jeudi 10 décembre 2009

Pouvoir de common law en matière de prises d'empreintes digitales

R. c. Bourque, 1995 CanLII 4764 (QC C.A.)

Il me semble que, quoiqu'il en soit, si on se retrouve en présence d'une fouille, il faut analyser celle-ci sous l'angle des critères dégagés par la Cour suprême selon les circonstances de chaque cas.

Nous ne sommes pas non plus dans la situation de décider de la constitutionnalité d'une disposition législative qui autorise le bertillonnage. La Cour suprême a eu l'occasion de se prononcer sur l'article 2 de la Loi sur l'identification des victimes d'actes criminels pour conclure qu'il s'agit là d'une disposition qui ne viole pas les droits fondamentaux des personnes arrêtées et mises en accusation.

L'ARTICLE 8 DE LA CHARTE CANADIENNE

Il me paraît, dans un premier temps, que la Charte ne garantit pas le droit des individus à la vie privée. Les auteurs affirment même que ce droit a été expressément exclu par les rédacteurs de la Charte. La jurisprudence et les auteurs ont plutôt vu, à travers le droit garanti par l'article 8 contre les fouilles, saisies et perquisitions abusives, l'existence implicite d'une expectative raisonnable quant à la vie privée («reasonable expectation of privacy»). C'est dans ce contexte d'expectative raisonnable qu'il faut analyser les droits des accusés qui soulèvent la violation de ce droit.

Le juge La Forest, dans l'affaire Beare, s'exprimait de la façon suivante quant à l'expectative raisonnable d'une personne détenue: (p. 413)

Il me semble que, lorsqu'une personne est arrêtée parce qu'il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu'elle a commis un crime grave ou lorsqu'il a été démontré qu'il y a lieu de délivrer une sommation ou un mandat d'arrestation ou de confirmer une citation à comparaître, l'intéressé doit s'attendre à une atteinte importante à sa vie privée. Il doit s'attendre à ce qu'en corollaire à sa mise sous garde, il sera mis sous observation et devra se soumettre à la prise de mensurations, etc. La prise des empreintes digitales est de cette nature. Certains peuvent évidemment trouver le procédé déplaisant, mais il est anodin, ne prend que très peu de temps et ne laisse aucune séquelle durable. Rien n'est introduit dans le corps et il n'en est prélevé aucune substance.

Cela démontre bien, à mon avis, que l'expectative raisonnable de vie privée prend une coloration différente lorsqu'il s'agit de personnes légalement arrêtées et détenues et ce, même lorsqu'il s'agit de procédures aussi intrusives que la prise et l'analyse d'échantillons sanguins.

L'ARRÊT BEARE

Comme je l'ai mentionné précédemment, Beare soulevait devant les tribunaux que l'article 2 de la Loi sur l'identification des criminels n'était pas conforme aux exigences de la Charte des droits et libertés et violait les articles 7 et 8 de cette Charte. Je précise, pour faire plus tard les distinctions qui s'imposeront, que Beare avait été mis en accusation au moment où les empreintes digitales et les photos avaient été prises. Le juge de première instance en était venu à la conclusion que l'article 2 de la Loi sur l'identification des criminels ne contrevenait pas à la Charte. La Cour d'appel de la Saskatchewan, à la majorité, renversait cette décision et jugeait que, dans la mesure où la disposition de la Loi autorisait la prise d'empreintes digitales d'une personne non-reconnue coupable, elle violait l'article 7 de la Charte. La Cour d'appel concluait également, à la majorité, que la disposition en question ne pouvait pas être sauvegardée par l'article 1. Saisie du pourvoi contre cette décision, la Cour suprême du Canada, dans un arrêt unanime, décidait que cet article ne violait ni l'article 7, ni l'article 8 de la Charte, et faisait droit au pourvoi logé par la Couronne.

Pour ce qui est de l'article 8, constatant l'absence de débat et la difficulté dans ces circonstances de traiter de la question, le juge La Forest s'exprimait de la façon suivante: (p.414)

L'article 8 garantit le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. À supposer qu'on puisse considérer le prélèvement d'empreintes digitales comme une fouille (une opinion rejetée dans les affaires qui en traitent; voir R. v. McGregor reflex, (1983), 3 C.C.C. (3d) 200 (H.C. Ont.), et Re M.H. and the Queen (No. 2) reflex, (1984), 17 C.C.C. (3d) 443) (B.R. Alb.) conf. sans motifs écrits reflex, (1985), 21 C.C.C. (3d) 384 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi en cette Cour accordée le 19 septembre 1985,[1985] 2 R.C.S. ix), il semble clair que la prise des empreintes digitales n'est pas déraisonnable dans les présentes espèces pour les mêmes raisons qu'il ne viole pas les principes de justice fondamentale.

L'on ne peut que constater, dans un premier temps, que la Cour suprême n'affirme pas que la prise d'empreintes digitales est une fouille et souligne, plutôt, l'existence d'une majorité de décisions à l'effet contraire.

Dans ces circonstances, je tiendrai donc pour acquis, sans en décider, qu'il s'agit d'une fouille et ne discuterai pas l'admission à cet effet du substitut. Je me contenterai cependant de souligner à cet effet que, depuis en particulier l'affaire Borden précitée, la Cour suprême a qualifié de saisie toute prise, sans consentement d'un citoyen, de quelque chose dont le citoyen peut raisonnablement croire qu'il s'agisse d'un élément à caractère confidentiel.

Abordant l'article 7 de la Charte, la Cour suprême discute d'abord de la nature même et de la gravité de la violation alléguée. Comparant le prélèvement d'empreintes avec d'autres aspects du processus d'arrestation et d'identification des criminels, le juge La Forest s'exprime comme suit, après avoir souligné les appréhensions de la majorité des juges de la Cour d'appel de l'Ontario quant à l'humiliation et au caractère désagréable du procédé: (pp. 403-404)

La majorité des juges de la Cour d'appel ont souligné que, pour beaucoup de gens, il est humiliant d'être soumis à un prélèvement d'empreintes digitales, et il est indéniable que, pour beaucoup, le procédé est déplaisant. Mais il faut rappeler que l'obligation, d'intérêt public, de faire respecter la loi contraint l'individu à se soumettre à d'autres procédures tout aussi déplaisantes. Il est déplaisant d'être accusé d'une infraction, et cela est même extrêmement désagréable dans le cas de certains crimes, sans parler de la honte de l'arrestation, de la détention et de l'obligation de répondre de l'inculpation au procès. Comme le juge en chef Dickson le dit dans l'arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (C.S.C.), [1986] 1 R.C.S. 103, aux pp. 119 et 120:

Un individu accusé d'avoir commis une infraction criminelle s'expose à de lourdes conséquences sociales et personnelles, y compris la possibilité de privation de sa liberté physique, l'opprobre et l'ostracisme de la collectivité, ainsi que d'autres préjudices sociaux, psychologiques et économiques.

Les flétrissures liées à ces aspects ordinaires de l'application de la loi et de la justice criminelle dépassent de loin tout sentiment d'indignité que susciterait la prise d'empreintes digitales. Et pourtant je ne pense pas que, lorsqu'il y a des motifs probables et raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction, on puisse sérieusement soutenir que la soumettre à l'une ou l'autre de ces procédures viole les principes de justice fondamentale.

L'application de l'art. 2 de la Loi sur l'identification des criminels est limitée aux personnes légalement sous garde, ou présumées telles, qui sont accusées ou qui ont été reconnues coupables d'un acte criminel. Il faut souligner que la common law autorise plusieurs autres atteintes, à mon avis beaucoup plus graves, à la dignité de l'individu ou des personnes sous garde dans l'intérêt de l'application de la loi. Au cours d'une arrestation licite, un agent de la paix a le droit de procéder à la fouille de la personne arrêtée et de confisquer tout bien qu'il a des raisons de croire lié à l'infraction reprochée, ou toute arme trouvée sur elle; voir R. v. Morrison 1987 CanLII 182 (ON C.A.), (1987), 20 O.A.C. 230. Ce pouvoir est fondé sur la nécessité de désarmer le prévenu et de réunir des preuves. En détention, après l'arrestation, le prévenu peut être déshabillé. Plus pertinent encore, la taille, le poids et les marques corporelles, naturelles ou artificielles, comme les taches de naissance ou les tatouages, peuvent servir à des fins d'identification; voir Adair v. M'Garry, [1933] S.L.T. 482 (J.).

Ces mesures sont autorisées parce que la collectivité reconnaît qu'il faut doter la force policière de moyens adéquats et raisonnables d'investigation du crime. La prise d'empreintes digitales doit-elle être assimilée à ces procédés? De nombreuses considérations, nous venons de le voir, plaident en faveur de cette position. La rapidité et la facilité de l'identification et de la découverte d'indices de culpabilité ou d'innocence ont une grande importance dans les enquêtes criminelles. Cela, ajouté à la certitude à laquelle elle permet d'arriver, point toujours critique quand il s'agit de justice criminelle, a généralisé la prise des empreintes digitales par les forces policières du monde entier. Ce qu'il faut vraiment décider, c'est si, dans les circonstances, ce procédé porte indûment atteinte aux droits de l'inculpé.

Pour trancher une telle question, il faut garder le sens des proportions. Le prélèvement d'empreintes digitales constitue-t-il une atteinte plus grave aux droits du prévenu sous garde qu'un examen corporel, à la recherche de taches de naissance ou autres? Je ne le pense pas et, comme je l'ai noté, être arrêté et accusé d'une infraction me semble beaucoup plus grave.

Cette décision me semble conclure que l'atteinte physique est minime, que l'humiliation n'est certes pas plus importante que celle qui entoure la mise en accusation, l'arrestation ou d'autres processus existant en matière de droit criminel.

Il me semble également que la Cour conclut à l'absence de violation de la justice fondamentale lorsqu'il s'agit de prise des empreintes de personnes en détention.

C'est donc dans un contexte d'arrestation légale et de motifs raisonnables et probables de croire que les frères Bourque étaient liés au trafic de stupéfiants qu'il faut voir cette affaire.

L'expectative raisonnable de vie privée des frères Bourque, dans un pareil contexte, me paraît tout aussi minime que la supposée violation de leurs droits fondamentaux. Qu'ils n'aient pas immédiatement, dans les minutes qui ont suivi, été mis en accusation ne me semble rien changer au caractère légal de leur arrestation, à l'époque où elle a été faite et à l'époque, donc, où ont été prises les empreintes digitales.

Dans un tel contexte, mais il se pourrait que dans un autre contexte la solution soit tout à fait différente, je ne vois pas en quoi la prise d'empreintes digitales pourrait constituer une fouille abusive.

Je suis donc d'avis que, pour ces seuls motifs, l'appel doit échouer.

Je précise cependant que, même s'il devait s'agir d'une violation de l'article 7 ou de l'article 8 de la Charte, je suis d'avis que l'appel devrait également être rejeté parce que, selon moi, les critères développés par la jurisprudence pour l'exclusion de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) ne sont pas rencontrés.

Évidemment, la prise d'empreintes digitales a facilité la preuve, il n'est pas question de nier cet aspect, mais je suis d'avis, cependant, que l'équité du procès n'a pas été atteinte.

Il faut maintenant examiner le troisième facteur, soit l'effet de l'exclusion de la preuve. Dans un arrêt unanime récent, le juge Sopinka, au nom de la Cour, écrivait: (p. 260)

Le troisième «facteur» à examiner relativement à la décision à prendre en vertu du par. 24(2) a trait à l'effet de l'exclusion de la preuve sur l'administration de la justice. Je suis d'accord avec l'analyse du juge Southin quant à l'effet de la gravité de l'infraction. Plus l'infraction est grave, plus la probabilité est grande que l'exclusion des éléments de preuve soit susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, particulièrement s'ils sont essentiels à une déclaration de culpabilité.

Il me semble donc qu'a fortiori lorsque la violation, si tant est qu'elle existe, est minime, il n'y a pas lieu d'exclure la preuve et que c'est davantage l'exclusion de la preuve que son admission qui déconsidèrerait l'administration de la justice.

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