Poulin c. R., 2009 QCCA 2339 (CanLII)
[35] Comme l'indique l'art. 606(1.1)(b)iii) C.cr., un juge de première instance n'est pas lié par une suggestion commune. Cette possibilité doit être expliquée à l'accusé avant qu'il plaide coupable à la suite de négociations, ce qui a été fait en l'espèce.
[36] Si le juge de première instance est enclin à ne pas suivre la suggestion commune, il doit suivre la procédure décrite dans les arrêts Boucher-Gagnon c. R., 2006 QCCA 903 (CanLII), 2006 QCCA 903, J.E. 2006-1422; Sideris c. R., 2006 QCCA 1351 (CanLII), 2006 QCCA 1351, J.E. 2006-2149; Henley c. R., [2007] J.Q. no 8695; voir aussi R. v. McKenzie, 2006 SKCA 13 (CanLII), (2006), 206 C.C.C. (3d) 569 (Sask. C.A.).
[37] Si, une fois cette procédure suivie, le juge de première instance décide de ne pas suivre la suggestion commune, il doit s'en expliquer. La Cour d'appel du Manitoba dans l'arrêt R. v. Sinclair, 2004 MBCA 48 (CanLII), (2004), 185 C.C.C. (3d) 569 (Man. C.A.), résume ainsi le fardeau du juge lorsqu'il veut rejeter la recommandation commune des parties :
(1) While the discretion ultimately lies with the court, the proposed sentence should be given very serious consideration.
(2) The sentencing judge should depart from the joint submission only when there are cogent reasons for doing so. Cogent reasons may include, among others, where the sentence is unfit, unreasonable, would bring the administration of justice into disrepute or be contrary to the public interest.
(3) In determining whether cogent reasons exist (i.e., in weighing the adequacy of the proposed joint submission), the sentencing judge must take into account all the circumstances underlying the joint submission. Where the case falls on the continuum among plea bargain, evidentiary considerations, systemic pressures and joint submissions will affect, perhaps significantly, the weight given the joint submission by the sentencing judge.
[…]
(5) The sentencing judge must then provide clear and cogent reasons for departing from the joint submission. Reasons for departing from the proposed sentence must be more than an opinion on the part of the sentencing judge that the sentence would not be enough. The fact that the crime committed could reasonably attract a greater sentence is not alone reason for departing from the proposed sentence. The proposed sentence must meet the standard described in para. 2, considering all of the principles of sentencing, such as deterrence, denunciation, aggravating and mitigating factors, and the like.
[38] En somme, un juge ne peut écarter une suggestion commune que si elle est déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Le juge Fish, alors de la Cour, dans R. v. Douglas, reflex, (2002), 162 C.C.C. (3d) 37, J.E. 2002-249 (sub. nom. Verdi-Douglas c. R.), écrit :
[38] I think it important to emphasize that the joint submission in this case was the object of lengthy and detailed negotiations over a considerable period of time by experienced and conscientious counsel on both sides, with the participation of the police officers in charge of the investigation, and clearly contingent on a plea of guilty by the appellant.
[…]
[42] Canadian appellate courts have expressed in different ways the standard for determining when trial judges may properly reject joint submissions on sentence accompanied by negotiated admissions of guilt.
[43] Whatever the language used, the standard is meant to be an exacting one. Appellate courts, increasingly in recent years, have stated time and again that trial judges should not reject jointly proposed sentences unless they are "unreasonable", "contrary to the public interest", "unfit", or "would bring the administration of justice into disrepute".
[...]
[51] In my view, a reasonable joint submission cannot be said to "bring the administration of justice into disrepute". An unreasonable joint submission, on the other hand, is surely "contrary to the public interest". Accordingly, though it is purposively framed in striking and evocative terms, I do not believe that the Ontario standard departs substantially from the test of reasonableness articulated by other courts, including our own. Their shared conceptual foundation is that the interests of justice are well served by the acceptance of a joint submission on sentence accompanied by a negotiated plea of guilty - provided, of course, that the sentence jointly proposed falls within the acceptable range and the plea is warranted by the facts admitted.
[52] Moreover, I agree with the Martin Report, cited earlier, that the reasonableness of a sentence must necessarily be evaluated in the light of the evidence, submissions and reports placed on the record before the sentencing judge (subject, of course, to amplification of that record on appeal in accordance with the applicable statutory provisions and the governing case law). I believe as well that sentencing judges are bound to ensure, by putting the appropriate questions directly to the accused, that the negotiated guilty plea is voluntary and unambiguous. A full record in both respects will be essential to meaningful appellate review in those cases, fortunately rare, where an appeal is found to be warranted.
[39] Commentant l’état de la jurisprudence, Pierre Béliveau et Martin Vauclair écrivent dans Traité général de preuve et procédure pénales, 16e éd., Éd. Yvon Blais, 2009, à la page 782 :
1955. La jurisprudence récente s’est montrée de plus en plus exigeante à cet égard, allant jusqu’à une quasi-reconnaissance juridique de cette pratique. D’ailleurs, dans l’arrêt Cerasuolo, la Cour d’appel de l’Ontario a pris acte que la négociation de plaidoyer est une démarche qui amène l’accusé à renoncer à son droit à un procès par jury et à la présomption d’innocence. Le juge Finlayson a qualifié de louable cette initiative qui réduit la durée du processus judiciaire. La défense doit donc avoir l’assurance que le juge y donnera suite dans la plupart des cas. Il a précisé que cette approche n’interfère pas avec l’indépendance judiciaire si le juge explique qu’il suivra la recommandation commune si elle ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et qu’elle ne déconsidère pas l’administration de la justice. Dans l’arrêt Druken, la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador est allée jusqu’à reconnaître qu’il est normal que la peine retenue soit, tout en étant un minimum acceptable, plus clémente que celle normalement attribuée, afin qu’elle constitue une légitime incitation de plaidoyer de culpabilité de l’accusé.
[40] François Dadour dans De la détermination de la peine : principes et applications, Lexis Nexis, 2007, à la page 38, souligne l’importance de certains facteurs qui militent contre un rejet d’une suggestion commune :
Le fait que la suggestion commune soit présentée par des avocats d’expérience est également un facteur qui doit être pris en compte. Il en va de même quant au fait que les négociations entre les parties aient été longues et détaillées. Un facteur qui apparaît essentiel à la juste considération des suggestions communes de la part du juge d’instance est que les parties ont une connaissance plus exhaustive des faits et des circonstances de l’accusé que ne peut en avoir le juge.
[41] Qu'en est-il en espèce?
[42] Avec égards pour la juge de première instance, je suis d'avis que les faits du dossier ne lui permettaient pas d'écarter la suggestion commune :
- suggestion négociée par des avocats d'expérience, l'avocate du ministère public jouissant d’une expertise dans le domaine des conduites avec facultés affaiblies causant la mort ou des blessures;
- suggestion commune négociée avant le plaidoyer de culpabilité de l'accusé dans le premier dossier, où le ministère public a déclaré qu'il anticipait certaines difficultés de preuve;
- suggestion commune négociée en tenant compte d'un plaidoyer de culpabilité dans les autres dossiers et après de longues discussions;
- suggestion commune se situant dans la fourchette à l’époque des peines imposées en matière de facultés affaiblies causant la mort puisque correspondant à 36 mois d'emprisonnement en tenant compte du temps en détention provisoire et des conséquences qui ont résulté de cette détention (hospitalisation pendant plusieurs semaines);
- suggestion individualisée tenant compte de l'absence d'antécédents judiciaires, du jeune âge et de l'état de santé de l'appelant;
- maintien de la suggestion commune malgré le témoignage de M. V… le 10 octobre 2008 qui démontrait une certaine attitude de l'appelant par rapport aux conditions imposées. Quoique cette preuve nouvelle démontre une certaine propension de l'appelant à ne pas respecter les conditions imposées par le tribunal, elle ne permettait pas, à elle seule, de conclure que la peine suggérée était déraisonnable et qu'il y avait alors lieu d'écarter la suggestion commune qui avait entraîné un plaidoyer de culpabilité sous un chef des plus sérieux, facultés affaiblies causant la mort;
- prise en considération par la juge de facteurs non pertinents, comme le fait que le ministère public a poursuivi par procédure sommaire l’infraction de garde d’un véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies (ce qui relève de la prérogative de la poursuite) et la « qualité » du résumé de jurisprudence qui lui fut remis.
[43] Dans ces circonstances, la suggestion commune ne pouvait être qualifiée de « déraisonnable, inadéquate, contraire à l’intérêt public et de nature à déconsidérer l’administration de la justice ». Il faut d’ailleurs rappeler que l’appelant a décidé de plaider coupable aux infractions les plus graves, sur la base de cette suggestion, malgré l’admission de la poursuite de certaines faiblesses de sa preuve.
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