R. c. F.C., 2008 QCCQ 6600 (CanLII)
[78] Le procureur de la Couronne soumet quant à lui dix jugements, qui sont à ses yeux très révélateurs de la sévérité avec laquelle les tribunaux traitent habituellement les délinquants qui infligent des mauvais traitements à des enfants en bas âge. Il convient cependant que les crimes qu'il s'agissait alors de sanctionner étaient objectivement et subjectivement plus sérieux que celui dont il est ici question, et que le degré de responsabilité pénale que les délinquants devaient alors assumer était aussi généralement substantiellement plus élevé que dans la présente affaire.
[79] D'abord, en 1999, le juge Claude Parent devait infliger une peine à un accusé qui avait été déclaré coupable de voies de fait graves sur sa fillette, âgée de moins de 2 mois: R. c. Colak, J.E. 2000-311 (C.Q.). Il l'avait secouée afin qu'elle arrête de pleurer, provoquant ainsi des hémorragies au cerveau: l'enfant en avait conservé des séquelles permanentes, étant affligée de problèmes de développement. Il a été condamné à 30 mois de pénitencier.
[80] En outre, dans l'affaire R. c. M.M., J.E. 2000-1339 (C.Q.), le juge Robert Sansfaçon devait imposer une peine à un accusé de 29 ans qui avait plaidé coupable à une accusation de voies de fait graves pour des gestes posés sur une période de trois mois à l'endroit d'un bébé qui n'était âgé que de 15 jours au début des événements. Lors du dernier épisode et alors que la fillette pleurait en raison de coliques, il lui avait serré la tête avec ses deux mains jusqu'à ce qu'elle perde conscience, lui causant ainsi des fractures mineures. L'enfant n'ayant gardé aucune séquelle et l'accusé, sans antécédent judiciaire, ayant suivi une thérapie, il fut condamné à 14 mois de détention ferme, peine assortie d'une probation de 3 mois.
[81] En 2001, c'était au tour du juge Lucien Roy de sentencer un jeune père de famille de 24 ans qui avait reconnu sa culpabilité à une accusation de voies de fait graves à l'égard de son fils âgé de 11 semaines: R. c. M.P., J.E. 2002-326 (C.Q.). Ayant perdu la maîtrise de lui-même alors qu'il savait éprouver des problèmes d'impulsivité et de violence, il l'avait sévèrement secoué, au point de le rendre lourdement handicapé. Faisant prévaloir les objectifs sentenciels «de dénonciation, de châtiment et d'exemplarité», le juge l'a condamné à 6 ans de pénitencier (réduit à 5 ans compte tenu de la détention préventive).
[82] Par ailleurs, dans l'affaire R. c. Trudeau, J.E. 2004-32 (C.Q.), le juge Claude Millette devait sanctionner le comportement d'un accusé qui, gardant l'enfant de 4 mois de sa conjointe, avait perdu patience et l'avait fortement secoué, provoquant ainsi le syndrome du bébé secoué. L'enfant avait subi de très graves blessures ayant entraîné des séquelles permanentes. Ayant reconnu sa culpabilité à une accusation de voies de fait graves, l'accusé a été condamné à 4 ans de pénitencier, vu les conséquences du crime sur la victime ainsi que ses antécédents judiciaires et son potentiel de dangerosité.
[83] Puis, le 6 mai 2005, dans l'affaire R. c. M.B., J.E. 2005-1669 (C.Q.), c'était au tour du juge Claude P. Bigué de sentencer un jeune père de famille qui avait plaidé coupable à une accusation de voies de fait graves à l'égard de sa fillette âgée de 7 semaines. Il l'avait secouée violemment, provoquant là aussi le syndrome du bébé secoué: l'enfant accusait un retard dans son développement global et aurait vraisemblablement des problèmes d'apprentissage. Âgé de 23 ans, l'accusé avait deux antécédents judiciaires, mais aucun en matière de violence: il fut condamné à 3 ans de pénitencier.
[84] Trois semaines plus tard, soit le 26 mai 2005, la juge Isabelle Rheault était saisie d'un dossier impliquant une gardienne d'enfants: R. c. Matteau, J.E. 2005-1175 (C.Q.). L'accusée avait été déclarée coupable de voies de fait graves à l'endroit de deux bébés, âgés respectivement de 7 mois et de 10 mois, qui lui avaient été confiés alors qu'elle opérait une garderie en milieu familial. L'enfant de 7 mois avait une fracture pariétale très longue qui traversait deux os, ainsi qu'une fracture occipitale très rare; le bébé de 10 mois avait des hémorragies internes ainsi que plusieurs fractures importantes, et il a gardé des séquelles permanentes. Sans antécédent judiciaire, elle fut condamnée à 5 ans de pénitencier (moins la détention préventive).
[85] De même, dans l'affaire R. c. S.C., 2006 QCCQ 219 (CanLII), 2006 QCCQ 219, J.E. 2006-821 (C.Q.), le juge Michel Dionne devait infliger une peine à un père qui avait plaidé coupable à une accusation de voies de fait graves sur son bébé de moins d'un an. On avait diagnostiqué chez l'enfant le syndrome de l'enfant maltraité: une fracture de l'humérus gauche, une fracture de la septième et de la huitième côte du côté gauche, une brûlure au menton, une déchirure de la lèvre supérieure, des ecchymoses aux paupières inférieures, une ecchymose au menton et finalement une fracture du crâne. Dans ce dossier de maltraitance grave et répétée, qui n'a conséquemment que très peu à voir avec la trame factuelle de la présente affaire, l'accusé a été condamné à 3 ans de pénitencier.
[86] Puis, dans l'affaire R. c. D.Q., 2006 QCCQ 6075 (CanLII), 2006 QCCQ 6075, le juge Michel Bellehumeur devait imposer une peine à un homme de 33 ans qui, sur une période de quelques jours, avait infligé plusieurs blessures à un enfant de 4 ans: ecchymose et œdème pré-orbitaire gauche important, œdème du nez et lésions à la lèvre supérieure, lésions à l'oreille gauche, lacérations du cuir chevelu, lésions aux fesses et à l'omoplate droite, lacérations à un orteil, à la plante des pieds et aux mains, etc.. Ayant plaidé coupable à une accusation de voies de fait graves, l'accusé avait donc sévèrement maltraité l'enfant, qui a dû être hospitalisé dans un hôpital pour enfant. Il a été condamné à 5 ans de pénitencier.
[87] Par ailleurs, dans l'affaire R. c. Éric Pelchat, C.Q. Sherbrooke 450-01-037112-047, le 11 décembre 2006, le juge Gilles Gagnon avait déclaré un individu de 23 ans coupable de s'être livré à des voies de fait graves sur un bébé de 3 mois dont la mère lui avait momentanément confié la garde alors qu'il cohabitait avec elle. Couvert d'ecchymoses, l'enfant avait subi des fractures à la jambe droite, au bras droit, au crâne et à cinq côtes: souffrant énormément, il avait été hospitalisé pendant plus d'une semaine. Tenant compte de l'importance de la maltraitance, le juge a condamné le délinquant à 2 ans de pénitencier.
[88] La Couronne produit enfin le jugement rendu par le juge Pierre Chevalier dans l'affaire R. c. Richard Thérien, C.Q. Hull 550-01-005396-025, le 5 novembre 2003 (C.Q.), où l'accusé avait, au terme d'un procès, été déclaré coupable de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles à son enfant âgé de 2 ans et 2 mois, ainsi que de voies de fait au moyen d'une arme à l'endroit de sa conjointe et de méfaits sur l'automobile de celle-ci. Outré que son enfant ait jeté une cassette dans le poêle à bois, il l'avait incité à y tendre la main pour lui montrer que cela brûlait: l'enfant avait effectivement subi de sérieuses brûlures au bras et au ventre. Pour des infractions différentes de celles dont le Tribunal est maintenant saisi, faut-il le souligner, l'accusé a été condamné à une peine de 8 mois de détention ferme.
[89] L'examen de la jurisprudence citée par la Couronne permet dès lors de formuler quatre constats.
[90] Le premier, c'est que tous les jugements produits, sauf le dernier, mettent en cause le crime de voies de fait graves plutôt que le crime de voies de fait ayant causé des lésions corporelles: comme le premier est objectivement plus grave – et qu'il l'est aussi subjectivement dans la plupart des cas – que le second, il est normal que les peines infligées aient été plus sévères.
[91] Le second, c'est que dans toutes ces affaires, et dans celles qui y sont citées aussi, les juges étaient confrontés à des cas de maltraitance évidents, et parfois échelonnés sur plusieurs jours ou plusieurs semaines. En outre, les victimes avaient très souvent de graves séquelles permanentes. L'on ne se trouvait donc pas dans une dynamique analogue à celle du présent dossier, où la peine doit être infligée pour un geste isolé posé dans un contexte d'exaspération certes, mais un geste qui demeure dans le registre du recours à une force excessive à l'occasion d'une manipulation légitime du bébé, qu'il s'agissait de faire reculer dans sa chaise haute.
[92] Le troisième, c'est que, quand des enfants en bas âge sont victimes de violence, et surtout quand cette violence émane d'un parent ou d'un gardien, les juges priorisent systématiquement les objectifs sentenciels de dénonciation et de dissuasion, comme l'exige d'ailleurs la Cour d'appel. Ils adhèrent ainsi au vibrant plaidoyer auquel se livrait la juge Otis dans l'affaire R. c. J.-J.L., antérieurement citée, à la page 979:
«Il est des crimes qui témoignent des valeurs protégées par une collectivité humaine à un moment déterminé de son histoire et qui, à la faveur de l'évolution des sociétés, deviennent finalement périmés. Il en va différemment des crimes d'ordre sexuel commis sur des enfants en bas âge. Même avant que des lois pénales répressives ne sanctionnent ces délits, la protection des enfants constituait l'une des valeurs essentielles et pérennisées par la plupart des sociétés organisées. La fragmentation de la personnalité d'un enfant à l'époque où son organisation naissante ne laisse voir qu'une structure défensive très fragile engendrera – à long terme – la souffrance, la détresse et la perte d'estime de soi. S'il est une intolérance dont une société saine ne doive jamais s'émanciper, c'est bien celle qui concerne les abus sexuels commis sur de jeunes enfants.» [soulignements ajoutés]
[93] Inspiré par des valeurs humanistes profondes, cet appel ne vise pas que les enfants victimes d'abus sexuels: il concerne aussi les enfants victimes d'autres formes d'abus, dont l'abus physique.
[94] Enfin, le quatrième constat découle du précédent: la façon dont les juges véhiculent, en contexte de maltraitance, les objectifs sentenciels incontournables de dénonciation et de dissuasion passe invariablement par l'infliction d'une peine de détention ferme lorsqu'il s'agit de sanctionner le crime de voies de fait graves, et dans la grande majorité des cas par une peine de pénitencier qui, à l'occasion, peut être particulièrement sévère. C'est qu'ils ont alors tendance à appliquer les enseignements prodigués par l'arrêt Proulx, précédemment cité, à la page 128:
«L’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable. En règle générale, plus l’infraction est grave, plus la durée de l’ordonnance de sursis devrait être longue et les conditions de celle‑ci rigoureuses. Toutefois, il peut survenir des cas où le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur.
[…]
[…] Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs.»
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