R. c. Godin, 2009 CSC 26 (CanLII)
[18] Notre Cour a établi le cadre juridique applicable en l’espèce dans Morin, aux p. 786‑789. Pour déterminer si un délai est déraisonnable, il faut considérer la longueur du délai, déduction faite des périodes auxquelles la défense a renoncé, puis examiner les raisons du délai, le préjudice subi par l’accusé et les intérêts que l’al. 11b) vise à protéger. Par la force des choses, cette démarche demande souvent un examen minutieux de différentes périodes et d’une foule de questions factuelles concernant les raisons de certains retards. Toutefois, au cours de cette examen minutieux, il faut veiller à ce que l’attention que nous portons aux détails ne nous fasse pas perdre de vue l’ensemble de la situation.
[30] Dans le présent contexte, la question du préjudice est liée aux trois intérêts de l’accusé que l’al. 11b) est destiné à protéger : sa liberté, en ce qui touche sa détention avant procès ou ses conditions de mise en liberté sous caution; la sécurité de sa personne, c’est‑à‑dire ne pas avoir à subir le stress et le climat de suspicion que suscite une accusation criminelle; et le droit de présenter une défense pleine et entière, dans la mesure où les délais écoulés peuvent compromettre sa capacité de présenter des éléments de preuve, de contre‑interroger les témoins ou de se défendre autrement. Voir Morin, p. 801‑803.
[31] La question du préjudice ne peut être envisagée séparément de la longueur du délai. Pour reprendre les propos du juge Sopinka, dans Morin, à la p. 801, même en l’absence de preuve particulière d’un préjudice, « on peut déduire qu’il y a eu préjudice en raison de la longueur du délai. Plus le délai est long, plus il est vraisemblable qu’on pourra faire une telle déduction ».
[36] Le juge Glithero, dissident en Cour d’appel, a bien décrit aux par. 69‑74 en quoi la capacité de l’appelant de présenter une défense pleine et entière était compromise. Il a souligné que le sort de l’appelant dépendait vraisemblablement de la crédibilité des témoignages et, en particulier, du contre‑interrogatoire (...)
[37] Il est difficile de mesurer le risque d’atteinte à la capacité de l’appelant de présenter une défense pleine et entière, mais il importe de garder à l’esprit que ce risque découle d’un délai auquel il n’a pratiquement pas contribué. Dans leur analyse, les juges majoritaires de la Cour d’appel n’ont pas apprécié correctement, selon moi, la longueur du retard à mener à procès cette affaire somme toute assez simple. Comme je l’ai déjà mentionné, on peut déduire de la longueur du délai qu’il y a eu préjudice.
[38] De plus, la conclusion que le risque d’atteinte à la capacité de l’appelant de présenter une défense pleine et entière n’est pas quantifiable ne signifie pas que le délai global était raisonnable sur le plan constitutionnel. La preuve d’une atteinte réelle au droit de présenter une défense pleine et entière n’est pas toujours requise pour établir un manquement à l’al. 11b). Il ne s’agit là que de l’un des trois types de préjudice qui doivent être pris en compte, avec la longueur du délai et les explications fournies pour le justifier.
[40] Comme l’a dit la juge McLachlin (devenue depuis Juge en chef) dans ses motifs concordants dans Morin, à la p. 810, « [l]orsque les procès sont retardés, il peut y avoir déni de justice. Des témoins oublient ou disparaissent. La qualité de la preuve peut se détériorer. La liberté et la sécurité des accusés peuvent être limitées beaucoup plus longtemps qu’il n’est nécessaire ou justifiable. Non seulement de tels délais ont des conséquences pour l’accusé, mais ils peuvent également avoir un effet sur l’intérêt du public dans l’administration rapide et équitable de la justice. »
[41] La société a certes grand intérêt à ce que les accusations graves soient jugées au fond. Toutefois, le déroulement de la présente affaire a été retardé à un point tel qu’il y a eu violation du droit constitutionnel de l’appelant d’être jugé dans un délai raisonnable
Aucun commentaire:
Publier un commentaire