mots «hors de tout doute raisonnable».

38 Un exposé conforme aux principes énoncés dans les présents motifs suffira, quels que soient les mots utilisés par le juge du procès. Néanmoins, il pourrait être utile, comme on le propose dans l’arrêt Girard, précité, à la p. 1591, d’établir un «modèl[e] de directives» comportant les directives nécessaires sur le sens de l’expression hors de tout doute raisonnable.

39 Les directives concernant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable applicable dans un procès pénal pourraient être formulées ainsi:

Au début du procès, l’accusé est présumé innocent. Cette présomption demeure tant et aussi longtemps que le ministère public ne vous a pas convaincus hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité à la lumière de la preuve qui vous est présentée.

Que signifie l’expression «hors de tout doute raisonnable»?

L’expression «hors de tout doute raisonnable» est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de l’histoire et des traditions de notre système judiciaire. Elle est tellement enracinée dans notre droit pénal que certains sont d’avis qu’elle se passe d’explications. Néanmoins, certaines précisions s’imposent.

Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé. Il doit reposer plutôt sur la raison et le bon sens. Il doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve.

Même si vous croyez que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans un tel cas, vous devez accorder le bénéfice du doute à l’accusé et l’acquitter, parce que le ministère public n’a pas réussi à vous convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

Cependant, vous devez vous rappeler qu’il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et que le ministère public n’est pas tenu de le faire. Une telle norme de preuve est impossiblement élevée.

En bref, si, en vous fondant sur la preuve soumise à la cour, vous êtes sûrs que l’accusé a commis l’infraction, vous devez le déclarer coupable, car cela démontre que vous êtes convaincus de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

40 Il ne s’agit pas d’une formule magique qui doit être reprise mot pour mot. Ce n’est rien de plus qu’une suggestion de formule à laquelle on ne trouverait pas à redire si elle était utilisée. Par exemple, dans les cas où entre en jeu une disposition portant inversion du fardeau de la preuve, il serait utile d’attirer l’attention du jury soit sur la preuve qui peut permettre de s’acquitter de ce fardeau soit sur l’absence de preuve à cet égard. Toute autre forme de directives qui respecterait les principes applicables et éviterait les écueils mentionnés précédemment conviendrait

mercredi 6 mai 2009

Vol et fraude visant des renseignements - L'expression "une chose quelconque" comprend‑elle les renseignements confidentiels?

R. c. Stewart, [1988] 1 R.C.S. 963

Résumé des faits
Bien qu'il soit possible de voler un document contenant des renseignements confidentiels, y a‑t‑il vol lorsqu'on se procure sans autorisation ces renseignements confidentiels en copiant le document ou en mémorisant le contenu? S'agit‑il d'une fraude?

Analyse
23. À mon avis, le texte de l'art. 283 apporte une double restriction au sens de l'expression "une chose quelconque". En premier lieu, qu'elle soit tangible ou intangible, "une chose quelconque" doit être de nature telle qu'elle peut faire l'objet d'un droit de propriété. En second lieu, il faut que le bien en question soit susceptible d'être pris ou détourné d'une manière qui occasionne une privation à la victime.

24. (...) Selon moi, il est évident que, pour faire l'objet d'un vol, "une chose quelconque" doit être un bien en ce sens qu'elle ne peut être volée que si elle appartient de quelque manière à quelqu'un. Par exemple, le fait de prendre ou de détourner l'air que nous respirons ne donnerait pas lieu à une condamnation pour vol parce que l'air n'est pas un bien.

27. (...) Mais même si les renseignements confidentiels devaient être assimilés à des biens aux fins du droit civil, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'ils seraient des biens en droit criminel. De même, le fait qu'une chose n'est pas un bien en droit civil n'est pas concluant en ce qui concerne le droit criminel. En effet, c'est en fonction du droit criminel que doit être tranchée la question de savoir si les renseignements confidentiels sont des biens aux fins du Code criminel.

36. Bien que cette conclusion suffise pour trancher le pourvoi relativement à l'accusation d'avoir conseillé de commettre un vol, je tiens également à traiter de la seconde restriction applicable à l'expression "une chose quelconque", c'est‑à‑dire qu'un bien doit pouvoir être pris ou détourné d'une manière qui entraîne une privation pour la victime. Les choses tangibles ne présentent aucune difficulté à cet égard, car on conçoit facilement qu'elles puissent être prises et détournées. Les choses purement intangibles, par contre, comme elles n'ont pas d'existence matérielle, ne peuvent évidemment faire l'objet que d'un détournement; elles ne peuvent être prises. La "prise" d'une chose intangible ne peut se produire que lorsque cette chose fait corps avec un objet tangible, par exemple un chèque, un certificat d'actions ou une liste contenant des renseignements. Toutefois, il ne s'agirait pas alors de la prise de la chose intangible elle‑même, mais plutôt de l'objet matériel qui en constate l'existence.

37. La question est donc de savoir si les renseignements confidentiels sont par leur nature susceptibles d'être pris ou détournés. À mon avis, mis à part certaines circonstances extrêmement rares et très exceptionnelles, ils ne le sont pas. Comme nous l'avons déjà vu, les renseignements eux‑mêmes ne peuvent pas être pris. Quant au détournement, il est défini comme un acte accompli à l'égard d'un bien meuble, qui est incompatible avec le droit d'une autre personne et qui la prive de l'usage et de la possession dudit bien. Les renseignements confidentiels ne sont pas d'une nature telle qu'ils peuvent être détournés parce que, si l'on s'approprie des renseignements confidentiels sans s'emparer d'un objet matériel, par exemple en mémorisant ou en copiant des renseignements ou en interceptant une conversation privée, le prétendu propriétaire ne se voit privé ni de l'usage ni de la possession de ces renseignements. Puisqu'il n'y a pas de privation, il ne peut y avoir de détournement. La victime ne serait alors privée que de la confidentialité des renseignements. Or, selon moi, la confidentialité ne peut faire l'objet d'un vol parce qu'elle ne tombe pas sous le coup de l'expression "une chose quelconque" définie précédemment.

39. (...) Comme je l'ai déjà dit, on ne peut être privé de la confidentialité parce qu'on ne peut pas en être propriétaire. On en a simplement la jouissance. (...)

40. (...)Le "droit de propriété spécial ou [l']intérêt spécial" dont parle l'al. 283(1)a) consiste en un droit de propriété et de possession sur la chose volée. Cet article envisage par exemple le cas du propriétaire d'un objet qui, l'ayant mis en gage, le vole au prêteur sur gages. Il y aurait alors vol parce que le prêteur sur gages jouit d'un droit de propriété ou intérêt spécial dans l'objet en question qu'il peut faire valoir même contre le propriétaire. Bien que la confidentialité puisse donner aux renseignements une certaine valeur, elle ne confère à personne un droit de propriété spécial ni un intérêt spécial à leur égard. Puisque les renseignements confidentiels ne sont pas des biens, il s'ensuit qu'on ne peut avoir sur une chose qui n'est pas un bien un droit de propriété et de possession. Qui plus est, je le répète, si l'inculpé n'a pas commis l'actus reus, il ne suffit pas pour établir sa culpabilité de prouver qu'il a eu l'intention requise.

43. Résumons de façon schématique: "une chose quelconque" n'est pas limitée aux choses tangibles, mais inclut les choses intangibles. Toutefois, pour pouvoir être volé, la "chose quelconque" doit être:

1. un bien de quelque sorte;

2. un bien qui puisse être

a) pris‑‑donc les choses intangibles sont exclues; ou

b) détourné‑‑donc éventuellement une chose intangible;

c) pris ou détourné d'une manière qui prive de quelque façon le titulaire de son droit sur un bien.

Pour des raisons de politique judiciaire, les tribunaux ne devraient pas, dans les affaires de vol, considérer les renseignements confidentiels comme des biens. De toute façon, même si on les considère comme des biens, ils ne peuvent être pris puisque seuls des objets tangibles peuvent l'être. Ils ne peuvent être détournés, non pas parce qu'ils sont intangibles, mais parce que le propriétaire n'en serait jamais privé, sauf dans des circonstances très exceptionnelles et fantaisistes.

44. Pour tous ces motifs, je suis d'avis que l'expression "une chose quelconque" employée au par. 283(1) du Code criminel n'englobe pas les renseignements confidentiels.

47. Dans l'arrêt R. c. Olan, précité, cette Cour a conclu qu'on établit l'élément de frustration requis par le par. 338(1) en prouvant l'existence d'une privation malhonnête. La preuve que les intérêts économiques de la victime risquent de subir un préjudice suffit pour démontrer la privation; il n'est pas nécessaire qu'il y ait une perte économique réelle.

49. Dans sa dissidence, cependant, le juge Lacourcière s'est dit d'avis que l'appelant ne s'était pas rendu coupable de cette infraction. Il a conclu que l'hôtel n'avait pas été frustré de renseignements confidentiels parce que, selon lui, ceux‑ci n'étaient ni des biens, ni de l'argent, ni des valeurs. La seule question qui restait donc à trancher était celle de savoir si l'appropriation des renseignements en question aurait entraîné un risque de perte économique constituant une privation. À ce propos, le juge Lacourcière a dit (à la p. 236):

[TRADUCTION] On reconnaît qu'il n'y a eu aucune intention de la part de l'hôtel d'utiliser les renseignements confidentiels en cause à des fins commerciales. L'hôtel n'aurait donc pas été frustré d'argent ni d'un avantage économique quelconque; tout ce qu'il risquait de perdre était le caractère confidentiel des renseignements. Quoique l'intimé eût reçu de l'argent en contrepartie des renseignements, je vois mal en quoi l'hôtel a pu subir la privation ou le préjudice exigés par l'arrêt R. c. Olan, précité. La privation aurait été claire si les renseignements confidentiels avaient revêtu la forme d'un secret industriel ou de données faisant l'objet d'un droit d'auteur ayant une valeur commerciale et dont la victime entendait tirer parti.

50. J'abonde dans le sens du juge Lacourcière pour les raisons qu'il expose dans le passage reproduit ci‑dessus.

vendredi 1 mai 2009

Effet du pardon

Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35

Le pardon obtenu par l’appelant conformément à la Loi sur le casier judiciaire ne l’autorisait pas à nier son dossier judiciaire et à répondre négativement à la question portant sur ses « démêlés avec la justice » posée par le comité de sélection des personnes aptes à être nommées juges. Une analyse objective de cette loi ne permet pas de soutenir que le pardon anéantit rétroactivement sa condamnation.

Sans faire disparaître le passé, le pardon en efface les conséquences pour l’avenir. L’intégrité de la personne réhabilitée est rétablie et elle ne doit pas subir les effets liés à sa condamnation de façon arbitraire ou discriminatoire. Même si l’on devait considérer l’opinion que s’est subjectivement formée l’appelant, la Cour d’appel a jugé que le dossier de l’appelant contenait suffisamment d’éléments de preuve tendant à démontrer qu’il connaissait le sens et la portée de la loi et qu’il les a subjectivement ignorés.