vendredi 26 août 2011

Revue de la jurisprudence concernant l'infraction d'usage négligent d'une arme à feu

R. c. Brassard, 2011 QCCQ 8719 (CanLII)

[43] L'article 86 C. cr. vise l'atteinte de l'objectif suivant :

Cette disposition vise à protéger les personnes contre les actes de négligence, susceptibles d'entraîner des lésions corporelles pour autrui. Parce que les armes à feu et les munitions peuvent occasionner des blessures graves ou une perte de vie, le législateur a reconnu qu'il importe que les personnes en possession de ces articles aient l'obligation de les utiliser, de les porter, de les manipuler, de les expédier ou de les entreposer d'une manière prudente et sûre.

[44] Dans l'arrêt Gosset, précité, la question posée par la Cour est la suivante : quel est le critère approprié pour déterminer ce en quoi consiste la «négligence» dans le contexte du par. 86(2) du Code criminel lorsqu'elle est l'infraction sous‑jacente de l'infraction d'homicide involontaire coupable résultant d'un acte illégal?

[45] L'analyse de la jurisprudence faite par le juge en chef Lamer l'amène à conclure que le critère à utiliser pour déterminer si la négligence a été établie ou non, doit être objectif. Dans l'arrêt Finlay, rendu le même jour, le juge en chef précise ce critère objectif. Il s'exprime ainsi :

Le critère objectif de la négligence est étudié dans l'arrêt R. c. Gosset, [1993] 3 R.C.S. 000, rendu simultanément. Dans cet arrêt, j'ai conclu que l'interprétation adéquate de l'élément de faute en vertu du par. 86(2) est la conduite qui constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu'observerait une personne raisonnablement prudente. S'il existe un doute raisonnable soit que la conduite en question ne constituait pas un écart marqué par rapport à la norme de diligence, soit que les précautions raisonnables ont été prises pour s'acquitter de l'obligation de diligence dans les circonstances, il faut prononcer un verdict d'acquittement. Dans Gosset, j'ai conclu que l'évaluation objective de la faute devait également prendre en considération la capacité d'un accusé de satisfaire à la norme de diligence requise dans les circonstances et sa possibilité de contrôler ou de compenser ses lacunes. Il n'y a toutefois pas d'«inversion de la charge de la preuve» qui imposerait à un accusé d'établir selon la prépondérance des probabilités qu'il a exercé une diligence raisonnable permettant d'écarter une imputation de faute en vertu du par. 86(2).

Comme je l'indique dans l'arrêt Gosset, il faut faire une distinction entre la négligence civile et la négligence «pénale». Dans le contexte de la négligence pénale, où une conclusion d'insouciance peut entraîner une peine d'emprisonnement, l'évaluation de la responsabilité ne va plus, comme c'est le cas en matière civile, dans le sens de la répartition de la perte; cette évaluation se rattache plutôt à la sanction de la conduite moralement blâmable, afin d'éviter de punir les personnes qui n'auraient pu agir autrement.

Pour être conforme au principe de justice fondamentale voulant que la personne moralement innocente ne soit pas privée de sa liberté, l'évaluation objective de la faute en vertu du par. 86(2) doit permettre que l'existence d'un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé a pris suffisamment de précautions pour éviter de créer des risques ou s'il avait la capacité de satisfaire à la norme de diligence qu'observerait une personne raisonnablement prudente dans les circonstances donne lieu à un acquittement.

[46] Dans Gosset, il ajoute :

En conséquence, on ne peut soutenir que le par. 86(2) du Code criminel vise à punir un état d'esprit; en fait, cette disposition crée plutôt une infraction de négligence, qui, comme l'intention et l'insouciance, peut constituer un fondement de faute valide en droit criminel. Pour déclarer une personne coupable en vertu de cette disposition, il faut établir qu'il y a eu une conduite qui constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu'observerait une personne raisonnablement prudente dans les circonstances. S'il existe un doute raisonnable que la conduite en question ne constitue pas un écart marqué par rapport à cette norme de diligence ou encore que des précautions raisonnables ont été prises pour s'acquitter de l'obligation de diligence dans les circonstances, un verdict d'acquittement doit être prononcé.

[47] De façon plus concrète, le juge Lamer propose au juge des faits une liste de contrôle aux fins de la détermination de la faute en vertu de l'article 86 C.cr. :

(1) La conduite de l'accusé constitue‑t‑elle un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu'observerait une personne raisonnable dans les circonstances de l'infraction?

Si la réponse est négative, l'accusé doit être acquitté puisqu'il n'a pas eu une conduite négligente par rapport à un critère objectif. Toutefois, si la réponse est affirmative, il faut alors indiquer au jury qu'il doit examiner la deuxième question:

(2) Est‑ce que la conduite de l'accusé constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence requise:

a) soit parce qu'il n'a pas réfléchi à l'obligation de diligence ni, par conséquent, au risque de préjudice que sa conduite comportait;

b) soit parce que, en raison de faiblesse humaines (sic), il n'avait pas la capacité de réfléchir à l'obligation de diligence?

Si c'est l'hypothèse a) qui est retenue, l'accusé doit être déclaré coupable puisque le droit criminel ne peut permettre que le fait de ne pas avoir été conscient d'une chose constitue une excuse à la responsabilité criminelle en cas de négligence. Si la réponse est b), il y a lieu de procéder à la troisième étape de l'examen et d'indiquer au jury d'examiner la troisième question:

(3) Dans le contexte de l'infraction en question, une personne raisonnable possédant les capacités de l'accusé aurait‑elle fait en sorte d'être conscient de l'obligation de diligence requise.

[48] Essentiellement, le juge d'instance doit d'abord établir si la conduite reprochée à l'accusé constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence puis, déterminer si l'accusé était en mesure de reconnaître qu'il n'avait pas satisfait à la norme de diligence requise dans les circonstances.

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