lundi 5 avril 2010

La "chaîne de possession" VS les "maillons manquants" dans la chaîne susceptibles de créer un doute raisonnable sur l'authenticité de la pièce

R. c. Castillo-Reyes, 2010 QCCQ 1518 (CanLII)

[31] Il faut savoir qu'une grande partie des témoignages rendus au cours du procès a porté sur ce qu'il est convenu d'appeler "la chaine de possession" des choses saisies dans le véhicule de l'accusé, plus particulièrement la "chaine de possession" de l'arme.

[32] Évidemment, la première obligation de la poursuite était d'établir hors de tout doute raisonnable que l'arme saisie en possession de l'accusé est bien l'arme expertisée. Non pas que c'est probablement la même arme, mais que c'est bel et bien la même arme et ce, hors de tout doute raisonnable.

[33] Je dirai d'entrée de jeu que j'ai été très étonné du traitement que les policiers ont réservé aux choses saisies dans le véhicule de l'accusé, particulièrement à l'arme. Il s'agit tout de même du cœur de l'accusation, une accusation sérieuse, et j'aurais cru que la "chaine de possession" de l'arme serait religieusement préservée. Or, tel n'a pas été le cas.

[34] Tout au long du processus, les divers agents qui ont manipulé l'arme ne se sont pas assurés d'être en mesure plus tard d'identifier l'arme saisie, de l'individualiser, pour évidemment être en mesure de la reconnaître lors de leur témoignage, surtout, comme dans le cas présent, lorsque l'arme ne comporte aucun signe distinctif, aucun numéro de série. Et ce, pour être en mesure d'affirmer qu'il s'agit bel et bien de l'arme saisie, ou de l'arme qu'ils ont reçue d'un collègue, ou de l'arme qu'ils ont transmise à un autre collègue.

[35] Pour ce faire, ou bien en posant quelque chose directement sur l'arme, une étiquette par exemple (il semble que dans le cas qui nous occupe, cela aurait pu contaminer l'arme et empêcher des expertises ultérieures), ou encore, en plaçant l'arme dans un contenant, un sac ou une enveloppe, clairement identifié qui aurait pu "suivre", accompagner l'arme tout au long de l'enquête. En pareil cas, s'il est impossible d'identifier l'arme à l'aide de l'arme elle-même, il est possible de le faire par le contenant, qui lui, est clairement identifié.

[36] Au cours du procès, alors qu'on leur exhibait l'arme, et seulement l'arme, rien d'autre, au moins deux témoins, les agents Tremblay-Quenneville et Fournier, ont affirmé dans leur témoignage que l'arme qui leur était exhibée était bel et bien l'arme saisie. Or, rien ne pouvait leur permettre d'affirmer une telle chose. Il n'y avait rien sur l'arme elle-même, et rien d'autre, le sac dans lequel elle aurait été placée par exemple, qui pouvait leur permettre de le faire. Au plus, elles pouvaient dire que ce qu'on leur montrait ressemblait pas mal à ce qui avait été saisi.

[37] Par ailleurs, même si le chemin choisi n'a pas été le plus facile, je suis satisfait que l'arme qui s'est retrouvée entre les mains de l'agent Poulin, de la section de l'identité judiciaire, est bel et bien l'arme qui a été saisie en possession de l'accusé. Le témoignage de l'agent Tremblay-Quenneville, qui a saisi l'arme, et celui des enquêteurs Meilleur et Fournier, mais surtout le témoignage de l'agent Poulin, notamment ses photos, l'établissent clairement.

[38] Par contre, la situation est toute autre à partir du moment où les pièces, notamment l'arme, quittent la possession de l'agent Poulin.

[39] En effet, celle-ci explique qu'après avoir sécurisé l'arme, elle l'a envoyée à la Sûreté du Québec, on ne sait pas où et à qui, à travers un officier de liaison, on n'en sait pas plus là non plus. La preuve ne révèle pas de quelle façon elle s'y est prise pour assurer la "continuité de possession" de l'arme. La preuve ne révèle pas si l'arme a été placée dans un sac, un sac clairement identifié, et surtout identifiable pour l'avenir, pour, encore une fois, être en mesure d'individualiser l'arme, de pouvoir affirmer plus tard, en se basant sur quelque chose de concret, qu'il s'agit bel et bien de l'arme saisie.

[40] Par la suite, il semble que cette arme, après s'être retrouvée à la Sûreté du Québec, s'est retrouvée au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) puis à la "balistique". Encore là, rien dans la preuve n'établit si l'authenticité de l'arme été préservée, si oui, comment elle l'a été.

[41] Le témoin Gravel a témoigné comme expert en balistique. Il dit avoir expertisé une arme et deux chargeurs. Évidemment, à observer l'arme lors de son témoignage, il ne peut dire s'il s'agit de l'arme qu'il a expertisée. Elle lui ressemble dit-il, mais il n'a aucun moyen de l'identifier. Après lui avoir montré l'arme, on lui exhibe un sac de plastique de son service, mais l'arme n'est pas dans le sac. L'arme a été à un moment donné dissociée du sac. À partir de ce moment- là, il n'a donc aucun moyen d'affirmer que l'arme devant lui est celle qu'il a expertisée.

[42] On a bien tenté d'aider le témoin en lui exhibant des étiquettes et des photos. Mais les étiquettes en particulier n'étaient rattachées à rien et se retrouvaient pêle mêle parmi d'autres pièces. D'ailleurs, tellement pêle mêle que le témoin Gravel a découvert une étiquette, par hasard, au beau milieu de son témoignage, comme si elle sortait d'une boîte à surprise. Et j'exagère à peine.

[43] Dans son témoignage, monsieur Gravel explique qu'à son bureau, il reçoit les choses à expertiser après que celles-ci aient été reçues et classées dans une salle d'exhibits. Il explique qu'un préposé amène les choses et que celles-ci sont alors dans un sac de plastique scellé. On ne connaît ni la provenance du sac ni la personne qui a scellé le sac en question.

[44] Monsieur Gravel ajoute que l'arme a été expertisée et qu'elle a ensuite été retournée, encore là, je ne sais trop comment, à la salle d'exhibits. Selon monsieur Gravel, un préposé ramène les exhibits à l'avant et "l'affaire suit son cours". Mais encore là, aucune preuve n'a été présentée pour démontrer comment l'affaire a effectivement suivi son cours et surtout, si dans le cours de l'affaire, l'authenticité des choses saisies est préservée, et si oui, comment. Et finalement, comment ces pièces se sont retrouvées à la salle d'exhibits du Palais de justice, et ultimement, devant moi.

[45] À ce propos, le fouillis dans lequel les pièces se sont retrouvées devant moi lors du procès n'est rien pour m'amener à conclure que l'authenticité de l'arme a été préservée correctement. Pour employer un langage vernaculaire, toutes les pièces, notamment les douilles, étaient "mélangées", personne ne peut dire qui les a "mélangées", et quand on les a ainsi "mélangées". Tout était mêlé, les étiquettes, les sacs, les douilles. Même le pauvre témoin Gravel était tout mêlé.

[46] Je suis tout à fait conscient que la "chaîne de possession" d'une pièce saisie n'est pas une règle de droit en soi, ni une exigence légale. Il s'agit purement et simplement de l'illustration de l'obligation pour la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable que ce qui a été saisi, est bel et bien ce qui est allégué dans l'accusation.

[47] C'est pourquoi la poursuite n'a pas l'obligation de faire entendre toutes les personnes qui ont été en contact ou qui ont eu la pièce saisie en leur possession (R. v. Oracheski, reflex, (1979), 48 C.C.C. (2d) 217, ACA). Cela ne lui sera pas nécessairement fatal.

[48] Ce le sera seulement si ces "maillons manquants" dans la chaîne sont susceptibles de créer un doute raisonnable sur l'authenticité de la pièce. Et j'estime que c'est le cas ici.

[49] L'accusé est en conséquence acquitté.

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