dimanche 30 août 2009

Aider et encourager / quelqu’un qui agit pour le compte d’un acheteur de stupéfiants peut être jugé comme ayant participé à l’infraction de trafic

R. c. Greyeyes, 1997 CanLII 313 (C.S.C.)

25. Peut‑on conclure que la personne qui agit à titre de mandataire d’un acheteur de stupéfiants, ou qui aide un acheteur à acquérir des stupéfiants, participe à l’infraction de trafic au sens du par. 21(1) du Code, en aidant ou en encourageant à vendre des stupéfiants? À mon avis, il faut répondre qu’il est effectivement possible de conclure que cette personne a participé à l’infraction.

26. Les termes «aider» et «encourager» sont souvent utilisés ensemble pour déterminer si des personnes ont participé à une infraction. Bien que leur sens soit semblable, ce sont des concepts distincts: R. c. Meston (1975), 28 C.C.C. (2d) 497 (C.A. Ont.), aux pp. 503 et 504. Aider, au sens de l’al. 21(1)b), signifie assister la personne qui agit ou lui donner un coup de main: Mewett & Manning on Criminal Law (3e éd. 1994), à la p. 272; E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (2e éd. 1987 (feuilles mobiles)), à la p. 15‑7, par. 15:2020 (publié en mai 1997). Encourager, au sens de l’al. 21(1)c), signifie notamment inciter et instiguer à commettre un crime, ou en favoriser ou provoquer la perpétration: Mewett & Manning on Criminal Law, op. cit., à la p. 272; Criminal Pleadings & Practice in Canada, op. cit., à la p. 15‑11, par. 15:3010 (publié en décembre 1996).

28. Dans l’arrêt Meston, précité, la Cour d’appel de l’Ontario s’est demandé si un acheteur de drogue aide ou encourage le vendeur. Dans cette affaire, l’accusation de trafic résultait de la vente d’environ trois quarts de livre de marijuana. Le juge Martin a convenu, au nom de la cour, qu’en principe la conduite d’un acheteur qui encourage la vente d’une substance qu’il sait qu’il est illégal pour le vendeur de vendre relève du sens ordinaire du mot «encourage» utilisé au par. 21(1)c) du Code. Par conséquent, l’acheteur devrait être participant à l’infraction de vente.

29. Cependant, le juge Martin a ensuite examiné l’arrêt de notre Cour Poitras c. La Reine, 1973 CanLII 156 (C.S.C.), [1974] R.C.S. 649. Les motifs de cet arrêt l’ont convaincu qu’un acheteur ne devrait pas, du seul fait de l’achat qu’il a effectué, être considéré comme ayant participé à l’infraction de trafic. À la page 507, le juge Martin renvoie au passage suivant des motifs de dissidence du juge Laskin (plus tard Juge en chef), tiré de la p. 655 de l’arrêt Poitras:

. . . vu que la possession d’un stupéfiant est une infraction, et qu’il incombe à l’accusé qui nie sa culpabilité à une accusation portée en vertu de l’art. 4, par. 2, d’établir qu’il n’était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic (voir l’art. 8 de la Loi), il y aurait, à mon avis, incongruité à transformer un simple acheteur en un trafiquant en ayant recours à l’art. 21 du Code criminel pour suppléer au manque de définition.

Il a ensuite conclu qu’il ressortait implicitement des motifs que le juge Dickson (plus tard Juge en chef) avait rédigés au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Poitras, que lui aussi acceptait que la personne qui achète un stupéfiant n’en fait pas, pour autant, le trafic. Je suis d’accord avec cette conclusion.

30. Les dispositions de la Loi sur les stupéfiants qui ont trait à la possession d’un stupéfiant permettant de prétendre que l’acheteur est dans une situation exceptionnelle et ne devrait pas être considéré comme ayant participé à l’infraction de trafic simplement en raison de l’achat qu’il a fait. Le mot «trafic» défini à l’art. 2 de la Loi s’entend notamment de la fabrication, de la vente, du transport, de la livraison et de la distribution, mais non de l’achat, d’un stupéfiant. Cependant, le par. 3(1) de la Loi prévoit que la possession d’un stupéfiant constitue une infraction. En outre, bien qu’il ait été jugé que la disposition portant inversion du fardeau de la preuve contrevient à l’al. 11d) de la Charte (voir R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (C.S.C.), [1986] 1 R.C.S. 103), le fait que le par. 8(2) soit allé jusqu’à prévoir que l’accusé visé par une conclusion de possession d’un stupéfiant a la charge de démontrer qu’il n’avait pas l’intention d’en faire le trafic, présente un intérêt historique quant à l’intention du Parlement. Le Parlement a établi un régime législatif clair concernant la culpabilité des personnes impliquées dans l’achat de stupéfiants. Comme le juge Martin l’a conclu dans l’arrêt Meston, précité, à la p. 507:

[traduction] Si l’acheteur qui a encouragé la vente d’un stupéfiant à lui‑même ne peut être déclaré coupable de trafic, ce doit être parce que la Loi sur les stupéfiants révèle l’intention du législateur qu’un simple acheteur n’encoure aucune responsabilité quant à l’infraction de trafic commise par le vendeur.

Une observation semblable est faite dans le texte utile Criminal Pleadings & Practice in Canada, op. cit., à la p. 15‑9, par. 15:2090 (publié en mai 1997):

[traduction] Il semble que l’acheteur de drogue, bien qu’il se trouve, en fait, à aider ou à encourager le vendeur, n’aide pas ou n’encourage pas, en droit, le vendeur, c’est‑à‑dire le trafiquant de drogue, étant donné que l’acheteur commet l’infraction distincte (lorsqu’il achète la drogue) de possession simple de drogue ou de possession de drogue en vue d’en faire le trafic. [En italique dans l’original.]

31. Il ne fait sûrement aucun doute que la personne qui achète un stupéfiant doit aider le vendeur à réaliser la vente. Sans l’acheteur, il ne saurait y avoir de vente du stupéfiant. Cependant, le Parlement a choisi d’aborder la question de la culpabilité des acheteurs d’une façon différente. Dès qu’une personne entre en possession d’un stupéfiant, elle peut être accusée de possession ou de possession en vue du trafic. Pourtant, il est clair que la définition de «trafic» ne s’applique pas à elle. Elle ne peut pas non plus, du seul fait de l’achat, être déclarée coupable d’avoir aidé ou encouragé à commettre l’infraction de trafic. Le Parlement a défini d’autres infractions dont l’acheteur peut être accusé en raison de l’achat qu’il effectue.

32. Il faut souligner que le législateur n’a prévu à l’égard de ceux qui aident l’acheteur ou qui agissent pour son compte, aucune intention semblable à celle prévue à l’égard des acheteurs. Le trafic de la drogue, de par sa nature même, est une entreprise qui implique et dépend de nombreux «intermédiaires». Si l’exception qui s’applique aux acheteurs était également appliquée aux mandataires de l’acheteur, ceux-ci pourraient alors échapper à toute responsabilité. Il ne devrait pas en être ainsi. Il n’y a tout simplement aucune raison d’appliquer l’exception concernant les acheteurs à ceux qui aident ou encouragent des acheteurs dans le cadre d’une vente illégale. Les activités du mandataire d’un acheteur ou d’une personne qui aide un acheteur à acquérir des stupéfiants relèvent certainement de la définition des mots «aider» ou «encourager» que l’on trouve au par. 21(1) du Code. En réunissant la source d’approvisionnement et l’acheteur éventuel, ces personnes aident évidemment à la vente de stupéfiants. Agir comme porte‑parole d’un acheteur a pour effet d’aider l’acheteur et le vendeur à conclure un marché. Il s’ensuit que le mandataire d’un acheteur ou la personne qui aide l’acheteur à acquérir la drogue peuvent être déclarés, à bon droit, coupables d’avoir participé à l’infraction de trafic, au sens du par. 21(1) du Code.

33. Ce point de vue est appuyé par l’arrêt Poitras, précité. Dans cette affaire, un agent d’infiltration de la GRC s’était adressé à Poitras pour lui demander deux grammes de haschich. Poitras avait répondu qu’il s’en allait en chercher à une maison située près de là, et avait accepté l’argent de l’agent d’infiltration. Une vingtaine de minutes plus tard, une connaissance qui avait présenté l’agent d’infiltration à Poitras et qui avait assisté à la conclusion du marché a livré le haschich à l’agent d’infiltration dans un bar local. Poitras a été accusé d’avoir fait le trafic de haschich ou d’avoir aidé au trafic de haschich. Le juge du procès a déclaré l’accusé non coupable pour le motif que la preuve pouvait autant laisser croire que l’accusé avait agi seulement pour le compte du policier qui avait acheté le haschich, que laisser croire qu’il avait participé au trafic. Il avait donc un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.

34. Le juge Dickson a conclu, au nom de la Cour à la majorité, que le juge du procès avait commis une erreur dans son raisonnement. Il a fait remarquer que, même s’il se pouvait que Poitras ait agi pour le compte du policier, cela ne l’empêchait pas d’être coupable de trafic ou d’avoir aidé à commettre l’infraction de trafic. Il a fait observer ce qui suit, à la p. 653:

On a soutenu pour l’appelant que le mot «acheter» ne figure pas dans la définition de «trafic» dans la Loi sur les stupéfiants; par conséquent, un simple acheteur ne trafique pas et un mandataire de l’acheteur s’abrite sous la même couverture. Je ne suis pas d’accord. On ne peut pas appliquer dans ce contexte les règles du droit civil concernant le «mandat». Le «mandat» ne sert pas à rendre non criminel un acte auquel s’attacheraient autrement des conséquences criminelles. Même si l’on pouvait dire que l’appelant était un «mandataire» du gendarme Arsenault pour les fins de la responsabilité civile, ses activités peuvent néanmoins équivaloir à faire le trafic de stupéfiants ou à aider à un tel trafic

La Cour à la majorité était ainsi disposée à accepter qu’il est possible de conclure que quelqu’un qui a agi pour le compte d’un acheteur a aidé au trafic de stupéfiants.

35. En résumé, quelqu’un qui agit pour le compte d’un acheteur de stupéfiants peut être jugé comme ayant participé à l’infraction de trafic, au sens du par. 21(1) du Code. Il en est ainsi parce que cette personne aide à la perpétration d’une infraction en amenant l’acheteur au vendeur. Sans cette intervention ou aide, la vente n’aurait jamais lieu. Il n’y a rien dans la Loi sur les stupéfiants, dans les principes de droit criminel applicables ou dans des motifs de politique générale qui indique qu’un statut spécial devrait être accordé aux personnes qui aident des acheteurs de drogue, de manière à les soustraire à l’application des dispositions claires de l’art. 21 du Code.

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