dimanche 30 août 2009

La contrainte / seule la conduite volontaire entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle

R. c. Ruzic, [2001] 1 R.C.S. 687, 2001 CSC 24

Sous réserve d’un contrôle de conformité avec la Constitution, le législateur conserve le pouvoir de limiter ou d’éliminer complètement l’accès à un moyen de défense en matière criminelle. Les tribunaux doivent se demander si la limitation de l’accès au moyen de défense respecte les droits garantis par la Charte. Le tribunal saisi du moyen d’inconstitutionnalité n’est pas tenu de faire preuve d’une retenue particulière en ce qui concerne les moyens de défense prévus par la loi. La détermination des cas dans lesquels il convient d’excuser une personne qui a adopté un comportement par ailleurs criminel met certes en jeu certaines valeurs, mais les moyens de défense prévus par la loi ne justifient pas une plus grande retenue du seul fait qu’ils résultent de jugements moraux complexes.

Bien que le caractère involontaire au sens moral n’annule ni l’actus reus ni la mens rea d’une infraction, il s’agit d’un principe qui, à l’instar du caractère involontaire au sens physique, mérite d’être protégé par l’art. 7 de la Charte. Un principe de justice fondamentale veut que seule la conduite volontaire — le comportement qui résulte du libre arbitre d’une personne qui a la maîtrise de son corps, en l’absence de toute contrainte extérieure — entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle et la stigmatisation que cette dernière provoque. Priver une personne de sa liberté et la marquer du stigmate de la responsabilité criminelle contreviendrait aux principes de justice fondamentale dans le cas où aucun choix réaliste ne s’offrait à elle.

L’article 17 du Code viole l’art. 7 de la Charte puisqu’il permet de déclarer criminellement responsables des individus qui ont agi involontairement. Cet article prévoit que le moyen de défense fondé sur la contrainte ne peut être invoqué que par quelqu’un qui a commis une infraction sous l’effet de menaces de mort immédiate ou de lésions corporelles proférées par une personne présente lors de l’infraction. Le sens ordinaire de l’art. 17 a une portée très restrictive. L’expression « présente lorsque l’infraction est commise », conjuguée au critère d’immédiateté, indique que l’auteur des menaces doit se trouver sur les lieux du crime ou encore à tout autre endroit où il lui sera possible de mettre ses menaces à exécution immédiatement si la personne qu’il menace refuse d’obtempérer.

En pratique, des menaces de préjudice sont rarement considérées comme immédiates si leur auteur n’est pas physiquement présent sur les lieux du crime. Les exigences d’immédiateté et de présence, prises ensemble, excluent nettement les menaces de préjudice futur. Même si l’art. 17 peut viser les menaces contre des tiers, les critères d’immédiateté et de présence entravent toujours considérablement l’accès à ce moyen de défense dans le cas de prises d’otages ou d’autres situations impliquant des tiers. La portée trop limitative de l’art. 17 viole l’art. 7 de la Charte. Le ministère public n’a pas tenté devant notre Cour de justifier les exigences d’immédiateté et de présence dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier et il ne s’est donc pas acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu de cette disposition. Quoi qu’il en soit, ces exigences ne satisferaient probablement pas au critère de proportionnalité requis par une analyse fondée sur l’article premier. En particulier, ces exigences ne semblent pas porter le moins possible atteinte aux droits que l’art. 7 garantit à l’accusée.

L’article 17 du Code n’a jamais complètement remplacé le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, qui peut toujours être invoqué par la personne qui a participé à une infraction. Le moyen de défense de common law échappe désormais aux restrictions d’immédiateté et de présence et paraît donc s’accorder davantage avec les valeurs de la Charte. Comme notre Cour l’a réitéré dans l’arrêt Hibbert, les règles de common law sur la contrainte reconnaissent qu’un accusé soumis à une contrainte ne possède pas seulement des droits, mais a également des obligations envers autrui et la société. L’accusé assume, envers les autres êtres humains, l’obligation fondamentale d’adapter sa conduite en fonction de la gravité et de la nature des menaces proférées. Le droit applicable comporte une exigence de proportionnalité entre les menaces proférées et l’acte criminel à accomplir, évaluée en fonction de la norme à la fois objective et subjective de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation similaire.

On doit s’attendre à ce que l’accusé démontre un certain courage et oppose une résistance normale aux menaces proférées. Les menaces doivent viser l’intégrité de la personne. De plus, elles doivent priver l’accusé de tout moyen de s’en sortir sans danger, selon la norme de la personne raisonnable placée dans une situation similaire.

À l’avenir dans les cas d’utilisation du moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, le juge du procès devrait donner au jury des directives claires sur ses éléments constitutifs, dont la nécessité d’un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer. L’attention du jury devrait être également attirée sur la nécessité de procéder à une appréciation à la fois objective et subjective du critère du moyen de s’en sortir sans danger.

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