jeudi 21 mai 2009

Secret professionnel de l’avocat ‑‑ Exception relative à la sécurité publique

Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455

Résumé des fait
L’accusé a été inculpé d’agression sexuelle grave à l’endroit d’une prostituée. Son avocat l’a renvoyé à un psychiatre, espérant que ce serait utile pour la préparation de la défense ou les observations relatives à la peine dans l’hypothèse d’un plaidoyer de culpabilité. L’avocat a informé l’accusé que cette consultation était protégée par le secret professionnel de la même façon qu’une consultation avec lui. Durant son entrevue avec le psychiatre, l’accusé a décrit avec un luxe de détails le plan qu’il avait élaboré pour enlever, violer et tuer des prostituées. Le psychiatre a fait savoir à l’avocat de la défense qu’à son avis, l’accusé était un individu dangereux qui commettrait probablement d’autres crimes s’il ne recevait pas un traitement approprié. Par la suite, l’accusé a plaidé coupable à une accusation incluse de voies de fait graves. Le psychiatre a téléphoné à l’avocat de la défense pour s’informer de l’état de l’instance et il a appris que ses inquiétudes au sujet de l’accusé ne seraient pas prises en compte à l’audience de détermination de la peine. Le psychiatre a intenté la présente action pour obtenir un jugement déclarant qu’il avait le droit de divulguer les renseignements qu’il avait en main dans l’intérêt de la sécurité publique.

Analyse

Les deux parties ont fondé leurs plaidoiries sur le fait que le rapport du psychiatre est protégé par le secret professionnel de l’avocat, et c’est sous cet angle qu’il doit être examiné. Le secret professionnel de l’avocat est un principe d’une importance fondamentale pour l’administration de la justice. Il s’agit du plus important privilège reconnu par les tribunaux. Cependant, malgré son importance, ce privilège n’est pas absolu et demeure assujetti à certaines exceptions limitées, dont l’exception relative à la sécurité publique. Bien que seul un intérêt public impérieux soit susceptible de justifier la mise à l’écart du secret professionnel de l’avocat, la mise en péril de la sécurité publique peut, lorsque les circonstances s’y prêtent, justifier cette mise à l’écart.

Il faut tenir compte de trois facteurs pour déterminer si la sécurité publique a préséance sur le privilège du secret professionnel de l’avocat:

(1) Une personne ou un groupe de personnes identifiables sont‑elles clairement exposées à un danger?

(2) Risquent‑elles d’être gravement blessées ou d’être tuées?

(3) Le danger est‑il imminent?

Ces facteurs doivent être définis selon le contexte de chaque affaire et chaque cas particulier dictera le poids qu’il faut attribuer dans une affaire donnée à chacun de ces facteurs et à chacun de leurs divers aspects. En ce qui concerne la «clarté», il importe de noter qu’en règle générale, il faut toujours pouvoir établir l’identité de la personne ou du groupe visé. Dans certains cas, une grande importance pourrait être accordée à l’identification précise de la victime choisie, que ce soit une personne ou un groupe, même si le groupe est nombreux. Tout comme il se pourrait qu’une menace générale de mort ou de violence proférée à l’endroit de l’ensemble des habitants d’une ville ou d’une collectivité ou dirigée contre tous ceux que la personne pourra croiser soit trop vague pour justifier la mise à l’écart du privilège. Cependant, si la menace de préjudice dirigée contre la masse de la population est particulièrement impérative, extrêmement grave et imminente, la mise à l’écart du privilège pourrait bien être justifiée.

Toutes les circonstances devront être prises en considération dans chaque affaire. La «gravité» renvoie à une menace telle que la victime visée risque d’être tuée ou de subir des blessures graves. En ce qui a trait à l’«imminence», la nature de la menace doit être telle qu’elle inspire un sentiment d’urgence. Ce sentiment d’urgence peut se rapporter à un moment quelconque dans l’avenir. Selon la gravité et la clarté de la menace, il ne sera pas toujours nécessaire qu’un délai précis soit fixé. Il suffit qu’il y ait une menace claire et imminente de blessures graves dirigée contre un groupe identifiable et que cette menace soit faite de manière à inspirer un sentiment d’urgence. Si, après examen de l’ensemble des facteurs pertinents, il est établi que la menace contre la sécurité publique l’emporte sur la nécessité de préserver le secret professionnel de l’avocat, ce dernier doit alors être écarté. Lorsque c’est le cas, la divulgation doit être limitée aux renseignements nécessaires à la protection de la sécurité publique.

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