R. c. Gerrior, 2009 QCCQ 15307 (CanLII)
[39] Dans deux arrêts récents, R. c. Grant et R. c. Harrison, la Cour suprême établit un cadre d'analyse révisé concernant l'exclusion de la preuve en vertu de l'article 24(2) ainsi que des règles découlant des arrêts R. c. Collins et R. c. Stillman, et cela en réponse à certaines critiques formulées entre autres dans les décisions de R. c. Megahy et de R. c. Banman.
[40] La Cour suprême rappelle que l'analyse en vertu de l'article 24(2) doit se faire en tenant compte des circonstances de la violation et en ayant à l'esprit que la société a intérêt à connaître la vérité et que l'accusé a droit à une procédure équitable.
« [69] L’objet du par. 24(2) n’est pas seulement à long terme, il est également prospectif. L’existence d’une violation de la Charte signifie que l’administration de la justice a déjà été mise à mal. Le paragraphe 24(2) part de là et vise à faire en sorte que les éléments de preuve obtenus au moyen de cette violation ne déconsidèrent pas davantage le système de justice.
[70] Enfin, le par. 24(2) a un objet sociétal. Il ne vise pas à sanctionner la conduite des policiers ou à dédommager l’accusé, il a plutôt une portée systémique. Il se rapporte aux importantes répercussions de l’utilisation d’éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice. »
[41] Après avoir énuméré les différents types de preuve obtenus en mobilisant l'accusé contre lui-même (déclaration faite par l'accusé – la preuve corporelle – les éléments de preuve matérielle non corporelle – la preuve dérivée) les juges majoritaires définissent trois facteurs pertinents et leur application à ces différents types de preuve.
[42] Ces trois facteurs sont la gravité de la conduite attentatoire de l'état, l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte et l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond.
[43] Appliqué aux différents types de preuve, la Cour suprême constate que l'examen peut varier considérablement en fonction de la nature de la preuve obtenue, des circonstances dans lesquelles elle a été obtenue et de la fiabilité de cette preuve.
[44] Plus particulièrement, concernant les différences existant selon les divers types de preuve corporelle, la Cour suprême précise :
« [103] L’admissibilité des éléments de preuve doit se déterminer suivant une méthode souple et multifactorielle, en raison non seulement du libellé du par. 24(2), mais aussi des importantes différences existant entre les différents types de preuve corporelle. La gravité de la conduite policière et l’incidence de l’obtention de la preuve corporelle sur les droits de l’accusé peuvent varier considérablement. Il se peut que le prélèvement d’un cheveu ne soit pas intrusif et que l’intérêt de l’accusé en matière de vie privée quant à cet élément de preuve puisse être relativement ténu. À l’inverse, l’examen de cavités corporelles ou la fouille à nu peuvent être intrusifs, avilissants et répréhensibles. Un critère universel fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même ne permet pas de tenir compte de telles différences d’une manière qui correspond à l’objet de l’examen requis par le par. 24(2), soit d’établir si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[104] Il appert de décisions récentes que l’opinion selon laquelle l’admissibilité d’échantillons corporels ne doit pas dépendre uniquement de la question de savoir s’ils ont été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui‑même fait de plus en plus consensus […].
[105] La deuxième critique, connexe à la première, élevée contre le recours à un critère d’admissibilité de la preuve corporelle uniquement fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même, pour l’application du par. 24(2), lui fait grief d’assimiler à tort la preuve corporelle aux déclarations obtenues d’un accusé. Dans la plupart des cas, les questions relatives à l’administration de la justice soulevées par ces deux types de preuve diffèrent profondément.
[…] le prélèvement de substances corporelles ne porte pas atteinte à l’autonomie de l’accusé de la même façon que l’obtention illégale d’une déclaration. Le droit de garder le silence avant le procès garanti par l’art. 7, le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi‑même garanti par l’al. 11c) et le droit à ce qu’aucun témoignage incriminant ne soit utilisé subséquemment garanti par l’art. 13 ont servi de base au traitement des déclarations pour l’application du par. 24(2). Or, ces concepts ne s’appliquent pas de façon cohérente aux échantillons de substances corporelles, qui ne participent pas de la nature d’une communication. L’auto‑incrimination comme seul facteur permettant de statuer sur l’admissibilité de ces éléments de preuve s’en trouve affaiblie.
[106] En troisième lieu, on a reproché au critère d’admissibilité de la preuve corporelle axé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même de produire parfois des résultats aberrants en pratique, entraînant l’exclusion en application du par. 24(2) d’éléments de preuve qui, en principe, devraient être utilisés : voir Dolynchuk, R. c. Shepherd, 2007 SKCA 29 (CanLII), 2007 SKCA 29, 218 C.C.C. (3d) 113, la juge Smith, dissidente, conf. par 2009 CSC 35 (CanLII), 2009 CSC 35 (CanLII), 2009 CSC 35 (CanLII), 2009 CSC 35 (rendu simultanément au présent arrêt) et R. c. Padavattan 2007 CanLII 18137 (ON S.C.), 2007 CanLII 18137 (ON S.C.), (2007), 223 C.C.C. (3d) 221 (C.S.J. Ont.), le juge Ducharme. Par exemple, des échantillons d’haleine produits en preuve dans des affaires de conduite avec facultés affaiblies ont souvent été écartés automatiquement alors que la violation était mineure et qu’elle n’était pas réellement susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, tandis que, dans d’autres types d’affaires — comportant notamment la saisie de drogues illégales en violation de l’art. 8 — les éléments de preuve ont été utilisés malgré des violations plus graves, parce qu’ils n’avaient pas été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui‑même. On peut estimer avec raison que cette incongruité manifeste est préoccupante.
[107] Ainsi, pour l’application du par. 24(2), nous estimons qu’il convient de remplacer l’examen de l’admissibilité des éléments de preuve corporelle s’attachant uniquement à déterminer s’ils ont été obtenus par mobilisation de l’accusé contre lui‑même par un critère souple tenant compte de l’ensemble des circonstances, comme l’exige le libellé du par. 24(2). Comme pour les autres types d’éléments de preuve, leur admissibilité devrait s’apprécier en examinant l’effet qu’aurait leur utilisation sur la considération dont jouit le système de justice, compte tenu de la gravité de la conduite policière, des incidences de la violation de la Charte sur les intérêts protégés de l’accusé et de la valeur de l’instruction au fond de l’affaire. »
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