vendredi 26 août 2011

Les principes applicables à la négligence criminelle causant la mort

R. c. Brassard, 2011 QCCQ 8719 (CanLII)

[31] Comme le souligne notre Cour d'appel dans R. c. Salamé, les termes de l'article 219 C.cr. «font appel à une analyse comparative entre le manquement reproché et une norme objective, ou subjective pour certains, en vue de la qualification des agissements ou de l'omission de l'accusé». L'emploi de l'expression « insouciance déréglée ou téméraire » laisse entendre qu'un élément de l'infraction comprend un état d'esprit ou une certaine finalité morale dont est assortie la conduite qui entraîne les sanctions du droit criminel.

[32] Après une analyse poussée des principes édictés par la Cour Suprême dans Tutton, Hundal et Beatty, la Cour d'appel résume ainsi l'approche à adopter au moment de statuer sur le mérite d'une accusation de négligence criminelle :

Il faut d'abord garder à l'esprit que l'analyse doit être contextuelle et que le comportement de l'accusé doit révéler un écart de conduite marqué, ce qui distingue la faute criminelle de la faute civile. Cette analyse du comportement doit être conduite en fonction d'un critère objectif, ce qui signifie que le juge doit être satisfait hors de tout doute raisonnable que la conduite de l'accusé est entièrement et à tous égards hors norme et constitue donc cet écart marqué de comportement. Le juge doit donc apprécier cette conduite par rapport à celle de la personne raisonnable et décider si cette personne raisonnable, placée dans la même situation que l'accusé, aurait connu le risque que le comportement de l'accusé aurait entraîné pour la vie ou la sécurité d'autrui. Les caractéristiques personnelles de l'accusé comme son âge, son degré d'instruction, ne sont pas pertinentes, mais le juge « devra considérer la preuve relative à l'état d'esprit véritable de l'accusé – si une telle preuve a été présentée – pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu'une personne raisonnable, placée dans la même situation que l'accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement ».

[33] Ces principes sont conformes aux enseignements de la Cour Suprême dans R. c. Morrisey. Le juge Gonthier, pour la majorité, établit clairement la norme applicable aux fins d'obtenir une déclaration de culpabilité sous l'article 220a) C. cr. :

19 La norme à respecter pour obtenir une déclaration de culpabilité à l’infraction prévue à l’al. 220a) est donc plus élevée que celle applicable en matière de négligence au civil. Pour être condamné sous le régime de cette disposition, l’accusé doit avoir eu une conduite constituant une dérogation marquée par rapport à la norme: R. c. Anderson, 1990 CanLII 128 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 265, à la p. 270. Lorsque le risque de préjudice est très grand, comme c’est le cas dans les affaires de négligence criminelle causant la mort où il y a eu usage d’une arme à feu, il est souvent facile de conclure que l’accusé doit avoir prévu les conséquences: Anderson, à la p. 270. Il n’en demeure pas moins que, dans tous les cas, le ministère public doit prouver davantage que le simple fait qu’une arme a été déchargée, causant la mort. L’alinéa 220a) ne crée pas une infraction de responsabilité absolue. Il exige la preuve d’une conduite constituant une dérogation à ce point marquée par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente qu’elle témoigne d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. (Nos soulignements)

[37] Comme nous le verrons plus loin quant aux autres chefs d'accusation, les principes énoncés par la Cour Suprême dans les arrêts Creighton, Gosset et Finlay peuvent s'appliquer à l'accusation de négligence criminelle, en faisant les adaptations nécessaires, puisque la Cour réfère à la nécessité de prouver que la conduite constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable qu'observerait une personne raisonnable dans les circonstances.

[38] Lors de son analyse contextuelle de l'affaire, le Tribunal peut considérer la preuve d'une violation à une disposition réglementaire ou législative. Toutefois, la Cour Suprême, dans R. c. Leblanc, nous rappelle que la simple violation d'une obligation imposée par une loi ou un règlement ne démontre pas en soi une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie d'autrui. Cette insouciance doit toujours être prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite.

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