R c Morand, 2011 CanLII 48429 (QC CM)
[73] Il est reconnu que la police doit jouir d'une latitude et de pouvoirs d’employer des moyens pour combattre le crime dont les procédés sont toujours plus sophistiqués. Cependant, le fait pour la police d'engendrer de toutes pièces la commission d'un crime, par la ruse, la supercherie ou tout autre moyen inadmissible, constitue une situation tout à fait différente. La « défense de provocation policière » s'inscrit dans la seconde situation (R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903, 916 et 917). Cette « défense » constitue une facette du concept d'abus de procédure. Elle tient au pouvoir d'un tribunal de se prémunir contre tout abus de procédure, c'est-à-dire d'un comportement qui viole le sens du franc-jeu et de la décence de la part des autorités, évidemment dans le but de préserver l'intégrité de l'administration de la justice (Mack, p. 920 et 938 à 942).
[74] Pour que la « provocation policière » puisse trouver application, « l'infraction doit être provoquée, amorcée ou occasionnée par la police dont la conduite doit inciter l'accusé à commettre l'infraction ». Le but du comportement policier est de poursuivre l'accusé pour ce crime. L'incitation peut résulter de la tromperie, de la fraude, de la supercherie, d'une récompense ou encore, sans que ce soit une condition essentielle, d'un piège tendu à l'accusé (Mack, p. 921, 923, 952, 953 et 962).
[75] La machination ou la situation d'incitation « doit dans tous les cas être si révoltante et si indigne qu'elle ternit l'image de la justice ». « La question est de savoir si la conduite de la police a dépassé les bornes de l'acceptable. » La conduite policière doit être « révoltante, voire scandaleuse ». L'analyse s'intéresse à la conduite policière à l'égard de l'accusé, et à ses effets sur le comportement de ces derniers et à son incidence sur l'administration de la justice (R. c. Lebrasseur, J.E. 95-1660 (C.A.)).
[76] Dans le cadre de la « provocation policière », le juge doit pouvoir conclure que l'accusé n'aurait pas commis l'infraction sans les moyens incitatifs utilisés par la police.
[77] Il y a « provocation policière » :
- soit lorsque la police fournit l'occasion de commettre une infraction en l'absence de soupçons raisonnables, ou qu'elle agit de mauvaise foi,
- soit, alors qu'elle a des soupçons raisonnables à l'égard de l'accusé, lorsqu'elle ne se contente pas fournir l'occasion de commettre l'infraction, mais le pousse à le faire (Mack, p. 959, 964 et 965).
[78] La conduite policière répréhensible peut résulter de l'exploitation des caractéristiques humaines que la société favorise, comme la compassion, la sympathie ou l'amitié, ou lorsqu'elle exploite la vulnérabilité particulière de l'accusé, comme un handicape intellectuel ou sa dépendance à certaines substances.
[79] La « provocation policière » ne peut être invoquée que lorsque la culpabilité de l'accusé est établie (Mack, p. 943, 947, 950, 951 et 972). Elle ne constitue pas un moyen de défense disculpatoire. La question en litige porte plutôt sur le comportement des représentants de l'État, son effet sur l'état d'esprit de l'accusé et sur son incidence sur la considération dont le système de justice doit jouir (Mack, p. 965).
[80] L'arrêt Mack énonce certains facteurs pertinents pour décider si les policiers ont employé des moyens inacceptables (Mack, p. 966), dont les suivants sont applicables à la présente affaire :
- si un individu moyen, avec ses points forts et ses faiblesses aurait été incité à commettre l'infraction, dans la situation de l'accusé,
- la persistance de la police dans ses moyens incitatifs,
- le genre de procédé l'utilisé,
- si la conduite policière comporte l'exploitation des émotions humaines ou de la vulnérabilité particulière de l'accusé,
- et la proportionnalité de l'implication de la police par rapport à celle de l'accusé.
[81] L'accusé doit établir par prépondérance la « provocation policière » et la déconsidération de l'administration de justice (références omises).
[82] Lorsque l'accusé rencontre son fardeau de preuve, cette défense mène à un arrêt des procédures (Mack, p. 920, 942 et 944).
[83] Selon l'arrêt Mack, (p. 975 et 976), l'arrêt des procédures fondées sur la « provocation policière » est réservé aux cas les plus manifestes alors que la conduite policière dépasse les bornes de ce qui est acceptable. Cette affirmation rejoint les principes établis subséquemment par la Cour suprême en matière d'arrêt des procédures, à savoir qu'il s'agit d'une mesure exceptionnelle, d'une réparation ultime, réservée à des situations rarissimes et exceptionnelles d'abus de procédure qui discréditent l'administration de la justice, et qui doivent satisfaire aux conditions suivantes :
- le préjudice causé par l'abus de procédure sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès par son issue,
- et aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître le préjudice (références omises)
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